Par Ludovic Lamant
«Les dangers sous-évalués de l’Europe des diktats». Voilà le titre de l’éditorial du quotidien financier italien Il Sole-24 Ore du lundi 13 juillet. Développement: «Par le passé, les ultimatums étaient lancés aux ennemis pour leur donner le choix entre la guerre ou la capitulation. Dans l’Europe, la pratique était tombée en désuétude au cours des dernières 70 années. Mais rien n’est définitif, évidemment. Aujourd’hui, dans un contexte différent, l’Eurozone adresse les diktats sans canons et ils sont adressés à des partenaires qu’il est difficile en général d’assimiler à la catégorie d’ennemis.» «Après qu’Alexis Tsipras s’est rendu à Canossa, se couvrant la tête de cendres et acceptant de capituler face à toutes les exigences des créanciers, il a offert quelque chose de plus afin de mettre fin à l’asphyxie financière du pays. Malgré cela, le sommet de la réconciliation est devenu celui des diktats. Les partenaires (?) ont donné trois jours – pour l’exactitude 72 heures – à Athènes afin d’obtenir l’approbation du Parlement sur 1° la réforme de la TVA avec un élargissement de la base imposable, 2° l’amélioration de la soutenabilité du système des retraites en vue d’une réforme globale, 3° l’adoption d’un code procédure civile pour accélérer les procédures et en réduire les coûts, 4° la sauvegarde de l’indépendance de l’office des statistiques (Elstat), 5° la mise en œuvre des règles de la stabilité budgétaire (Fiscal Compact) avec l’introduction de coupes automatiques des dépenses en cas de déviation des objectifs du surplus budgétaire primaire, avant une approbation de la Troïka, 6° la transposition de la directive qui règle les bail-in [conversion des créances en actions de l’établissement] en cas de défaut des banques.» Difficile de pointer mieux la nature du diktat. En page 7, le titre explicite un des objectifs: «A la bourse, soutien aux privatisations».
Dans la foulée, un article analyse ce qui est explicite dans le titre: «La firme danoise Maersk contre les Chinois de Cosco pour la conquête du Pirée». La course aux privatisations s’accélère dans tous les secteurs publics. Comment votera le Parlement 72 heures après les diktats? Comment la coalition Syriza s’affrontera à cette occasion? Des premières indications nous ont déjà été données le 11 juillet au matin. Quelle sera la configuration du gouvernement grec dans les semaines à venir? Plusieurs types de plan B seront débattus en Grèce, même si Merkel déclare le lundi 13 juillet: «Il n’y a besoin d’un plan B.» Dans cette Allemagne, Oskar Lafontaine (Spiegel, 11 juillet) affirme: «L’euro représente un recul dans le projet historique de l’Intégration européenne.»(Rédaction A l’Encontre)
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Il aura fallu dix-sept heures de négociations pour enfin parvenir à un accord! Les discussions du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro sur les modalités d’un nouveau plan de sauvetage de la Grèce se sont achevées lundi matin 13 juillet à 9 heures – peu avant l’ouverture des bourses européennes. Donald Tusk, président du Conseil européen, a annoncé l’accord en ces termes: «Le sommet de la zone euro a trouvé un accord à l’unanimité. Sommes tous prêts pour un programme d’aide pour la Grèce via le Mécanisme européen de stabilité (MES), avec des réformes sérieuses et un soutien financier.»
«Il y a des conditions strictes à remplir. (…) Cette décision donne à la Grèce une chance de se remettre sur le droit chemin avec le soutien de ses partenaires européens», a commenté Donald Tusk. Interrogé par une journaliste sur «la perte de souveraineté» qu’organise ce plan, François Hollande a répondu: «Il a été demandé par les ministres des finances, puis par les chefs d’Etat, que des réformes soient votées par la Grèce d’ici le milieu de semaine, pour que les Parlements nationaux, qui vont voter dans la semaine, puissent avoir confiance. (…) Il fallait rétablir la confiance. Ce n’est pas une tutelle mais une preuve de bonne foi.»
Jusqu’au bout, les deux points durs ont porté sur le rôle du Fonds monétaire international dans ce plan et sur les modalités des privatisations massives exigées par les Européens, en particulier l’Allemagne. Tout au long des deux jours de tractations (un Eurogroupe s’est tenu samedi et dimanche matin), Berlin aura affiché une fermeté sans précédent.
Le sommet des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro s’était d’ailleurs ouvert dimanche après-midi à Bruxelles, sur fond d’un regain de tensions entre Paris et Berlin sur la Grèce. «Il n’y aura pas d’accord à n’importe quel prix», prévenait Angela Merkel à son arrivée. «La France va tout faire pour trouver un accord ce soir», lui répondait François Hollande.
De son côté, Alexis Tsipras, le premier ministre grec, disait espérer un «compromis honnête». Quant à Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, il promettait de «(se) battre jusqu’à la dernière milliseconde pour un accord». État des lieux de cet accord qui doit encore être ratifié par plusieurs parlements nationaux.
Quel était le premier enjeu?
À défaut d’un feu vert pour un nouveau plan d’aide, qui est vite apparu hors de portée dimanche soir, les membres de la zone euro avaient besoin, dès lundi matin, d’envoyer un signal politique à Mario Draghi, le patron de la Banque centrale européenne (BCE), s’ils voulaient éviter la sortie de la Grèce de la zone euro. Draghi était présent à Bruxelles et participait aux discussions. Il voulait savoir s’il y avait encore une chance de débloquer un nouveau plan d’aide pour Athènes, dans les jours à venir, et lui éviter le défaut. «Pendant les discussions, Draghi dit toujours qu’il est indépendant, mais qu’il a besoin d’un cadre politique pour prendre les bonnes décisions», racontait un témoin des négociations.
Depuis des semaines, le système bancaire grec ne tient plus qu’à un fil, grâce aux «liquidités d’urgence» débloquées par l’institution de Francfort. À tout moment, la BCE, indépendante par ses statuts, peut estimer que ce programme (dit ELA, pour emergency liquidity assistance) est caduc. Si l’institution décidait d’en finir avec ce programme, elle mettrait en péril les banques grecques – ce qui pourrait obliger Athènes, dans la foulée, à émettre une nouvelle monnaie.
Mardi, la BCE a choisi de maintenir le plafond des fonds d’urgence des liquidités (ELA), à 89 milliards d’euros, mais surtout de durcir l’accès pour les banques emprunteuses grecques à ce fonds. Ce qui a été perçu comme un énième tour de vis de la banque de Francfort, et renforce un peu plus la perspective d’un Grexit. En clair, les jours sont comptés et ce sommet de la zone euro était l’une des dernières occasions.
Du côté de la présidence du Conseil européen, la volonté était bien d’obtenir un texte, d’une manière ou d’une autre. «Les “durs” ont le réflexe de repousser. Mais c’est compliqué de repousser, assurait dimanche midi un diplomate européen. L’objectif est d’arriver à quelque chose d’ici ce soir.» C’est l’une des raisons pour lesquelles le Polonais Donald Tusk, à la tête du Conseil européen, a choisi d’annuler sa tenue à 28, initialement prévue plus tard dans la journée de dimanche: il voulait donner tout le temps au sommet de la zone euro pour qu’un accord finisse par émerger…
«Le sommet à 28, qui a été annulé, était un format idéal pour discuter d’un éventuel “plan B”», confiait dimanche un diplomate, en référence au Grexit. «Les dirigeants ne travaillent plus aujourd’hui que sur un plan A», assurait-il, misant alors sur un début d’accord dans la soirée.
Les nouvelles exigences des créanciers
L’Eurogroupe s’est profondément divisé samedi, entre des faucons, emmenés par l’Allemagne, partisans d’une ligne dure à l’égard d’Athènes et qui n’excluent pas un Grexit, et des capitales plus prudentes, comme Paris, qui estiment que la Grèce a déjà fait d’importantes concessions. Mais des «avancées», du point de vue des créanciers, ont été réalisées dimanche. «Ça a été extrêmement dur et violent hier. Une bonne partie des ministres avait en tête que la seule solution était le Grexit. Nous nous sommes dit les choses. Cette dureté a payé. Ce matin, l’atmosphère était plus calme. Un texte a permis d’avancer», explique un témoin des discussions.
Les ministres de l’Eurogroupe se sont séparés dans l’après-midi, avec, selon le Belge Johan Van Overtveldt, «un accord sur à peu près 90 %» du texte final. Signe qui ne trompe pas, le Finlandais Alexander Stubb, l’un des plus durs durant la négociation, jugeait alors que «des progrès ont été faits» dimanche midi. Quant au président de l’Eurogroupe, le Néerlandais Jeroen Djisselbloem, il devait faire un rapport oral aux chefs d’État et de gouvernement, en ouverture du sommet de la zone euro.
Ce document de quatre pages, qui évoque un plan d’aide compris entre 82 et 86 milliards d’euros (très supérieur aux premières estimations grecques), contient quelques éléments entre crochets : ce sont les points les plus sensibles, ceux que les chefs d’État et de gouvernement vont devoir trancher, s’ils y parviennent.
Sur le fond, le débat s’est concentré sur deux exigences :
• Athènes doit prouver sa détermination, pour restaurer la « confiance » perdue après l’organisation du référendum, jugent ses partenaires. Le vote sur le mandat de négociation, remporté haut la main par Alexis Tsipras au parlement grec (251 élus sur 300) dans la nuit du vendredi à samedi, n’a semble-t-il pas suffi. Les créanciers ont demandé l’adoption – ou l’introduction au Parlement – d’un texte de loi d’ici mercredi 15 juillet. Ce texte intégrerait certains des éléments les plus durs des réformes voulues par les créanciers.
Voici l’idée : l’ouverture d’un nouveau plan d’aide ne pourrait avoir lieu qu’une fois des changements adoptés sur la TVA et les retraites, ou encore des garanties apportées sur l’indépendance de l’office des statistiques. Dans la foulée, les six parlements nationaux de la zone euro, parmi lesquels le Bundestag allemand, dont le feu vert est nécessaire à l’ouverture d’un nouveau plan pour la Grèce, pourraient se prononcer d’ici la fin de semaine.
• Athènes doit répondre à des «attentes supplémentaires». Puisque la Grèce demande désormais un plan d’aide sur trois ans, jusqu’en 2018, les conditionnalités fixées en juin, qui correspondaient à un prêt plus modeste, de sept milliards d’euros, censé permettre à la Grèce de tenir jusqu’à l’automne, ne suffisent plus, ont jugé certaines capitales.
Berlin a poussé pour la création d’un fonds cogéré par les Européens, dans lequel Athènes apporterait des actifs d’une valeur de 50 milliards d’euros, qui seraient destinés à être privatisés, pour rembourser une partie de la dette publique grecque. Ce fonds, qui pourrait être basé à Luxembourg, était déjà mentionné dans le document allemand du 10 juillet, révélé samedi par la Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Dans l’esprit des Allemands, ce mécanisme doit permettre d’éviter des procédures mafieuses, qui ont entaché nombre des privatisations lancées ces dernières années (et qui profitaient en particulier à des familles proches de certains partis politiques). «Si l’on ne trouve pas de compromis là-dessus, ce sera un problème lourd du côté allemand», prévient une source au fait des discussions. Pour les Grecs, le montant de 50 milliards d’euros est parfaitement irréaliste: outre l’abandon de souveraineté que constituerait ce transfert d’actifs, les Grecs évaluent les sommes à retirer des privatisations à 17 milliards d’euros. Finalement, l’accord précise que le Fonds d’actifs grecs sera basé en Grèce, planifié à 50 milliards d’euros. Des experts décideront de la composition de ces actifs.
Mais si l’on lit l’intégralité du document qui a été en débat, la liste des demandes allait beaucoup plus loin. L’objectif d’un excédent budgétaire (c’est-à-dire sans les charges de la dette) à 3,5 % du PIB en 2018, objectif qui semblait hors de portée aux yeux des créanciers, est maintenu. Ce qui implique qu’Athènes va devoir compenser en annonçant sans doute d’autres économies…
Il est aussi question, par exemple, de la poursuite de la privatisation d’un opérateur d’électricité (ADMIE), ou encore de réformer de manière «vigoureuse» le marché du travail, les conventions collectives, ou encore les licenciements collectifs, «conformément à l’approche suggérée par les institutions». Et de préciser : «Tout changement doit reposer sur les meilleures pratiques internationales et européennes, et ne devrait pas entraîner un retour aux arrangements politiques passés, qui ne sont pas compatibles avec les objectifs d’une croissance soutenable et inclusive.»
Précision importante, qui en dit long sur l’intensité des débats, le projet de texte de l’Eurogroupe a bien inclus – mais en toute fin de document, et entre parenthèses – l’hypothèse d’un Grexit «provisoire», formule identique à celle imaginée par Berlin dans le document du 10 juillet. Officiellement, les ministres avaient assuré samedi qu’il n’avait pas été question de Grexit lors de leurs échanges… Quant au fardeau de la dette, toujours entre crochets (c’est-à-dire que le passage doit être débattu par les chefs d’État et de gouvernement), figure l’idée d’un rééchelonnement de la dette (un allongement du calendrier pour rembourser les prêts). Mais il n’est question ni d’annulation partielle ni de restructuration.
D’ores et déjà, les nombreuses mesures détaillées qui ont été rendues publiques organisent comme une mise sous tutelle extrêmement ferme du pouvoir grec. Il n’est ainsi pas certain qu’à l’issue de ce sommet, qui apparaît comme une humiliation supplémentaire de la Grèce, Alexis Tsipras puisse faire accepter un tel plan à son parti Syriza et à sa majorité parlementaire. (Article mis en ligne le dimanche 12 et mis à jour le lundi 13 juillet au matin, sur Mediapart)
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