Nicaragua. «L’élite au pouvoir»… et les élections de novembre 2021

Par Oscar René Vargas

  1. La nouvelle oligarchie et les membres du grand capital n’ont pas l’habitude de parler d’argent. Personne ne connaît donc l’ampleur exacte de leur empire économique. S’affirme ici la coïncidence entre l’ancienne et de la nouvelle oligarchie afin de dissimuler l’argent accumulé ces dernières années dans un réseau opaque de trusts et de sociétés qui opèrent à partir de paradis fiscaux (Dubaï, îles Vierges, Grand Caïman, Panama, Belize, Etats-Unis, et bien d’autres encore). Cela démontre à quel point les pouvoirs nicaraguayens en place sont pourris et explique les machinations entre le grand capital et la dictature Ortega-Murillo. Ils établissent entre eux les rapports de force politiques et économiques du pays.
  1. Le pacte entre le régime et le grand capital a impliqué un transfert des «excédents» de capital de la sphère publique vers la sphère privée, ce qui, évidemment, n’a pas bénéficié en aucune mesure à la population la plus vulnérable ni aux salarié·e·s. Telle a été la recette de la politique économique mise en œuvre par le régime Ortega-Murillo: remettre les «excédents» générés par les travailleurs ruraux et urbains au capital privé, au capital international et à la nouvelle oligarchie qui s’est développée sous la protection du régime. En appauvrissant le peuple, les élites démontrent qu’elles comprennent, pratiquement, le concept de la lutte des classes. L’avilissement des plus pauvres, sous le règne d’une corruption politique multifacette, favorise le maintien au pouvoir des classes dominantes.
  1. Pour rester au pouvoir, Ortega, dont le gouvernement fonctionne comme une kleptocratie, réprime les mouvements sociaux et les divers secteurs critiques à l’égard de son gouvernement. Des centaines de personnes «ordinaires» quittent le pays chaque jour. Parmi eux, des centaines d’adolescents et de femmes sont contraints de quitter le Nicaragua, où le gouvernement corrompu et dictatorial n’est pas en mesure de fournir les biens de première nécessité qu’exige la survie quotidienne.
  1. Fuyant également la répression aveugle des paramilitaires, ces personnes sont victimes d’un projet économique et militaire qui leur interdit de rester dans leur propre pays et d’avoir un quelconque espoir d’améliorer leurs conditions de vie. Sans aide internationale et face à la pauvreté et à la violence, ces personnes sont obligées de fuir la criminalité organisée par les paramilitaires ou par des forces qui tentent de tirer profit de leur situation… précaire.
  1. Le contexte de la vague d’émigration (ou d’exil) est caractérisé par les facteurs suivants: 1° La concentration des richesses, l’appauvrissement des travailleurs vivant dans une «pauvreté laborieuse» et la crise sociopolitique. 2° L’impact émotionnel et psychologique de l’incapacité du régime à gérer correctement la pandémie de Covid-19. 3° Les avancées de l’inégalité, le manque d’emploi, la corruption, la répression paramilitaire et le fait de ne disposer d’aucune mesure pour minimiser les effets extrêmes de l’inégalité économique. 4° L’hypocrisie des politiciens libéraux, conservateurs, sociaux-démocrates et sociaux-chrétiens et de bien d’autres dans leur relation avec la dictature de la part ce qui en fait des politiciens complices de la dictature. 5° Le silence complice des banquiers et des grands hommes d’affaires qui refusent de voir – sous l’emprise de leurs intérêts à court terme – l’origine de la faillite politique et morale du système économique et dictatorial qui nous gouverne.
  1. Que craignent les libéraux, les conservateurs, les indépendants et les grandes entreprises? Ils craignent ce qu’ils prétendent hypocritement défendre: l’Etat de droit, la lutte contre la corruption et l’impunité et les libertés d’expression et de conscience qui permettent de voter contre les privilèges de caste et de classe. D’où leur refus de s’allier à ceux qui combattent, sans céder, la dictature d’Ortega-Murillo. Certains membres du «pouvoir en place» prétendent être des démocrates alors qu’ils ne se différencient pas, dans les faits, du régime. Ortega-Murillo n’existerait pas sans leur bénédiction.
  1. Où ira le Nicaragua après la farce électorale de novembre 2021? Clairement vers le parti unique, où en plus du parti «Orteguiste» existera un certain nombre de partis qui décorent le paysage politique, mais qui n’ont et n’auront aucune influence sur l’élaboration des politiques publiques. Et ils ne luttent pas – et ne lutteront pas – pour la libération des prisonniers politiques et pour le retour en sécurité des exilé·e·s.
  1. Ceux qui vont participer avec Ortega à cette farce électorale sont des partis fabriqués par lui, ce sont des gens qui se prêtent à cet opéra-bouffe. Le régime leur promet, en échange de cette participation à ce cirque, de recevoir un ou deux sièges à l’Assemblée nationale et/ou quelques postes dans l’appareil d’Etat. Ortega obtiendra sûrement environ 70% des députés à l’Assemblée nationale; le reste sera réparti entre les partis. Nous sommes confrontés à une dictature qui n’a pas de limites, qui ne se fixe aucune limite, ce qui la mènera, certes, à son propre désastre…(avec le pays).
  1. Entre 2018 et 2021, tout le monde a commis des erreurs politiques de divers ordres : tactiques, stratégiques. Or personne n’assume la responsabilité de ces erreurs et personne ne veut en parler. Ces erreurs nous indiquent qu’il est nécessaire de développer une stratégie fondée sur une analyse plus précise de la réalité et en tenant compte de la nouvelle situation après les élections de novembre 2021. L’unité des forces d’opposition, celles qui recherchent un véritable changement, est un élément décisif dans la lutte contre la dictature, et encore à un degré supérieur lorsque les forces politiques choisissent de renverser la dictature par des moyens pacifiques.
  1. Dès lors, à plus ou moins court terme, nous devons élaborer une stratégie commune et, à moyen terme, construire un instrument de lutte unitaire, efficace, pour vaincre la dictature. La défaite politique de l’opposition formelle [hommes d’affaires, politiciens traditionnels et politiciens «zancudos», soit les politiciens qualifiés de «moustiques» car ayant collaboré avec le dictateur Anastasio Somoza García, qui a régné, de fait, de 1936 à 1956] a ouvert un débat sur les leçons à tirer. Cela est positif. Nous avons besoin de nouvelles expériences de lutte pour faire émerger de nouvelles générations de militant·e·s qui puissent créer des brèches dans un espace politique qui semble aujourd’hui «saturé». Il s’agit donc d’accumuler des forces pour les nouvelles batailles politiques qui nous attendent. Il est nécessaire que nous gardions des espaces politiques ouverts, même restreints, afin que nous puissions élaborer une stratégie unificatrice qui nous permettra de constituer les éléments d’un contre-pouvoir alternatif pour sortir de la dictature. (Notes reçues le 6 octobre 2021; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

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