C’est une vidéo spectaculaire (voir sur ce lien: http://www.elmundo.es/elmundo/2013/09/17/espana/1379407663.html). Des images nocturnes, diffusées par la Garde civile espagnole, montrant des centaines d’immigrants clandestins venus d’Afrique, en train de franchir la frontière entre le Maroc et l’Espagne, en escaladant trois clôtures de plusieurs mètres de haut, dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
Des assauts massifs, titre ce 18 septembre le quotidien El Mundo. Et c’est vrai que sur les images, le flot des clandestins y est ininterrompu. De véritables avalanches de migrants, commente son confrère El Pais. Le 17 septembre, à l’aube, les «assaillants», comme les appelle dans la presse le préfet de Melilla, ont détruit 40 mètres de grillage. Et ils sont parvenus à renverser complètement une partie de la clôture frontière, avant d’entrer en territoire espagnol, tout en lançant des objets contre les forces de sécurité postées de l’autre côté et qui tentaient de contenir l’assaut. Six gardes civils ont été blessés, ainsi qu’un immigrant dont la jambe s’est fracturée après être tombé de la clôture. Au total, plus d’une centaine de personnes seraient ainsi parvenues à entrer en territoire espagnol. Elles doivent, à présent, être transférées au centre d’accueil temporaire des immigrants, centre qui abrite désormais le double de sa capacité.
Cet «assaut», comme le décrit la presse espagnole, intervient quelques jours seulement, après que des discussions au bureau du haut-commissaire aux droits de l’homme pour les Nations unies ont été engagées sur le respect des droits des travailleurs migrants au Maroc. Or, face à l’état des lieux optimiste présenté par le gouvernement de Rabat, cinq associations ont transmis des rapports alternatifs nettement plus alarmants. Véritable point noir de la gestion marocaine des migrations, précise ce matin le portail d’information Yabilaadi, les expulsions de personnes en situation irrégulière ont notamment été pointées du doigt. En 2012, 191 incidents ont été enregistrés et plus de 6000 personnes ont été expulsées. Parmi elles, des femmes enceintes, des mineurs, des enfants et plus de 500 personnes qui avaient besoin de soins médicaux, pour des blessures liées à la violence, ont été expulsées au cours de l’année. Et pour toute réponse, poursuit l’article, le gouvernement marocain, lui, nie en bloc, comme à l’ordinaire.
Il faut dire que le Maroc est devenu, ces dernières années, l’une des principales routes de «migration illégale» en Europe, depuis l’Afrique subsaharienne. Ainsi, au cours des trois premiers mois de cette année, on estime à près d’un millier le nombre d’individus qui ont réussi à passer en Espagne à la nage, en bateau ou en franchissant des grillages. Sauf que dans le même temps, ils sont près de vingt mille à se trouver pris au piège en zone de transit. Pris au piège, car pour de nombreux migrants subsahariens, le voyage s’achève en effet par un séjour semi-permanent au Maroc, où les forces de police, financées par l’Union européenne (UE) à coups de dizaines de millions d’euros, violent les droits humains fondamentaux.
C’était justement l’objet d’un article, publié la semaine dernière par le quotidien britannique The Guardian et cité par Presseurop. Et qu’y apprend-on? Que deux pratiques, en particulier, devraient logiquement appeler une réponse de la part de l’UE qui finance cette opération. La première porte sur le renvoi présumé, sur le territoire marocain, des réfugiés repêchés dans les eaux espagnoles, ce qui est une infraction au droit d’asile. Et la seconde consiste à abandonner des migrants, détenus au Maroc dans le désert, de l’autre côté de la frontière algérienne, ce qui est de toute évidence illégal.
Et le journaliste britannique de raconter. «Dans un bidonville des environs de Tanger, autour d’une bouilloire sifflant sur le feu, une douzaine d’hommes allongés sur des coussins défoncés et des couvertures élimées, m’interrogent: “Pourquoi les Européens sont-ils aussi déterminés à nous empêcher d’entrer?” Je leur livre la vérité crue, parce que beaucoup de Blancs pauvres, pensent que vous venez leur voler leurs emplois, réduire leurs salaires et détruire leur culture. Ma réponse semble les déconcerter. “Mais eux, ils sont venus dans mon pays”, s’insurge notamment Ibrahim. “Et ils soutiennent le président, le salaud à cause duquel nous ne pouvons plus vivre chez nous.”»
On pourrait comprendre, que l’Europe cherche à renforcer la capacité du Maroc à surveiller son côté de la frontière, où la police dresse, certes, des barrages routiers à intervalles réguliers, mais à distance respectable des échoppes d’essence de contrebande et des fumeurs de haschich. En revanche, il est beaucoup moins compréhensible, poursuit l’article, que l’Europe tolère les violations des droits fondamentaux des migrants. A moins, bien entendu, que comme dans le cas de la répression des immigrés en Grèce (voir ci-dessous), tout cela ne soit fait que pour bafouer à grande échelle l’obligation officielle de traiter les migrants humainement et donc de dissuader les candidats à l’exil.
Et l’article de The Guadian d’en conclure, mieux l’agence européenne de surveillance des frontières «fait son travail »et plus la pression organisée monte dans des pays comme le Maroc, qui se soucient peu de droits de l’homme et doivent déjà gérer d’immenses problèmes de pauvreté au sein de leur propre population. Seulement voilà, dès que tout cela se passe derrière les barbelés des frontières de l’Europe, alors la responsabilité de l’UE disparaît et avec elle la capacité à dénoncer les faits. (18 septembre 2013, chronique sur France Culture à 7h24)
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Les damnés d’Amygdaleza
Une délégation de SYRIZA, de communautés de migrants et d’organisations contre le racisme (parmi lesquelles le mouvement «Expulsez le racisme») s’est rendue au camp de rétention d’Amygdaleza [1], ayant obtenu pour la première fois, le 6 septembre 2013, l’autorisation d’y entrer. Le Ministère de l’ordre public a accordé l’autorisation 27 jours après la mutinerie (après avoir refusé trois fois les demandes d’enquêtes de SYRIZA au mois d’août). Durant les quelques heures de présence de la délégation, les membres se sont entretenus avec des dizaines de migrants et de réfugiés détenus. Voici quelques exemples de ce qu’ils dénoncent (les noms ne sont pas publiés, pour des raisons évidentes).
Témoignage 1
Il était 8h30 ou 9h00 du soir. On nous avait déjà annoncé que la détention de tout le monde allait être prolongée, pour passer de 12 à 18 mois. À un moment donné, dans l’aile 10, un jeune a quitté le containeur pour demander de l’eau. On ne pouvait plus être dans la cour et « normalement » il devait se trouver dans le containeur. Des agents ont commencé à le tabasser. Le jeune est tombé. Ils ont continué à lui donner des coups de pied, alors qu’il était par terre. Après ça, il restait là, immobile. Nous pensions qu’il était mort. Les autres sont sortis et commencé à lancer des pierres et tout ce qu’ils trouvaient devant eux. C’est comme ça que la mutinerie a commencé…
Témoignage 2
Je suis là depuis 4 mois. Quand je suis arrivé, ils ont gardé mon passeport. Deux mois après mon arrivée j’ai fait une demande de rapatriement «volontaire» parce que je ne pouvais pas supporter les conditions, ici. On m’a dit que ma demande avait été rejetée parce qu’on n’arrivait pas à m’identifier. Ils refusent avoir pris mon passeport.
Témoignage 3
Si un des nôtres vient nous voir aux heures de visite, on le laisse nous voir pour une minute, tout au plus. On nous laisse recevoir uniquement des cartes de téléphone, des cigarettes et de l’argent.
Témoignage 4, 5 & 6
Je suis (Quand je suis arrivé, j’étais) mineur. Mes papiers indiquent une autre date de naissance. On me détient illégalement.
Témoignage 7
Je devais aller au tribunal à propos d’un recours que j’avais introduit contre la décision d’expulsion me concernant. On ne m’a pas amené au tribunal. On ne me dit pas ce qui s’est passé.
Témoignage 8
Dans notre aile, la climatisation fonctionne uniquement de 2 à 4 heures, à midi. Le reste du temps, nous cuisons
Témoignage 9
Depuis juin, un mois et demi avant la mutinerie, il n’y avait plus d’électricité dans l’aile
Témoignage 10
La climatisation ne fonctionne plus depuis le mois de mai dans cette aile.
Témoignage 11
Lors de la mutinerie, ils frappaient sans discrétion. Ils se sont tous fait tabassés pour rien
Témoignage 12
On s’en est pris plein la gueule après la mutinerie. Ils nous insultent et nous frappent, quand l’heure de la cour est finie. Si on sort la tête par la fenêtre ou le pied par la porte, on nous frappe.
Témoignage 13
On nous donne 1 savon tous les 2 mois pour 4 personnes. Du détergent pour la lessive, un petit gobelet par container (8 personnes), qui est vite fini et, ensuite, nous lavons notre linge à l’eau, sans détergent. Beaucoup de gars ont des problèmes de peau.
Témoignage 14
T’as un problème et tu demandes à voir un médecin. On vous dit «Pourquoi? Quand tu étais dehors, t’allais chez le médecin? T’as un livret de santé IKA peut-être?»
(NdT: IKA, organisme de sécurité sociale des employés)
Témoignage 15
Trois fois par semaine, les policiers viennent nous dire que nous devons signer pour rentrer au pays, pour ne pas passer le reste de notre vie ici. Mais, même ceux qui ont signé, sont toujours ici, détenus.
Témoignage 16
J’ai très mal à tous mes os, depuis plusieurs mois. On me permet d’aller à l’infirmerie du camp quand mes pilules (cortisone) sont finies et on m’en donne d’autres. J’ai demandé plusieurs fois à aller à l’hôpital pour consulter un médecin, mais on me dit tout le temps qu’on attend voir quand le rendez-vous sera fixé, mais il n’est jamais fixé. J’ai très peur.
Témoignage 17
On ne nous donne pas de balai, pas de serpillière, pas de seau.
Témoignage 18
La nourriture est dégueulasse et en très petite quantité.
Témoignage 19
De la viande (poulet) on en mange une fois tous les 15 jours.
En conclusion, le mouvement «Expulsez le racisme» a indiqué:
«Nul besoin d’ajouter de commentaires. Nous y sommes allés et nous sommes repartis l’estomac en compote. 27 jours après la mutinerie, nous unissons notre voix à celle des migrants et des réfugiés détenus: que ces lieux de torture ferment. Rien de moins que cela ne sera suffisant.» (Information d’Okeannews)
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[1] Le camp d’Amygdaleza, au nord-est d’Athènes, en plein mois d’août 2013, a connu le soulèvement de migrants, retenus dans des conteneurs, sans électricité: de véritables fours. Les gardiens leur répondant: «Cela ne nous fait rien si vous mourez.» Selon la police l’électricité était coupée pour des raisons de maintenance. A cela s’ajoutait l’annonce que la durée de détention dans cet enfer passerait de 12 mois à 18 mois. Des dizaines de milliers de migrants sont aussi «pris au piège» en Grèce. Et sont une des cibles des néonazis d’Aube Dorée qui, dans les sondages, obtiennent 13,5% des intentions de vote. (Réd. A l’Encontre)
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