Catalogne: «Si les élections ont lieu le 21 décembre, la grande majorité des dirigeants indépendantistes seront en prison!»

Carles Puigdemont dans une allocution télévisée le 28 octobre, se présentant comme le président du gouvernement de Catalogne

Entretien avec Andreau Coll
conduit par Antoine Larrache

La situation s’accélère en Catalogne avec la proclamation de l’indépendance et la dissolution du pouvoir catalan par le gouvernement central. Andreu Coll, militant d’Anticapitalistes (Catalogne)

Quelles ont été les décisions de Rajoy face à la proclamation de l’indépendance?

Rajoy a convoqué des élections pour le 21 décembre en Catalogne. Il a pris le contrôle. Formellement, c’est lui le président de la Généralité et samedi matin il va concrétiser, avec tous les secrétaires d’Etat, comment prendre le contrôle de la Généralité. Ils ont dissous tous les organismes internationaux de la Généralité (les délégations à l’étranger) sauf celle de Bruxelles. Ils ont même dissous la délégation de la Généralité à Madrid. Ils ont cassé le mandat de 140 membres du gouvernement, bien au-delà des conseillers, président et vice-président. Ils ont aussi dissous le Parlement catalan et convoqué les élections. Ils ont destitué le chef politique de la police et le sous-secrétaire de l’Intérieur. Le ministre de l’Intérieur prend directement en charge la police catalane.

C’est étonnant car tout le monde pensait que Rajoy allait convoquer les élections plus tard, en juin. Mais il a finalement décidé de les convoquer le plus tôt possible. On va voir s’ils vont illégaliser les partis indépendantistes. Lundi, il y aura également une plainte du procureur général de l’Etat contre tout le gouvernement, le président et peut-être les députés qui ont voté pour l’indépendance. C’est plus difficile car le vote a eu lieu à bulletin secret pour éviter la répression.

Puigdemont va être accusé de rébellion, il risque 30 ans de prison! Les Jordi sont en prison préventive pour sédition, une accusation moins grave, il est donc possible que la police arrête dès lundi les membres du gouvernement et leur applique une peine préventive.

Que peut faire le gouvernement catalan?

C’est difficile car il y a maintenant deux légalités. Selon la loi espagnole, le chef de la Généralité est Rajoy et la Catalogne fait partie de l’Etat espagnol… Il y a donc proclamation de l’indépendance, mais pas la capacité d’imposer l’autorité de la Généralité sur le territoire.

Samedi matin, il y a une réunion du conseil exécutif, rendu illégal. Dès que les décisions du conseil des ministres seront publiées au bulletin officiel, tout ce que fera Puigdemont s’ajoutera aux délits qui lui sont déjà reprochés… notamment celui d’usurpation de fonction publique. Si les élections sont maintenues au 21 décembre, la grande majorité des dirigeants indépendantistes ne pourront pas se présenter car ils seront en prison!

 Pourquoi Puigdemont a-t-il finalement proclamé l’indépendance?

Si Puigdemont n’avait pas proclamé l’indépendance, cela aurait mené à une rupture au sein du camp indépendantiste. Lorsqu’il a émis jeudi l’idée de convoquer des élections, il y a eu deux démissions de députés et une révolte interne à son parti, PDeCAT. Il n’a donc pas osé le faire. De plus, il a été poussé par le refus du gouvernement de retirer l’article 155. La majorité des maires, en province, ont indiqué qu’ils quitteraient le parti s’il n’allait pas jusqu’au bout.

Comment va réagir la population?

Il y aura un mouvement de masse pour soutenir le gouvernement, un mouvement qui sera pacifique. La dynamique va s’accélérer. Dès samedi, le gouvernement va décider comment il prend le contrôle de la Generalitat. Mais il peut y avoir un énorme désordre, en raison des arrestations et de l’arrivée des autorités espagnole à chaque Conseillerie. L’autre question est de savoir ce que feront les Mossos, la police catalane. La situation est très tendue, il y a déjà eu des affrontements entre la police nationale et les Mossos. Rajoy veut utiliser les Mossos pour la répression et cela va diviser davantage ce corps.

Anticapitalistes Catalogne vient de publier un communiqué mettant [voir ci-dessous] l’accent sur l’importance d’un processus constituant, notamment pour impliquer des secteurs qui ne sont pas indépendantistes, mais surtout pour un changement de société, pour discuter du contenu social du mouvement. Il faut aussi insister sur la nécessité de généraliser la dynamique au-delà de la Catalogne. Cela dépend aussi de la dynamique générale: la mobilisation sera pacifique au début, mais il peut y avoir une répression violente.

Les initiatives de solidarité dans toute l’Europe sont importantes pour nous, pour nous encourager et affaiblir Rajoy. (Samedi 28 octobre 2017)

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Déclaration de Anticapitalistes Catalogne

Aujourd’hui le Parlement a approuvé le fait que la Catalogne devienne une République indépendante et l’ouverture d’un processus constituant fondé sur la volonté du référendum du 1er octobre. Nous soutenons et saluons cette décision, mais n’avons pas convaincu l’ensemble du bloc démocratique catalan. La rupture avec le régime était une étape nécessaire pour que le 1er octobre soit irréversible. Cependant, il a manqué une main gauche pour intégrer des sensibilités non indépendantistes, quelque chose qui doit être inclus dans le processus constituant.

En même temps, le Sénat a confirmé l’application de l’article 155, le coup d’Etat à la souveraineté de la Catalogne. Le défi à l’ordre constitutionnel et au Régime de 78 vit maintenant son apogée avec la proclamation de la République catalane. Pour cette raison, défendre la souveraineté de la Catalogne contre le coup d’Etat est une tâche urgente. Les oligarchies et les partis de l’ordre utiliseront tous les mécanismes possibles pour restituer leur pouvoir sur la Catalogne. Face à leurs tentatives, ils doivent trouver une société désobéissante et organisée, nous avons obtenu le référendum afin d’éviter la restauration. Il est nécessaire de construire un large front démocratique, non seulement anti-répressif mais aussi pour défendre la nouvelle République catalane comme un projet en positif.

Maintenant, plus que jamais, il est essentiel que le processus catalan ne soit pas isolé et recherche des alliances et la solidarité avec les mouvements et organisations en dehors de la Catalogne, pour en finir avec le régime de 78, chercher des synergies contre l’évolution autoritaire du PP et l’ensemble de l’appareil d’Etat qui se prépare à maintenir en vie le régime. Articuler cette dialectique entre le mouvement catalan et la lutte contre le cadre institutionnel actuel de l’ensemble de l’Etat est notre stratégie pour la défense de la République catalane.

Dans ces moments, il est essentiel de mettre en œuvre le processus constituant. Le déployer dans les espaces de l’organisation populaire comme un pilier fondamental. Faire en sorte que les classes populaires deviennent protagonistes afin d’assurer que les jours que nous vivons soient irréversibles. Le cycle de mobilisations vécu en Catalogne depuis 2011, les luttes pour un travail “digne”, pour que le logement ne soit pas un privilège, pour éradiquer la pauvreté énergétique, pour mettre fin aux violences machistes, pour la défense de l’eau comme bien public, pour être un pays d’accueil pour les réfugiés et les migrants et de nombreuses autres luttes, tout cela est la meilleure contribution que l’on peut apporter pour construire la République. Tout ce que l’indépendantisme majoritaire a voulu laisser au second plan doit aujourd’hui se situer au centre pour la conquête de la souveraineté et pour amplifier sa légitimité.

Que la République soit capable de répondre aux besoins des majorités sociales de Catalogne, ce sera la seule façon d’éviter qu’elle ne soit pas un simple échange au sein des élites. Ces dernières semaines, nous avons vu les difficultés et le chantage face à toute contestation de l’ordre constitutionnel établi. Les oligarchies catalanes, espagnoles et européennes dominent l’économie, les médias et les institutions. Il faut construire une force qui ne se limite pas à la rédaction d’une Constitution, ne se subordonne pas au Parlement, mais au contraire nous avons besoin qu’elle construise, dans les rues et les places, des contre-pouvoirs face à leur chantage. Construire un pouvoir populaire protégeant ceux d’en bas à travers les moments difficiles que nous traversons, afin d’éviter les déceptions et les angoisses des derniers jours, faire en sorte que ceux-ci soient les protagonistes des jours décisifs que nous vivons. (28 octobre 2017)

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