Le matraquage sur les fabuleuses économies «à portée de main» en matière de santé (voir nos contributions précédentes) voile les politiques d’économie effectivement mises en place: nouvelles tarifications, programmes d’économie dans les hôpitaux, etc. Et si ces mesures d’économie avaient, elles, un coût réel? Une récente enquête de la FMH parmi les médecins alimente la réflexion à ce sujet.
La Fédération des médecins suisse (FMH) fait réaliser depuis 2011 une enquête visant à donner une image représentative des opinions et des expériences du corps médical. A l’origine, elle a été conçue comme une étude concomitante de l’introduction du financement par forfait par cas (ou DRG – diagnosis related group) dans les hôpitaux de soins aigus, afin d’apprécier l’impact de ce changement sur la pratique médicale et la satisfaction des médecins. Elle inclut depuis 2013 la psychiatrie et la réadaptation.
Le rapport présentant les résultats de 2017 est paru début janvier 2018, sous le titre de «Environnement de travail en mutation et attitude envers de nouveaux modèles de financement. Effets visibles de l’orientation vers la performance [sic] dans le domaine de la santé». Voici quelques résultats :
• 41% des médecins travaillant dans des hôpitaux de soins aigus estiment que le financement par forfait par cas (par DRG), introduit en 2012, a un impact négatif sur les conditions de travail en général, 37% qu’il a un impact négatif sur la qualité de la prise en charge, 37% qu’il a un impact négatif sur la satisfaction des patients et 44% qu’il a un impact négatif sur la liberté thérapeutique. Ces proportions étaient un peu plus élevées en 2011, avant l’entrée en vigueur du nouveau système. Elles ont baissé en 2012; depuis 2013, elles sont stables ou en hausse, légère mais régulière.
• 37% des médecins hospitaliers travaillant en soins aigus déclarent qu’il existe des directives d’économie claires de la direction de leur établissement à l’attention de leur service.
• Environ 9 médecins sur 10 travaillant en soins aigus dans un hôpital (entre 87% et 93% suivant le sujet) déclarent que dans leur établissement tous les patients sont pris en charge, que les meilleurs experts ou les meilleurs équipements sont mobilisés, ou encore que tous les examens nécessaires sont bien réalisés. Cependant, 28% d’entre eux estiment que les «diagnostics et traitements sont définis de manière à optimiser le bénéfice économique», proportion en baisse depuis 2011.
• 17% des médecins en soins aigus déclarent que «l’optimisation du profit économique va si loin qu’il n’est plus possible dans notre service de fournir une prise en charge médicale optimale». Cette proportion est stable depuis 2012; elle est plutôt en hausse en psychiatrie (40% en 2017) et dans les cliniques de réadaptation (30%).
• Sur une période d’un mois, les médecins hospitaliers en soins aigus déclarent en moyenne avoir observé 1,5 opération et 2,3 traitements non chirurgicaux effectués bien que non nécessaires, mais aussi, à l’inverse, 2 mesures judicieuses pour les patients non appliquées. De plus, 4,4 fois par mois en moyenne, ils ont constaté qu’une décision concernant le choix entre une prise en charge ambulatoire ou hospitalière n’était pas déterminée par des raisons médicales. Ce sont certes de petits nombres absolus, mais non négligeables compte tenu de leur portée.
• Entre 36% (médecins hospitaliers en soins aigus) et 46% (médecins en psychiatrie) des médecins ont le sentiment que la qualité de la prise en charge des patients est influencée négativement par la charge élevée de travail ou la pression sur les délais auxquels ils sont confrontés.
• Dans les hôpitaux, 32% des médecins en soins aigus ont une partie de leur rémunération qui est variable et liée à la performance (dont une dimension peut correspondre au volume d’activité), une proportion stable depuis 2011. Cette part est par contre en hausse en psychiatrie (31% en 2017) et en réadaptation (36%). La moitié des médecins chefs (51%) sont dans ce cas. La partie de la rémunération liée à la performance représente en moyenne 16% de l’ensemble de la rémunération.
Ces quelques résultats donnent un aperçu de l’emprise exercée aujourd’hui par la logique économique sur la pratique médicale, et de son coût potentiel, pour la santé de la population comme pour la profession médicale. Pas de souci nous assurent les «experts», assureurs et politiciens en charge de la santé: il faut juste augmenter encore un peu la dose de marché et de concurrence, et alors tout ira mieux! (A suivre)
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