Espagne: plus de 600’000 foyers ont perdu leur logement depuis 2008

Par le Barométro social
de Espana

Le Conseil Général du Pouvoir Judiciaire publie en 2012 une nouvelle statistique des expulsions de logement qui inclut non seulement celles qui ont été réalisées par les Tribunaux Supérieurs de Justice (Lanzamientos TSJ), mais également celles exécutées par les Tribunaux de Première Instance (Lanzamientos Juz.1e Inst.). Ces dernières, au nombre de 57’410 au premier semestre de cette année, dépassent de 55% le nombre de celles qui ont été exécutées pas les TSJ à la même période de l’année passée (qui étaient au nombre de 37’092). Mis ensemble, ces chiffres atteignent les 94’502 expulsions, ce qui suppose une moyenne de 566 par jour. Ces nouvelles données permettent de diffuser l’information sur le nombre croissant d’expulsions de logement en raison de la crise, données qui incluent aussi les expulsions de gens vivant dans des appartements loués (Desahucios alquileres), en plus des logements hypothéqués et dont le paiement des hypothèques est devenu impossible (voir tableau ci-dessous)

Le nombre annuel de saisies – procédures judiciaires initiées par le créancier contre ceux qui avaient acquis leur logement au moyen d’un crédit hypothécaire – n’atteignait pas les 20’000 jusqu’en 2006, ce nombre augmentant continuellement depuis lors jusqu’en 2010, année où ces saisies (Ejecuciones hipotecarias) ont atteint le chiffre de 93’636. En 2012, elles se sont réduites à 77’800, mais ont recommencé à croître au premier semestre de 2012 (48’213 par rapport aux 42’242 de l’année antérieure). Le total de procédures de poursuite judiciaire pour crédits hypothécaires impayés atteint les 371’000 depuis 2008.

La supposée amélioration qui s’est produite en 2012 ne s’est pas fait sentir par ceux qui ont été expulsés de leur logement par décision judiciaire. Le nombre des ordres d’évacuation prononcés par les Tribunaux Supérieurs de chaque province a doublé entre 2008 et 2011, passant de 26’700 à 58’200; au premier semestre de 2012, leur nombre a encore augmenté de 37’090. Depuis 2008, le nombre des logements hypothéqués saisis par ordre de ces organes judiciaires se monte à 203’800. Mais à ce nombre, il faut ajouter les saisies ordonnées par des Tribunaux de Première Instance, saisies pour lesquelles nous n’avons de chiffres que pour le premier semestre de 2012: 57’400. Ainsi, le nombre réel de familles ayant perdu le logement qu’elles étaient en train de payer à crédit est de 260’000. A ce chiffre, il faut ajouter tous les ordres d’expulsion prononcés par des Tribunaux de Première Instance au cours des années précédentes ainsi que les situations dans lesquelles un logement a été quitté «volontairement», sans qu’il y ait eu nécessité de prononcer une d’expulsion. Selon toute probabilité, le chiffre total est supérieur à 350’000.

Cette situation est en relation avec la crise de l’emploi et la chute du pouvoir d’achat d’une bonne partie de la population. Le graphique (ci-dessous) montre comment le taux de défaut des crédits hypothécaires (le volume de créances douteuses par rapport au total de crédit accordé) a augmenté parallèlement avec le taux de chômage. Ce dernier est passé de 8% au cours de 2007 à 24,6% au cours de 2012, ce qui suppose une augmentation de 21%; de son côté, le taux de défaut s’est multiplié plus rapidement encore, passant de 0,5% à 3,2% (+528%). L’amélioration conjoncturelle enregistrée entre le milieu de 2009 et la fin de 2010 est à mettre en relation avec la chute de l’indice Euribor [un des taux d’intérêt de référence du marché monétaire de la zone euro] et, avec celle-ci, la chute des hypothèques inscrites par rapport à celles concédées; par la suite la nouvelle diminution de cet indice, qui s’est produite dès le milieu de l’année 2011, n’a plus produit de tassement dans le taux des défauts de paiement en raison de la très forte détérioration du pouvoir d’achat (augmentation du chômage et chute du taux de couverture des allocations de chômage).

A cet aspect des effets sociaux de la crise s’ajoute la situation de la frange la plus faible de la population qui a un statut de locataire. Malgré la récente baisse des loyers, la perte de revenus de beaucoup de familles a entraîné une augmentation du nombre de demandes d’évacuation présentées à la justice. Ce nombre est passé de 47’000 en 2003 à environ 70’000 (par année) en 2009, 2010 et 2011. Entre 2008 et 2011, le total des expulsions a donc atteint les 273’000, alors que la tendance antérieure à la crise aurait situé ce chiffre autour des 200’000.

Plus de 600’000 foyers (le 3,5% du total du pays) ont donc perdu leur logement, que celui-ci ait été acheté ou loué, en raison de la perte de pouvoir d’achat découlant du chômage et de la précarisation de l’emploi. Dans ce contexte, les mesures gouvernementales semblent vouloir impulser la  «mort d’un loyer décent», selon l’expression utilisée par la Plateforme des Victimes de l’Hypothèque, en refusant d’introduire le dit «paiement en nature» qui libérerait de leurs dettes les personnes remettant leur logement à la banque auprès de laquelle elles ont effectué leur demande de crédit hypothécaire. En défense de cette revendication et de celle d’un loyer social, une Initiative Législative Populaire (ILP) a été lancée [1]. Le délai de récolte de signatures arrivait à échéance le 31 octobre [il faut réunir 500’000 signatures pour faire aboutir une ILP, en date du 30 octobre 2012, les initiants ont salué les effets positifs de la campagne, mais un nombre important de signatures manquait afin que l’ILP puisse être présentée au Congrès]. (Traduction A l’Encontre)

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[1] L’ILP demandait: a) remettre le bien immobilier à l’entité ayant octroyé le prêt hypothécaire et être, dès lors, libéré de toute dette; b) pour ce qui est du logement normal (habituel), les expulsions doivent être arrêtées quand il s’agit d’impayés qui le sont pour des motifs étrangers à toute volonté de ne pas payer les traites (chômage, chute des revenus); c) le locataire doit pouvoir rester dans son logement en ne payant pas plus que 30% de ses revenus effectifs et cela pour une période de trois ans. (Rédaction)

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Publié le 6 octobre 2012

(Ne sont pas prises en compte dans ce tableau les expulsions prononcées en première instance entre 2007 et 2001, ni les expulsions pour impayés de locataires lors du premier semestre de 2012)

 

  Taux de chômage (rouge) et de défaut sur crédits hypothécaires (bleu)

 

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