Etat espagnol. Marea Blanca: «Nous avons gagné une bataille. Les raisons de continuer»

arton29358-5595fPar Jesús Jaén

Hier, 27 janvier 2014, le président [de la Communauté autonome de Madrid] Ignacio González annonçait sa défaite. Sur un ton triste et accablé, il annonçait deux nouvelles spectaculaires lors d’une conférence de presse: le retrait du plan de privatisation des six hôpitaux publics (suite à la nouvelle suspension provisoire) et la démission du conseiller à la santé Fernández Lasquetty. Ce dernier, quelques minutes plus tard, expliquait d’un air abattu qu’il avait présenté sa démission au président, car il se considérait comme responsable du mal nommé Plan de Sostenibilidad del Servicio Madrileño de Salud (SERMAS).

Nous ressentons, comme professionnels et usagers de la santé publique, une joie immense. Il a fallu quinze mois de conflit au cours duquel nous avons mené des grèves, récolté en masse des signatures, occupé nos hôpitaux et centres de soins, des «marées blanches» [mobilisation du personnel hospitalier, soutenu par les usagers] dans les rues, des rassemblements devant les entreprises adjudicaires et même une consultation citoyenne [du 5 au 10 mai 2013] qui reçut le soutien de presque un million de Madrilènes [951’975 personnes ont répondu qu’elles étaient favorables à un système de santé public, de qualité et universel et contre la privatisation]. Cela en a valu la peine.

Il s’agit maintenant, cependant, de reconnaître nos «retraites» dans cette «guerre». Nous avons perdu la blanchisserie de Mejorada del Campo, l’Institut de cardiologie, l’Hôpital Carlos III et rien de moins que 3500 postes de travail en une seule année. Nous avons empêché la privatisation des six hôpitaux, celle de 27 centres de soins et, partiellement, la transformation de l’hôpital universitaire de La Princesa en un centre gériatrique. Voici le bilan que nous pouvons faire de ces quinze mois de luttes: une grande victoire, mais également quelques défaites.

Quels sont les enseignements que nous pouvons tirer de ce succès de la Marea Blanca?

Nous tenterons de les résumer très brièvement:

• La première, et la plus importante, est l’importance de la mobilisation sociale. Affirmer que seule la lutte paie est une énorme vérité. Face aux sceptiques et à ceux qui disent qu’il ne vaut pas la peine de descendre dans les rues ou de faire grève, nous avons fait la démonstration que lorsque nous, ceux d’en bas, bougeons, ceux d’en haut tremblent. Gamonal a ouvert un sentier que nous avons approfondi avec la Marea Blanca [1].

Consultation sur la santé publique en mai 2013
Consultation sur la santé publique en mai 2013

• La deuxième grande leçon a été l’unité entre travailleurs de la santé, habitants et patients que nous avons réunis en une majorité sociale puissante. C’était une chose touchante que de participer à ces grandes marées où les blouses blanches se mêlaient aux personnes âgées ou aux quelques patients qui y étaient venus en chaise roulante ou avec des bonbonnes d’oxygène. C’était le peuple, dans l’acceptation la plus large de ce terme, implacable et décidé à lutter jusqu’à la fin.

• En troisième lieu, le coup mortel dont a souffert le PP de Madrid [Parti Populaire, très à droite; la communauté autonome est gouvernée par ce parti de Mariano Rajoy, lui-même président du gouvernement de l’Etat espagnol] comme conséquence de la Marea Blanca.

La division que l’on pouvait percevoir dans ses rangs était l’expression du mécontentement de sa propre base et de ses électeurs. Dans un district comme le quartier de Salamanca [quartier aisé du nord de Madrid], des centaines ou même des milliers de personnes nous ont contactés à l’hôpital de La Princesa [situé dans ce quartier], pour nous dire: «Je n’ai pas voté pour le PP pour qu’il ferme l’hôpital!»

L’usure politique de la droite à Madrid a fait un saut qualitatif pour élargir encore plus ses fractures internes [allusion, entre autres, aux divisions sur le projet de loi sur le droit à l’avortement qui suscite des divisions au sein du PP ainsi qu’à la démission d’Alejo Vidal-Quadras, vice-président du Parlement européen, qui rejoint Vox, une formation à la droite du PP].

• Enfin, mais non moins important, la Marea Blanca est née à la chaleur de la «grande flamme» du mouvement du 15M [15 mai 2011, début du mouvement des «Indignados», qui a débuté par une occupation de la Puerta del Sol, «achetée» aujourd’hui par la compagnie de télécommunication Vodafone]. C’est sa fille aînée. Tant et si bien qu’avec elle se sont développées toutes les énergies positives d’un mouvement fondé sur l’auto-organisation de la base et qui n’attend pas de recevoir des ordres d’en haut. Ce sont les travailleurs et travailleuses eux-mêmes qui formèrent et décidèrent des plateformes [rassemblements ponctuels autour d’un objectif commun], des coordinations, des assemblées, des fermetures de services [avec hôpitaux entourés par les soignants] ou des consultations citoyennes. La détermination qui saisit les places lors du 15M est la même qu’a montrée la Marea Blanca au cours de ces derniers mois.

Comme nous l’avons déjà dit, tout n’est pas gagné. Nous avons un long chemin à parcourir et beaucoup de raisons de poursuivre la lutte. Nous devons reprendre ce que nous avons perdu, ce qui a été privatisé et obtenir le retrait du Plan de Sostenibilidad. Il faut continuer jusqu’à obtenir le retrait de lois comme la 15/97 ou la 16/2012 qui ont expulsé 840’000 personnes du système national de santé.

Et, enfin, nous devons tenter d’empêcher que, grâce au système de détournement des patients vers les soins privés, se poursuivent le désinvestissement et le démantèlement de notre système de soins public. (Traduction A l’Encontre; article publié sur le site anticapitalistas.org le 28 janvier 2014. Jesús Jaén est membre de PATUSALUD (Pataforma Asemblearia de Trabajadores y Usarios por la Salud, www.patusalud.es).

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[1] Gamonal, ancienne localité intégrée à la ville de Burgos, quartier populaire, où une mobilisation importante et des émeutes ont arrêté, il y a quelques jours, la construction d’un boulevard. Cette phrase d’un manifestant témoigne de l’esprit de ce mouvement: «Burgos n’a pas 13’000 euros pour une garderie, mais peut dépenser 8 millions pour un parking.» En effet, ces travaux témoignent de la spéculation immobilière et du pouvoir de caciques comme Antonio Miguel Méndez Pozo. Voir http://politica.elpais.com/politica/2014/01/18/actualidad/1390064352_796583.html (Réd. A l’Encontre)

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