Occupy everywhere

Editorial de la revue International Socialist Review de novembre 2011

Le 17 novembre est prévue une journée nationale de mobilisation dans diverses villes des Etats-Unis. Ce mouvement, qui est âgé de deux mois, a transformé partiellement la scène politique américaine. L’occupation et le blocage du port d’Oakland, le 5e port en importance des Etats-Unis, ont marqué un tournant. La journée du 17 novembre, sous cette impulsion, peut marquer une accélération de la mobilisation. Depuis ce mercredi 9 novembre a commencé une semaine d’actions en Californie pour «refinancer l’éducation publique» afin de lutter contre l’augmentation de 200%, depuis 2008, des frais d’inscription dans les diverses institutions du cursus d’enseignement supérieur, augmentation accompagnée de coupes massives dans le financement de l’éducation publique. L’idée d’occuper des bâtiments publics face à l’hiver s’approchant est ouvertement discutée, d’autant plus que des bibliothèques et des bâtiments scolaires ont été fermés pour cause de «réductions budgétaires». Le débat sur l’occupation en accord avec les syndicats de locaux ou avec certains courants religieux d’églises est aussi répandu. Ce n’est pas un débat secondaire. Maintenir dans les villes un lieu central de réunion et d’organisation est décisif. Beaucoup dans l’establishment comptaient sur le froid hivernal pour geler le mouvement OWS. A cela s’ajoutent les discussions sur les plates-formes revendicatives et sur les initiatives prises par le Parti démocrate pour canaliser une partie de l’OWS vers la campagne de réélection de Barack Obama. Le site alencontre, qui a dès le début suivi ce mouvement, y compris son importance, publie ici l’éditorial de l’International Socialist Review, qui fournit un cadre de compréhension de cette nouvelle configuration politique aux Etats-Unis. (Rédaction)

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«Nous sommes les 99%. Nous sommes expulsés de nos foyers. Nous sommes obligés de choisir entre l’achat de nourriture et le paiement du loyer. On nous refuse des soins médicaux de qualité. Nous subissons la pollution environnementale. Lorsque nous avons un emploi nous travaillons de longues heures pour un piètre salaire et aucun droit. Nous ne recevons rien alors que le 1% restant reçoit tout. Nous sommes le 99%.»

C’est la déclaration que l’on peut lire sur la page du site Internet – parmi plusieurs forces qui ont appelé à occuper Wall Street le 17 septembre: «Nous sommes le 99%».

Le mouvement Occupy Wall Street est en train de transformer le paysage politique des Etats-Unis. Presque d’un jour à l’autre, l’amertume et le mécontentement qui bouillonnaient sous la surface sont en train de trouver leur expression dans la compréhension de cette formule: «Nous sommes le 99%».

Le mouvement se nourrit d’un profond courant de colère et de mécontentement qui s’inspire d’événements qui se déroulent partout dans le monde, depuis la révolution en Egypte et l’occupation de la Place Tahrir au mouvement des «indignados» en Espagne et l’occupation du Capitol à Madison, Wisconsin, en février 2011. Il a en outre fourni aux gens une cible claire: Wall Street et la minorité parasite qui a dévasté avec un mépris brutal l’économie et la vie de millions de personnes. Mais la colère ne suffit pas au mouvement, qui est également à la recherche de réponses et vise à obtenir des changements radicaux dans les priorités du système.

D’abord méprisées et ignorées par la presse et par les politiciens, les protestations – qui continuent à se propager dans de nombreuses villes états-uniennes à travers tout le pays, de Portland dans l’Oregon à Columbia en Caroline du Sud – font maintenant les actualités  quotidiennes. Des politiciens ont été obligés de réagir. Même le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, un acteur clé dans le renflouement des banques qui ont provoqué autant de colère, a été obligé d’admettre au sujet des protestataires: «C’est avec quelque justification qu’ils attribuent aux problèmes du secteur financier la responsabilité du pétrin dans lequel nous nous trouvons et ils ne sont pas satisfaits des réponses politiques ici à Washington. Ils n’ont pas tout à fait tort.»

Des millions de personnes ont été inspirées par le mouvement. Un sondage effectué par le Time magazine d’octobre montre que 54% des personnes sondées avaient une opinion «très favorable» (25%) ou «assez favorable» (29%) face à ce mouvement. Seuls 23% avaient un avis «défavorable», alors que 23% disaient ne «pas encore en savoir assez». Le mouvement est devenu un thème de discussion dans des milliers de places de travail, de campus et d’écoles partout dans le pays. Tous les jours de nouvelles personnes – appartenant surtout de la classe travailleuse, de tous âges, origines ethniques et professions – rejoignent le mouvement. Beaucoup d’entre elles participent pour la première fois à une manifestation et deviennent rapidement des organisateurs et des leaders. C’est un peu comme si les gens avaient attendu ce moment et ont le sentiment qu’on leur donne enfin un moyen de s’exprimer et ont envie de faire entendre leur voix.

Le 15 octobre 2011, une Journée internationale de protestations a vu des dizaines de milliers de personnes participer à de telles actions partout dans le monde, de Tokyo à Times Square en passant par Taipei.

Il semble vraiment y avoir l’impression que notre camp peut enfin réagir.

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Plusieurs événements qui se sont déroulés au cours de la première semaine du mouvement Occupy Wall Street ont contribué à ce que ce dernier puisse atteindre des couches plus larges et prendre une dimension nationale. Il y a d’abord eu une manifestation le 22 septembre, le lendemain de l’exécution par l’Etat de Georgie d’un Afro-Américain, Troy Davis, prisonnier dans le couloir de la mort. Elle a rassemblé 1000 manifestants qui ont marché depuis Union Square jusqu’au campement à Zuccotti Park (New York), rebaptisé Place de la Liberté. Cette manifestation de colère, multiraciale (et non autorisée) scandant «Nous sommes tous Troy Davis» a réussi à plusieurs reprises à briser les barrages policiers sur son parcours vers le centre-ville. Cela a aidé à donner à l’occupation un caractère militant et politique, et a fait du mouvement Occupy Wall Street (OWS) un point de focalisation pour différentes luttes.

Le samedi 24 septembre, lorsque les militants ont commencé une manifestation depuis le campement, la police était impatiente de montrer que de telles actions ne seraient pas tolérées. Mais l’assaut brutal et délibéré du Département de police de New York contre les manifestants pacifiques, diffusé par les médias nationaux, a au contraire suscité un large mouvement de sympathie à leur égard. Immédiatement des milliers de nouvelles personnes ont commencé à rejoindre l’occupation.

Enfin, les militants de Occupy se sont adressés aux syndicats, proposant leur solidarité pour des luttes locales telles que la grève au célèbre restaurant Central Park Boathouse (Central Park). De leur côté, d’importants syndicats de la ville de New York ont reconnu l’importance de Occupy Wall Street et lui ont accordé leur soutien, rendant ainsi possible la manifestation du 5 octobre, dirigée par les syndicats, qui a réuni des dizaines de milliers de personnes.

Chaque tentative faite par différents maires de villes et leurs forces de police pour arrêter le mouvement (entre autres à Boston, à Atlanta et à New York) a entraîné des efforts accrus pour défendre les occupations, suscitant des élans d’indignation et poussant  encore davantage de personnes à venir proposer leur soutien. A New York City, le maire Bloomberg a renoncé au projet de dégager le parc pour «nettoyage» le 14 octobre après que des milliers de personnes sont descendues dans Liberty Plaza pour défendre le campement. La fédération syndicale AFL-CIO a notamment appelé à venir défendre le parc.

Un des développements les plus prometteurs au moment où cet article va sous presse [début novembre] est l’émergence de Occupy the Hood (Occupez le quartier), une initiative prise par des militants noirs pour intégrer plus systématiquement la question du racisme dans le mouvement.

Le mouvement est massivement à gauche et exprime les frustrations et les aspirations de gens de la classe laborieuses et des étudiants ayant des difficultés financières. Néanmoins des partisans du libertarien de droite Ron Paul ont commencé à apparaître à certaines des occupations dans le pays, en particulier dans le Sud. Les critiques qu’ils adressent à Wall Street sont orientées à droite: ils s’opposent aux programmes sociaux et veulent un capitalisme sans entraves, ils s’opposent au droit à l’avortement et aux droits des immigré·e·s. D’ailleurs Ron Paul était le seul membre du Congrès qui a voté contre une résolution pour commémorer le Civil Rights Act de 1964. Le mouvement devrait refouler ces forces tout en cherchant à intégrer tous les exploité·e·s et les opprimé·e·s de notre société et à tisser avec eux des liens de solidarité.

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Personne ne peut prédire comment se développera le mouvement, quelle importance il prendra, à quelles villes il s’étendra et combien de temps il durera. Néanmoins d’une certaine manière le mouvement est déjà une réussite dans la mesure où il a pu rétablir la légitimité de la protestation de masse et lancer le début d’une nouvelle gauche radicale aux Etats-Unis.

L’inspiration de Tahrir et de la révolution égyptienne est importante. Bien entendu le mouvement aux Etats-Unis n’est pas à la même échelle que celui de Tahrir, qui a rassemblé des millions de participants et qui avait un but immédiat: celui de renverser un dictateur. Mais le projet d’occuper et de rester sur place – peut-être également inspiré par l’occupation du bâtiment du Capitole à Madison l’hiver dernier – d’abord à New York et maintenant dans beaucoup d’autres villes des Etats-Unis et du monde, a créé un point de ralliement qui peut accueillir et encourager beaucoup de luttes et de causes, un point de rassemblement pour les mécontents et les déshérité·e·s ainsi qu’un terrain de coopération et de débat mutuel. Le mouvement d’occupation crée un environnement qui permet le développement d’une généralisation de la lutte et permet la formation de militant·e·s ayant un sens plus large et plus profond du lien entre les luttes et le sentiment d’avoir un ennemi commun: le capitalisme.

Au cours des toutes premières semaines d’existence, ce mouvement a acquis des réussites rapides et étonnantes. Il a capté l’attention et la sympathie nationales. Il a survécu à des actes répétés de violence et de répression policières. Et il a efficacement intégré des forces sociales plus larges telles que les syndicats et les militant·e·s des quartiers, ce qui peut aider à approfondir et à élargir la base du mouvement. Les organisateurs de Occupy Wall Street se sont fixé l’objectif de maintenir le campement pendant deux mois.  Mais maintenant tout le monde reconnaît que toutes les attentes précédentes ont été dépassées, et qu’il s’agit clairement du début d’un mouvement dont la signification sera beaucoup plus durable.

Mais pour que le mouvement puisse continuer à s’élargir et surtout à intégrer les nombreuses personnes qu’il attire, il devra s’attaquer à des questions politiques clés. Par exemple, tôt dans le mouvement, des militants ont dû affronter la question de la police. Beaucoup de protestataires voient la police comme faisant partie des 99%, et donc comme des alliés potentiels. Mais cette idée est devenue indéfendable lorsque le mouvement a été frappé par des vagues de répression policière. Même si le débat est loin d’être clos, des gens ont commencé à apprendre des leçons précieuses sur le rôle de la police pour le maintien du contrôle social.

C’est ainsi que toutes les questions politiques soulevées au sein de ce mouvement devront être traitées – au cours du processus d’un combat commun. Par exemple un débat collectif a lieu parmi les militant·e·s et dans les médias sur la question de savoir si le mouvement devrait avoir des revendications. Beaucoup de militants appartenant au noyau qui a lancé le mouvement sont opposés à des revendications précises, soit parce qu’elles seraient trop limitées, soit parce qu’elles constitueraient une concession à la structure du pouvoir.  Et il n’y a aucun doute que l’absence de revendications a permis au mouvement de capter un grand nombre de personnes en colère à cause de la cupidité de Wall Street. Mais si le mouvement n’articule pas ses propres revendications, il sera d’autant plus facile à ceux ayant plus de ressources financières, d’organisation et d’accès au pouvoir d’imprimer leur propre orientation au mouvement. Par exemple, il y a des sections du Parti démocrate qui aimeraient beaucoup que ce mouvement devienne une rampe de lancement pour la campagne de réélection de Barack Obama.

Un autre point important et que de plus en plus de personnes qui rejoignent le mouvement ont des besoins urgents auxquels il faut répondre: il leur faut des logements, des emplois, des soins de santé, se libérer des dettes pour les études, etc. La question des revendications est aussi celle de savoir comment approfondir la base sociale et l’organisation de ce mouvement. A mesure que le mouvement s’étend, des pressions dans ce sens apparaissent. Par exemple, l’intégration d’un plus grand nombre de gens de couleur offre la possibilité de lier l’opposition à la répression policière à la politique draconienne de la police et aux tactiques utilisées pour terroriser la population des quartiers des «minorités».

Des étudiants commencent à parler d’une campagne contre Citibank, la deuxième banque à détenir les créances envers les étudiants. Et les syndicats qui sont venus soutenir le mouvement d’occupation ont leurs propres combats qui méritent eux aussi le soutien du mouvement.

Beaucoup de militant·e·s engagés dans ce mouvement se voient, à juste titre, comme faisant partie d’un mouvement international qu’on a vu dans des pays comme l’Egypte, la Grèce, l’Espagne et le Chili. L’émergence de cette lutte au cœur du capitalisme mondial peut être une inspiration pour les gens du monde entier, comme l’a montré la journée internationale d’action du 15 octobre.

Mais le mouvement devra aussi apprendre certaines des leçons des luttes internationales, et surtout que si les occupations de places peuvent constituer un puissant stimulant pour le développement d’une nouvelle gauche renaissante, il faudra un niveau beaucoup plus élevé de mobilisation sociale et surtout d’action de la classe travailleuse pour faire face à l’assaut massif qu’a déclenché le 1%.

Nous sommes tout au début d’un processus pour rebâtir la confiance, la solidarité et l’organisation dont on a désespérément  besoin. Mais c’est un début  impressionnant. Et dans l’actuel climat de mécontentement de masse, le mouvement a le potentiel pour se développer assez rapidement. Du Printemps arabe à l’automne états-unien, la lutte est en marche. (Traduction A l’Encontre)

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L’International Socialist Review est publiée par l’organisation états-unienne ISO.

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