Suisse. Genève: plan béton pour les rentes

Par Christian Dandrès
et Romolo Molo

Depuis plus de quinze ans, la moitié des logements construits à Genève ne correspond à la capacité financière que d’un cinquième des ménages, autrement dit les plus aisés. La pénurie de logements à loyer dit abordable n’est pas près de finir et les bailleurs continueront à encaisser des loyers qui leur assureront un niveau de rente foncière qui aboutit à une réduction massive du revenu disponible (défini ici comme le salaire diminué des impôts, du loyer, des assurances obligatoires…) des salarié·e·s. Pour faire pression sur les locataires, certains bailleurs – et non des moindres – ont recours à des contrats à durée déterminée ainsi qu’à des congés économiques donnés pour relouer plus cher.

Profits à court terme, «abus» à long terme

Ces spéculateurs systémiques veulent un maximum de profits à court terme, en compressant les revenus les locataires. Face à ceux-là, les caisses de prévoyance professionnelle (IIe pilier) sont avant tout fixées sur un objectif: garantir des rendements stables sur le long terme. Le but légal et statutaire des caisses soustrait, en pratique, les logements dont elles sont propriétaires à la spéculation. Cette approche est un avantage indéniable pour les locataires. De même, les caisses de pension cherchent à investir dans la construction de logements locatifs à loyer abordable, ce qui leur maintient une rentabilité suffisante pour assurer servir des retraites (autrement dit: leur fonction déclarée).

Une caisse sous-capitalisée

La situation de la Caisse de prévoyance de l’Etat de Genève (CPEG) illustre cette nécessité. En effet, le patrimoine de cette dernière a notamment souffert des taux de change (CHF face au dollar, euro) et de la diminution des rendements escomptés (taux technique), ce qui exige des capitaux supplémentaires.

La CPEG se heurte en outre aux exigences découlant de la modification de la Loi sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP) qui a fait l’objet d’une importante révision en 2010 (lire ci-dessous: «Le péché originel de la CPEG»). Celle-ci impose aux caisses publiques d’atteindre un taux de couverture (capital disponible comparé aux engagements) de 80% dans un délai de 40 ans.

La CPEG souffre, en outre, d’une faiblesse. Dès les années 1970, elle n’a pas été dotée d’un capital suffisant pour être en mesure de répondre à l’impératif actuel. Les retraités ne pouvant être mis à contribution selon le droit fédéral, le fardeau repose aujourd’hui sur les assurés actifs, pour lesquels le taux de couverture est proche de zéro! Dans ces circonstances, d’importantes péjorations des retraites ont d’ores et déjà été annoncées par les instances dirigeantes de la CPEG, l’Etat restant malgré tout obligé, pour se plier devant la loi fédérale, d’injecter plusieurs milliards de francs pour une nouvelle capitalisation de la Caisse, quelles que soient les coupes effectuées.

Salariés et locataires ensemble

L’intérêt des salarié·e·s affiliés à la CPEG au maintien de leurs prestations de retraite rejoint donc celui des locataires à trouver des logements à loyer abordable.

L’ASLOCA (Association suisse des locataires, ici section genevoise de cette association), les syndicats et les associations de la fonction publique ont décidé de lancer une initiative (au sens de proposition légale) destinée à assurer les retraites des salarié·e·s du secteur public tout en favorisant la construction de logements par la CPEG. Pour atteindre cet objectif, l’initiative préconise que la réalisation du secteur Praille Acacias Vernets (PAV, terrains situés sur les territoires des villes de Genève, Carouge et Lancy), dont l’Etat détient déjà la majorité des terrains, se fasse au bénéfice de la CPEG plutôt qu’en faveur des investisseurs privés qui déjà se bousculent au portillon.

Cette initiative permettrait de soustraire durablement des terrains publics, en priorité le PAV, à la captation privée de la rente foncière et à la spéculation. Elle permettrait à la population de trouver plus facilement à se loger: le but légal et statutaire de la CPEG offre des garanties quant au fait que les logements qu’elle pourrait réaliser seraient soustraits à la spéculation et à ses effets néfastes (congés économiques, contrats à durée déterminée, etc.).

Eviter la loterie financière

Cette initiative aurait aussi pour conséquence de servir les intérêts pécuniaires de l’Etat (donc des salariés contribuables) et de la CPEG en évitant l’instabilité des marchés financiers – avec le risque de devoir à nouveau recapitaliser immédiatement la Caisse, comme cela a été nécessaire dans le canton de Berne (BLVK) – ainsi que les rendements très bas «issus» du marché des obligations qui, aujourd’hui, sont même, plus d’une fois, négatifs!

Compte tenu de la crise du logement et de l’affectation des logements à construire à la satisfaction des besoins prépondérants de la population, l’autorité de surveillance ne pourra qu’accepter une extension de la part des biens immobiliers dans la fortune globale de la CPEG. Vu la pénurie constante de logements à Genève depuis 40 ans (taux de vacance inférieur à 1,5%), la CPEG n’encourrait aucun risque financier en augmentant substantiellement la part d’investissement immobilier dans sa fortune totale. Un tel investissement est, à tout le moins, bien moins risqué que toute autre catégorie d’actifs, notamment des actions et, compte tenu des taux d’intérêt très bas, des obligations.

Par ailleurs, le Code des obligations permettrait d’obtenir des futurs immeubles un rendement supérieur (3,5%) au taux technique exigé par la CPEG en 2017 (2,5%).

Les conséquences financières pour l’Etat apparaissent nulles, puisque la nécessité de capitaliser la CPEG découle du droit fédéral, de même que la dette résultant de la baisse du taux de couverture. Cette initiative n’ajouterait donc pas d’obligations supplémentaires à la charge de l’Etat, soit,surtout, aux salarié·e·s contribuables.

 

«Le péché originel de la CPEG»

La loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP) a fait l’objet d’une importante révision en 2007.

Le député libéral Serge Beck, agriculteur vaudois, avait proposé en 2003, alors qu’une crise boursière s’achevait et que celle des subprimes s’annonçait (en fait dès 2007, mais massivement dès 2008), de porter le taux de couverture de toutes les caisses à 100% dans un délai de 10 ans. Cette proposition faisait fi de la situation de bon nombre de caisses publiques qui fonctionnaient alors en semi-capitalisation.

Il s’est trouvé une majorité de députés au sein des Chambres fédérales pour accepter cette proposition, malgré ces circonstances et au risque d’imposer une charge considérable aux collectivités concernées. Dans le cadre des travaux parlementaires, il a été possible de «faire entendre partiellement raison» à la majorité des élu·e·s afin de limiter, pour les caisses publiques, cette capitalisation à 80%, dans un délai de 40 ans.

Le canton de Genève a ainsi fusionné la CIA avec la caisse de prévoyance du personnel de santé, la CEH, dont la situation financière était meilleure. Les objectifs de capitalisation ont été échelonnés jusqu’en 2045, en 6 paliers, tous les 5 ans (art. 28A LCPEG). Cette réorganisation du système de prévoyance de l’essentiel des agents de la fonction publique genevoise a été concrétisée dans la loi instituant la Caisse de prévoyance de l’Etat de Genève (LCPEG – B 5 22) du 14 septembre 2012.

La CPEG souffre d’une faiblesse originelle, soit de n’avoir pas été dotée d’un capital initial suffisant pour être en mesure de se conformer aux nouvelles exigences du droit fédéral et de faire face non seulement aux évolutions du ratio entre actifs et pensionné·e·s, mais surtout aux rendements insuffisants des marchés financiers.

Dans ce contexte, la réduction du taux d’intérêt technique à 2,25% le 3 octobre 2016 par la Chambre suisse des experts en caisses de pensions (CSEP) a incité la CPEG à diminuer son taux technique à 2,5% et l’a ainsi détournée du chemin de croissance prévu par la loi (art. 28A LCPEG).

Cette situation impose de compléter la capitalisation insuffisante de 2012. Il serait injuste de faire supporter le coût de cette capitalisation aux seul·e·s assurés actifs, étant rappelé que les pensionnés ne peuvent heureusement pas être mis à contribution, à teneur de la jurisprudence. En effet, l’Etat employeur, lors de la constitution de la CPEG et déjà auparavant, avait économisé les deux tiers des montants qui auraient été nécessaires pour atteindre les objectifs de la future loi. (CD, RM)

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