Etat-Unis. Louisiane: l’ouragan Ida a laissé des personnes sans logement et sans emploi. Et se pose la question de la «transition énergétique»

Par Mike Ludwig

NEW ORLEANS, LOUISIANA – Les résidents et les défenseurs des droits des personnes handicapées se préparaient déjà à une vague de difficultés et d’expulsions dans une région économiquement vulnérable lorsque l’ouragan Ida s’est abattu sur le sud-est de la Louisiane la semaine dernière (30 au 31 août), détruisant des maisons et des entreprises et déplaçant des dizaines de milliers de personnes pendant une vague de covid. La tempête a privé des collectivités entières d’électricité et d’eau potable pendant plus d’une semaine. D’innombrables travailleurs se sont retrouvés sans salaire alors que les loyers arrivaient à échéance et que les aides fédérales en cas de pandémie se dissipaient.

Pour les Louisianais qui se trouvaient sur la trajectoire de l’ouragan Ida, la décision de dernière minute d’évacuer leur maison ou de s’abriter sur place en prévision de la tempête mortelle n’était que le commencement. Après le passage de la tempête, ils ont dû supporter des journées de chaleur étouffante sans électricité, mettre des bâches sur les toits qui fuyaient, attendre la remise en marche du service téléphonique et de l’Internet nécessaires pour demander l’aide fédérale aux sinistrés, que beaucoup n’ont toujours pas reçue. Pour ceux qui ont évacué, le coût de la vie sur la route s’est accumulé en même temps que l’anxiété de devoir décider du moment de leur retour dans des vies perturbées et des maisons endommagées.

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Face à une crise du logement qui s’intensifie, une coalition dirigée par un syndicat de locataires de la Nouvelle-Orléans réclame maintenant une aide directe en espèces pour les locataires en difficulté et un nouveau moratoire sur les expulsions jusqu’à ce que toutes les aides fédérales destinées à ceux qui n’ont pas payé leur loyer pendant la pandémie soient distribuées. Alors que le Congrès débat du projet de loi de «rapprochement budgétaire» (budget réconciliation bill) de 3500 milliards de dollars, les groupes de justice climatique de tout le sud du Golfe appellent à des investissements audacieux dans les infrastructures vertes, les énergies renouvelables et en faveur des personnes vivant en première ligne afin de se préparer aux futures tempêtes qui ne font qu’augmenter en fréquence et en puissance avec le réchauffement de la planète.

«La planification et la reprise après une catastrophe climatique doivent être plus équitables et plus durables, et les solutions climatiques doivent venir des gens en première ligne», a déclaré Colette Pichon Battle, directrice exécutive du Gulf Coast Center for Law & Policy, lors d’une conversation avec les journalistes jeudi 9 septembre.

Les activistes sur le terrain craignent que l’intérêt du public pour la région sinistrée ne soit déjà en train de s’estomper, laissant les habitants d’un Etat durement touché par la pandémie de covid vulnérables à la faim généralisée et au manque de logement. L’attention nationale s’est rapidement déplacée vers la côte Est lorsque l’ouragan Ida a déversé de fortes pluies et provoqué des inondations généralisées à New York et dans le New Jersey qui ont fait des dizaines de morts.

Madeline Peters, une organisatrice de l’Assemblée des droits des locataires de la Nouvelle-Orléans, le syndicat de locataires qui demande une nouvelle pause dans les expulsions, a déclaré que le sud-est de la Louisiane était déjà confronté à une crise du logement et à l’insécurité économique avant que la tempête ne frappe.

«Maintenant que nous avons eu une pandémie, maintenant que nous avons eu une tempête, tout le monde est en difficulté», a déclaré Madeline Peters dans une interview après la réunion du syndicat des locataires mercredi 8 septembre. «Ce n’est pas seulement une interruption de l’électricité, c’est une perte de travail qui déstabilise encore plus les ménages et les gens.»

Dans les communes basses et côtières qui ont subi le plus gros de la tempête, la reprise pourrait prendre des années, selon August Creppel, chef principal de la United Houma Nation (population native américaine de Louisiane). Au moins 11 000 des 19 000 membres de la tribu Houma, vivant dans les cinq communes les plus touchées par la tempête, ont été affectés. August Creppel, un pompier qui a travaillé jour et nuit au cours des deux dernières semaines pour porter secours aux sinistrés, a déclaré que la United Houma Nation a passé des décennies à se battre pour obtenir la reconnaissance tribale fédérale et le soutien accru ainsi que des secours en cas de catastrophe.

«Certains de nos concitoyens n’ont que la moitié d’une maison, d’autres n’ont pas de maison où rentrer», a déclaré August Creppel aux journalistes jeudi. «Il ne s’agit pas d’une solution rapide. Ce à quoi nous avons affaire va durer des années.»

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De retour à la Nouvelle-Orléans, les organisateurs craignent qu’une vague d’expulsions n’éclate après l’expiration, le 24 septembre, d’un ordre du gouverneur démocrate de l’Etat suspendant les procédures légales, ce qui aurait pour effet de déplacer davantage les personnes qui ont survécu à la tempête ou qui tentent de revenir après avoir été évacuées.

De nombreux habitants de la Crescent City et de tout le sud-est de la Louisiane occupent des emplois peu rémunérés dans les secteurs des services, du tourisme et de la vente au détail. Ils pourraient se retrouver sans travail ni salaire pendant des semaines. La Louisiane a supprimé les allocations de chômage en cas de pandémie à la fin du mois de juillet. La Cour suprême a annulé un moratoire fédéral déjà faible sur les expulsions quelques jours seulement avant la tempête. Selon la National Low-Income Housing Coalition, moins de 14% des 248 millions de dollars d’aide fédérale d’urgence destinés aux locataires de logements en Louisiane ont été distribués jusqu’à présent, contre 67% au Texas et 100% à New York.

Jeudi 9 septembre, l’Assemblée des droits des locataires de la Nouvelle-Orléans (New Orleans Renters Rights Assembly) a publié une liste de revendications demandant à la ville de maintenir son tribunal des expulsions fermé jusqu’à ce que toute l’aide fédérale au loyer soit distribuée, et au moins jusqu’à la fin de l’année. Le syndicat des locataires a déclaré que 500 millions de dollars supplémentaires d’aide au loyer sont nécessaires dans tout l’Etat. L’été dernier, des manifestants ont bloqué et fermé le tribunal des expulsions de la ville après l’expiration des moratoires locaux et étatiques sur les expulsions. Cette action a fait les gros titres de la presse nationale et exercé une pression sur les décideurs politiques fédéraux pour qu’ils mettent en place un moratoire national sur les expulsions.

Selon les activistes, le programme d’aide au loyer, qui est administré par l’Etat dans les zones rurales et par les autorités municipales à la Nouvelle-Orléans, doit être revu. Au lieu d’exiger des locataires qu’ils produisent une quantité coûteuse de documents et qu’ils versent des aides aux propriétaires, les activistes de la justice du logement de la Nouvelle-Orléans et d’ailleurs affirment que les personnes qui ont pris du retard dans le paiement de leur loyer pendant les périodes de confinement dues à la pandémie devraient recevoir une aide en espèces, un modèle qui a déjà fait ses preuves dans d’autres collectivités. Le syndicat des locataires affirme que la ville doit également fournir un personnel multilingue dédié pour aider les personnes handicapées à faire une demande d’aide au loyer et de secours en cas de catastrophe.

«Nous avons besoin que le gouvernement se concentre sur l’aide et la suive d’une manière qui ne se fasse pas seulement en réaction à l’événement mais soit durable», a déclaré Madeline Peters.

Le syndicat des locataires réclame également le «droit au retour» pour tous les résidents déplacés par la tempête, y compris les locataires qui vivent dans des maisons endommagées. Même si les expulsions légales sont temporairement interrompues, les organisateurs craignent que les propriétaires ne négligent les réparations indispensables, obligeant les gens à vivre dans des maisons inhabitables ou à se déplacer ailleurs. La Louisiane a peu de protections légales pour les locataires. Ils peuvent recevoir un avis d’expulsion après avoir retenu le loyer pour n’importe quelle raison, même si cette raison est un trou géant dans le toit. Les «expulsions invisibles» qui n’ont jamais été contestées devant les tribunaux étaient courantes à la Nouvelle-Orléans et dans tout le pays lorsque le moratoire fédéral sur les expulsions était en vigueur.

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Faisant écho à de multiples groupes de défense de la justice climatique, le syndicat des locataires exige également une transition rapide vers les énergies renouvelables pour une région qui a longtemps été dominée par l’industrie des combustibles fossiles. Selon les rapports, au moins 350 déversements de pétrole ont été signalés dans le sud-est de la Louisiane et dans le golfe du Mexique après le passage d’Ida. Les jours passés sans électricité sous un soleil de plomb ont suscité des appels plus pressants en faveur de l’énergie solaire, solution évidente pour maintenir l’alimentation des habitants pendant une catastrophe naturelle. Si davantage de foyers et d’entreprises étaient équipés de panneaux solaires reliés à des micro-réseaux communautaires et à des banques d’énergie, des milliers de personnes auraient pu continuer à faire fonctionner les réfrigérateurs et les climatiseurs, ce qui peut sauver des vies pendant les vagues de chaleur et autres catastrophes climatiques.

Jennifer Crosslin, organisatrice régionale de Southern Communities for a Green New Deal, a déclaré que les décideurs politiques devraient s’inspirer des communautés du sud du Golfe, comme la Nouvelle-Orléans. Il existe une longue tradition de réponse collective aux catastrophes dans le sud du Golfe, où les activistes ont passé des années à tisser des liens par le biais de l’organisation et l’aide mutuelle. Ces coalitions se regroupent aujourd’hui autour du Green New Deal, un cadre permettant de renforcer la résilience climatique et les énergies renouvelables, nécessaires à la survie à l’ère des catastrophes climatiques.

«Laissons les personnes qui sont enracinées sur place – et qui sont plein d’amour – conduire cette nation vers le type de transformation dont nous savons que nous avons besoin, pour notre bien et pour celui de tous», a déclaré Jennifer Crosslin aux journalistes jeudi.

Les habitants de la Nouvelle-Orléans sont toujours en train de déblayer les débris et de réparer les maisons endommagées après que la majeure partie de la ville a été privée d’électricité pendant plus d’une semaine. De nombreux ménages ont vidé leurs réfrigérateurs pendant la panne de courant. L’odeur des ordures plane dans l’air estival. Dans le Seventh Ward, un quartier populaire situé à environ 1,5 km du quartier français, les voitures faisaient la queue jeudi pour recevoir des bouteilles d’eau et un repas chaud de la part de bénévoles de Step Up Louisiana, un groupe qui se bat pour la justice économique et raciale. Debout au-dessus d’un grill rempli de poulet, Ben Zucker, codirecteur du groupe, a déclaré que des centaines de personnes se présentent chaque jour.

«La pandémie a été le premier coup, et maintenant ceci nous frappe», a déclaré Ben Zucker à Truthout. «Les gens ont déjà faim. Nous voyons cela après chaque tempête.»

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L’aide de l’Agence fédérale de gestion des urgences (FEMA- Federal Emergency Management Agency) n’a pas atteint de nombreux résidents de Louisiane, tandis que d’autres ont reçu des versements de 500 à 1000 dollars pour les maisons endommagées et d’autres coûts. Ce journaliste [l’auteur de l’article] a tenté de déposer une demande d’indemnisation en ligne à trois reprises la semaine dernière, mais le site Web de la FEMA a planté à chaque fois avant de finalement fonctionner mardi 7 septembre, plus d’une semaine après la tempête. D’autres ont passé des heures à attendre par téléphone pour déposer une demande. Les «bons alimentaires» destinés à remplacer les aliments avariés n’ont pas encore été approuvés pour les personnes qui ne sont pas déjà inscrites au programme d’aide nutritionnelle supplémentaire de l’Etat.

Kisha Edwards, membre du comité politique de Step Up Louisiana, a déclaré que la réponse de la FEMA a été lente et que les membres de sa communauté attendent toujours une aide. Leurs demandes de fonds FEMA sont en attente. Kisha Edwards ne comprend pas pourquoi. Tout en emballant des repas chauds à distribuer, Kisha Edwards explique que le bénévolat après une tempête fait partie de la vie en Louisiane.

«Je suis ici pour rendre la pareille, parce que c’est ce que nous faisons», a-t-elle déclaré. (Article publié sur le site Truthout, le 10 septembre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Mike Ludwig est un journaliste de Truthout basé à la Nouvelle-Orléans. Il est également l’auteur et animateur de «Climate Front Lines», un podcast sur les personnes, les lieux et les écosystèmes en première ligne de la crise climatique.

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