Catalogne-Etat espagnol. Communiqué d’Anticapitalistas sur la situation en Catalogne

Miguel Urban, député européen d’Anticapitalistas, et le docteur Luis Montex

Le 27 octobre, remplissant le mandat du référendum du 1er octobre auquel ont participé plus de 2 millions de personnes malgré la répression policière, le Parlament de Catalogne a proclamé la République catalane. Dans une Espagne dont la monarchie a succédé directement au dictateur Franco [1], une République ouvrant un processus constituant est sans aucun doute une proposition qui rompt avec le régime de 1978, avec ses consensus politiques et avec son ordre constitutionnel au service des élites. Cette proclamation a lieu dans un contexte de menaces constantes pour appliquer l’article 155 et donner une issue autoritaire à un conflit alors qu’elle devrait être éminemment politique et démocratique.

De fait, au cours des derniers jours on en est venu à menacer d’appliquer l’article 155 quoi qu’il se passe, quoi qu’il soit fait. Nous appelons à rejeter l’application de l’article 155 et à la défense démocratique, pacifique et désobéissante de la volonté du peuple catalan et de son droit à décider.

Il est important, en cette période d’exacerbation des passions patriotiques, de définir correctement les responsables des faits. Le Parti populaire (PP), aiguillé par Ciudadanos, avec le soutien du PSOE et la pression des appareils de l’Etat, avait décidé d’appliquer l’article 155 de la Constitution. L’objectif de cette mesure n’est autre que de rendre un possible un dialogue entre la Catalogne et le reste de l’Etat, criminalisant le peuple catalan, refusant de permettre la solution du référendum négocié et justifiant l’utilisation de la force pour résoudre un problème politique. Une mesure irresponsable, qui cherche à réorganiser l’unité de l’Etat sur la base de rapports autoritaires.

 Nous sommes conscients que s’ouvrent de nombreuses inconnues et incertitudes. Endormir le peuple avec des slogans faciles est le propre d’une conception de la politique qui se dérobe devant le débat démocratique et qui se considère acteur d’une histoire faite en réalité par les gens ordinaires.

La nouvelle République catalane fait face à des défis internes qu’elle ne peut contourner, dans un pays où un secteur important de la population ne se sent pas représentée par l’indépendantisme. Le premier défi du processus est d’œuvrer à panser cette division, en intégrant les secteurs populaires non indépendantistes dans son projet de pays [des centaines de milliers de travailleurs, venant d’Andalousie, de Murice, d’Estremadure, etc. se sont établis en Catalogne entre les années 1950 et 1970], évitant un déchirement social qui bénéficie uniquement aux forces réactionnaires, tout en organisant un mouvement à même de résister à la répression de l’Etat.

Le processus constituant doit servir à aller dans cette direction, intégrant les demandes des classes populaires qui vont au-delà du thème national, qui placent les questions sociales au centre et qui aillent dans le sens d’une démocratisation radicale de la Catalogne.

Au sein de l’Etat espagnol, nous vivons une vague de réaction complexe. De nombreuses personnes, y compris des gens de gauche, se sentent blessés et déchirées face aux événements de Catalogne. S’il est vrai qu’une bonne partie de ce sentiment est canalisé par une réaction catalanophobe, héritière des pires sentiments du franquisme, lorsqu’il n’est pas l’expression violente de l’extrême droite dans la rue, il existe un large secteur de la population qui observe avec une préoccupation sincère ce qui se passe en Catalogne, et qui mise en faveur du dialogue et de la négociation, pour le retour à la politique.

De notre point de vue, ce qui est fondamentalement en jeu, c’est la possibilité des gens à pouvoir décider de leur avenir. Si le peuple catalan souffre une défaite et qu’il est écrasé par le PP et ses complices, lorsqu’un territoire, une municipalité, une communauté ou un secteur social décide avec volonté sur toute question, il sera écrasé avec la même logique que celle avec laquelle le PP et l’Etat cherchent à écraser aujourd’hui la Catalogne.

Il s’agit là de la question centrale, qui va au-delà du thème national et qui place au centre la question de la souveraineté populaire: ce sont les gens qui ont le droit à décider, il s’agit là de la base de la démocratie, et la loi doit être au service de la démocratie et non l’inverse.

D’un autre côté, il existe d’autres solutions et type de relation entre les peuples qui aillent plus loin que celles qui ont été traditionnellement imposées au sein de l’Etat espagnol. La stratégie d’ouverture de processus constituants a pour idée centrale l’élaboration d’un projet de société dont les acteurs doivent être les classes laborieuses et populaires, les femmes, les migrant·e·s, toutes les personnes qui n’ont pas de pouvoir politique et économique aujourd’hui mais qui sont indispensables.

Cela peut aussi être une méthode pour résoudre les problèmes historiques de l’Etat espagnol sur le terrain national, une manière de réarticuler les relations entre les peuples en égalité, où, sur la base du respect du droit à décider et de ses résultats, on cherche à rétablir les ponts d’une union que l’actuel rapport imposé et autoritaire de l’Etat central dynamite, construisant des formes de coopération et de dialogue entre les gens d’en bas pour construire une société alternative aux élites politiques et économiques. Une opportunité pour construire un nouveau cadre de cohabitation fraternelle qui nous permette d’aspirer non seulement à récupérer mais aussi à conquérir de nouveaux droits sociaux et démocratiques pour les classes populaires.

5° Nous savons que notre position est difficile dans un contexte tel que celui d’aujourd’hui. Pour cette raison, il nous semble fondamental de débattre, de dialogue entre les différentes positions démocratiques, mais aussi de s’opposer à la régression autoritaire qu’envisage l’Etat avec l’excuse (tout autre aurait pu être utilisée) de la question catalane.

Défendre le peuple catalan qui souffrira de l’application brutale de l’article 155 ne revient pas à défendre seulement les indépendantistes, mais aussi être aux côtés du 80% de la population catalane qui réclame un référendum et une issue démocratique à ses revendications et au 20% restant qui perdra [aussi] le gouvernement autonome. Il s’agit de défendre la possibilité d’une issue démocratique face aux contraintes de l’Etat. C’est le moment d’(ré)initier la construction patiente d’un projet qui dépasse le régime de 1978, à même de construire des relations fraternelles entre les peuples de l’Etat espagnol. Les élites se sont montrées incapables de résoudre les problèmes de l’Etat espagnol; aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de récupérer un protagonisme de la politique pour ceux et celles d’en bas. (Déclaration publiée le 29 octobre 2017; traduction A L’Encontre)

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[1] La vidéo qui illustre le rôle de la monarchie et du monarque – Chef des armées – au sein de l’Etat : les éléments de continuité dans l’ADN du système de la transition.

C’est Francisco Franco qui, en 1969, a désigné Juan Carlos comme son successeur avec titre de roi. Il fut couronné roi en novembre 1975, quelques jours après la mort de Franco. La ligne dynastique aurait voulu que ce soit son père, Don Juan, qui devienne roi après la mort, en 1941 à Rome, d’Alfonso XIII. Ce dernier avait été déposé en avril 1931 suite à la proclamation de la République. Juan Carlos a été éduqué dans l’Espagne franquiste. Dans un entretien qu’il a offert à la télévision suisse, en 1970, celui-ci fait l’éloge de Franco:

 

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