Royaume-Uni-dossier. «La nouvelle loi de Rishi Sunak pourrait obliger les travailleurs à briser les grèves»

Rishi Sunak concocte une loi anti-grèves.

Par Steven Daniels

Alors que les grèves se poursuivent dans de nombreux secteurs [1], le gouvernement de Rishi Sunak a annoncé son intention d’introduire une nouvelle législation qui renforcerait considérablement les restrictions imposées aux syndicats en Angleterre, en Ecosse et au Pays de Galles.

Le projet de loi sur les grèves (imposer des niveaux de service minimum), actuellement débattu au Parlement [voir article ci-dessous d’Andrew Fisher], obligerait les personnes travaillant dans les secteurs de la sécurité des frontières, de l’éducation, des pompiers, des transports, du NHS et de l’entretien et du démantèlement nucléaire à maintenir des niveaux de service minimums les jours de grève. Ainsi, certains enseignant·e·s ou infirmières, par exemple, seraient tenus de travailler, qu’ils/elles soient syndiqué·e·s ou non.

Le libellé du projet de loi suggère que des pouvoirs étendus seront accordés aux employeurs pour déterminer quel sera le niveau de service minimal un jour précis de grève, et même qui constitue un travailleur clé et devrait donc être tenu de travailler. Les syndicats seraient censés veiller à ce que leurs membres respectent ces niveaux de service minimaux.

Les syndicats pourraient être traduits en justice et contraints de payer les pertes subies par les employeurs en raison d’une grève. Et si une grève compromet le niveau de service minimum, ceux qui continuent à observer l’action le feraient illégalement. Une personne qui se mettrait en grève dans ces conditions ne bénéficierait donc d’aucune protection juridique, comme celle lors d’un licenciement. Son employeur pourrait le considérer comme ayant violé son contrat et en être personnellement responsable.

Les définitions données aux travailleurs/travailleuses clés et aux niveaux de service minimum dans le projet de loi sont assez larges et donnent aux employeurs la possibilité de décider qui et quoi est admissible. Par exemple, dans un hôpital, outre les médecins et les infirmières, le personnel de nettoyage et d’administration pourrait également être déclaré travailleur/travailleuse clé et être contraint de maintenir des niveaux de service minimum.

Rien n’empêcherait une compagnie ferroviaire de déclarer tous les services réguliers comme essentiels, empêchant ainsi les membres syndiqués de faire grève. Comme les employeurs peuvent décider quels travailleurs individuels ils considèrent comme essentiels, ils pourraient choisir de ne désigner que les membres du syndicat, bien que cela puisse être considéré comme de la répression anti-syndicale, illégale en vertu de la loi de 1992 sur les syndicats et les relations de travail (Trade Union and Labour Relations -Consolidation- Act 1992).

La position du gouvernement

Le gouvernement affirme que la législation met le Royaume-Uni en conformité avec d’autres pays et qu’il est logique d’assurer des niveaux de sécurité minimums dans les services clés durant une grève. Le projet de loi suggère également que si les syndicats disposeront d’un rôle consultatif sur qui et ce qui constitue un service minimum, la décision finale reviendra aux employeurs.

Certains syndicats ont déjà mis en place des accords volontaires avec les employeurs pour maintenir la sécurité. Par exemple, le Royal College of Nursing (RCN) accorde des «dérogations» à certains membres, leur donnant ainsi la permission de continuer à travailler pour «maintenir des soins permettant de préserver la vie», le nombre de dérogations étant négocié directement avec les employeurs.

Le nouveau projet de loi formaliserait cette négociation dans la loi, mais dans des conditions qui favorisent fortement l’employeur. Cependant, aucune loi n’existe pour garantir des niveaux de service minimums les jours de non-grève. Cela suggère que l’objectif du projet de loi est de restreindre davantage le pouvoir des syndicats plutôt que de garantir que les secteurs essentiels continuent de fonctionner ou que les niveaux minimaux de sécurité sont respectés.

Le gouvernement pourrait croire que l’introduction de telles contraintes sur les syndicats permettrait non seulement de mettre en œuvre une ligne dure à l’égard des syndicats en limitant leur capacité à mener des actions de grève perturbatrices, mais aussi de montrer son engagement pour la prestation de services clés qu’ils considèrent comme vitaux pour la population.

Ce nouveau projet de loi ne sert qu’à détériorer davantage les relations entre employeurs et syndicats. Il échoue dans sa mission plus large d’améliorer les niveaux de service globaux, en particulier les jours de non-grève. Plutôt que de répondre aux préoccupations des syndicats concernant les salaires et les conditions de travail, il cherche à les réduire au silence par des menaces juridiques.

Elever une barre d’obstacles déjà inquiétante

En vertu de l’actuelle loi sur les syndicats de 2016, les syndicats doivent déjà respecter certains critères de référence. Il doit y avoir un taux de participation de 50% lors du vote d’un syndicat concernant l’entrée en grève pour qu’un mandat de grève soit valide.

Cela revient à renforcer un type d’indifférence des travailleurs et travailleuses face au syndicalisme. Si 49 membres du syndicat sur 100 votent en faveur d’une grève, mais que les 51 autres ne se présentent pas pour voter, le mandat ne sera pas légal. Les seuils sont encore plus élevés dans les «services publics importants» tels que la santé, l’éducation et les transports. En plus d’atteindre un taux de participation syndicale de 50%, 40% des électeurs éligibles doivent également voter en faveur de l’action. Il faudrait donc qu’au moins 50 personnes sur 100 votent, et que 40 de ces 50 personnes votent également en faveur de l’action.

S’il est adopté, ce nouveau projet de loi imposera une camisole de force encore plus stricte aux syndicats. Même avec un mandat légal pour mener des actions de grève, les employeurs auront le pouvoir légal de déterminer qui compte comme travailleur clé et ce qui constitue un service minimum.

Bien que les syndicats aient un rôle consultatif, les membres et les non-membres pourraient être contraints de travailler les jours de grève, neutralisant ainsi le mandat syndical et sapant le droit des travailleurs et travailleuses à adhérer à un syndicat et à ne pas travailler. Nombreux sont ceux qui seront contraints de travailler, sous la menace d’un licenciement et de poursuites personnelles s’ils ne le font pas.

Est-ce là ce que souhaite la population?

Politiquement, la ligne dure de Rishi Sunak à l’égard des syndicats fait écho à celle des conservateurs des années 1970. Cependant, l’environnement politique de l’époque était différent. Une étude a révélé que 80,9% des électeurs et électrices pensaient que les syndicats étaient trop puissants en 1974. Ce pourcentage est tombé à 45,5% en 1987.

Des données similaires de YouGov [société internationale de sondages fondée en 2000] ont révélé que ce pourcentage était «à hauteur» de 25% en décembre 2021, pour atteindre seulement 34% en novembre 2022, même après des mois de tentatives du gouvernement de les dépeindre comme tels. Cela suggère que malgré les efforts de Rishi Sunak pour présenter les syndicats comme étant hors de contrôle, les électeurs et électrices ne sont pas sur la même longueur d’onde. (Article publié sur par le site The Conversation, le 11 janvier 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

Par Steven Daniels est maître de conférences en droit et politique auprès de Edge Hill University (comté de Lancashire).

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[1] Les 10-12-16-19-25 et 26 janvier, les conducteurs et conductrices du bus de la société de transport Abellio sont en grève dans l’ouest et le sud-ouest de Londres, sous l’impulsion du syndicat Unite.

Le 11 janvier, les ambulanciers de nombreuses unités du NHS ont fait grève.

Les 18 et 19 janvier, le personnel de santé entrera en grève dans diverses régions, dans le mouvement organisé par le Royal College of Nursing (RCN).

Le 23 janvier, les ambulanciers de Londres, du Yorkshire et des régions du Nord-Ouest, du Nord-Est et du Sud-Ouest feront grève, organisée par Unison.

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«Si les infirmières nous laissaient tomber un jour de grève, en fait le gouvernement nous laisse tomber depuis bien plus longtemps»

Par Andrew Fisher

Cette semaine, le Parlement commencera à débattre du projet de loi du gouvernement sur les grèves (niveaux de service minimum), qui obligerait les travailleurs et travailleuses et les syndicats à s’entendre dans le but de nuire à leurs propres intérêts.

Ce projet place un couteau sous la gorge des six millions de syndiqués britanniques, en menaçant de mettre les syndicats en faillite ou de licencier des travailleurs et travailleuses s’ils ne parviennent pas à fournir des niveaux de service minimum (déterminés par le secrétaire d’Etat, bien que les employeurs aient le pouvoir de modifier les conditions) lorsque les travailleurs ont démocratiquement voté pour une action de grève.

Nous vivons à une époque où les politiciens exigent davantage de nous, tout en fournissant moins eux-mêmes. Où sont nos niveaux de service minimum? Alors que les ministres se plaignent des travailleurs en grève, ils supervisent l’échec du service public à une échelle monumentale. Prenez par exemple les délais de réponse des ambulances tels qu’enregistrés [depuis longtemps]. Or, un ministre du gouvernement a accusé les ambulanciers en grève de mettre des vies en danger.

Mais la vérité est que les défaillances du gouvernement suscitent tous les jours des manques, des faillites: c’est la raison pour laquelle les ambulanciers sont en grève. Pour les appels de catégorie 2, qui comprennent les accidents vasculaires cérébraux (AVC) et les crises cardiaques, le temps de réponse moyen d’une ambulance est censé être de 18 minutes. Les derniers chiffres montrent que le temps de réponse moyen s’élève à plus de 90 minutes.

Les journaux locaux sont remplis d’histoires d’horreur de personnes qui attendent une ambulance pendant des heures. L’un de ces cas est celui de Tony Hudson, un homme de 74 ans qui est mort après avoir attendu 13 heures une ambulance suite à une attaque cérébrale. Pour que les choses soient claires, il ne s’agissait pas d’un jour de grève.

L’histoire est similaire chez les pompiers, où les délais de réponse aux incendies primaires (les plus graves) ont augmenté d’un tiers. Il faut en moyenne deux minutes de plus à l’équipe de pompiers pour atteindre les incendies les plus graves. Cette situation n’est pas surprenante alors qu’un emploi de pompier sur cinq au Royaume-Uni a été supprimé depuis 2010, selon le syndicat des pompiers, dont les membres sont également sur le point de se mettre en grève à partir du mois prochain [le vote pour engager une action de grève aura lieu le 23 janvier].

C’est la collection d’incompétents abjects qui peuplent la fraction parlementaire du gouvernement qui met des vies en danger et dont la négligence tue des gens. Montrant sa frustration, Christina McAnea, leader d’Unison, a déclaré: «Après une décennie de refus d’introduire des niveaux minimums de personnel [pour assurer la qualité du service], il est ironique que le gouvernement ne soit prêt à le faire que pendant une grève. Tous les autres jours de l’année, les ambulanciers [et leurs patients] font la queue pendant des heures devant les services d’urgence.»

Il en va de même lorsque les infirmières font grève. L’année dernière, le nombre d’infirmières ayant quitté la profession n’a jamais été aussi élevé, et le NHS compte actuellement 47’000 postes vacants. Dans les services d’urgence débordés, nous attendons plus longtemps que jamais. Selon les directives du NHS, 95% des patients devraient être vus dans les quatre heures. Mais seulement 65% d’entre nous le sont actuellement, la pire prestation jamais enregistrée. L’objectif de 95% – ou le niveau de service minimum si vous voulez – n’a pas été atteint depuis 2015. Si vous croyez que les travailleurs et travailleuses de la santé en grève nous laissent tomber les jours de grève occasionnels, alors vous devez aussi accepter que le gouvernement nous laisse tomber depuis près de huit ans.

Aujourd’hui, le plus grand syndicat d’enseignants, le NEU, a annoncé que ses membres avaient également voté pour la grève [le résultat du vote a été donné le 13 janvier]. Attendez-vous à une litanie de ministres incompétents nous informant pieusement que les enseignants trahissent les enfants et autres balivernes de ce genre. Ils ne mentionneront pas que plus d’un demi-million d’enfants sont scolarisés par des enseignants non qualifiés et que plus d’un demi-million de nos enfants sont scolarisés dans des classes surdimensionnées de plus de 30 élèves.

L’échec du gouvernement n’est peut-être nulle part plus apparent que dans les chemins de fer privatisés et hors de prix du Royaume-Uni. Dans de nombreuses régions du pays, les pendulaires ont du mal à savoir si les services sont annulés en raison de grèves ou simplement suite aux dysfonctionnements habituels.

Avanti [compagnie de chemins de fer] est l’un des pires coupables. Entre juillet et septembre, la proportion de trains qui sont arrivés dans les gares avec moins d’une minute de retard sur l’horaire prévu a chuté de 17% par rapport à l’année précédente. La société a également enregistré une augmentation de 50% des plaintes des passagers, mais a distribué 13,5 millions de livres sterling à ses actionnaires. Malgré des prestations inférieures à la norme depuis longtemps, le gouvernement a prolongé le contrat d’Avanti. De même, il n’a rien fait au sujet d’une autre concession défaillante, celle de Transpennine Express, bien que l’opérateur des services dans le nord-ouest de l’Angleterre annule régulièrement entre un cinquième et un quart de tous les services. Mais selon le gouvernement et ses médias, c’est Mick Lynch, secrétaire général du RMT (National Union of Rail, Maritime and Transport Workers), qui tient le pays en otage. Même le membre le plus militant du RMT ne pourrait pas rêver de causer des perturbations durables à l’échelle de ces sociétés concessionnaires choisies par le gouvernement.

Qu’il s’agisse du NHS, des pompiers, des écoles ou des chemins de fer, le gouvernement ne parvient pas à garantir que les services dont nous dépendons répondent aux normes minimales. Malgré toute la propagande qui est faite, ce ne sont pas les syndicats qui sont les obstacles à de bons services, mais le gouvernement.

Il n’est pas étonnant que seuls 12% d’entre nous fassent confiance aux ministres du gouvernement pour dire la vérité. A titre de comparaison, 48% des personnes ont répondu à Ipsos [firme de sondages] qu’elles faisaient confiance à la parole des responsables syndicaux. Et qui arrive en tête du classement de la confiance? Les infirmières, avec un énorme 89% d’entre nous qui leur font confiance pour dire la vérité. Les infirmières – comme les enseignant·e·s, les pompiers et les cheminots – tirent la sonnette d’alarme sur l’incapacité du gouvernement à fournir des niveaux de service minimum. Le projet de loi sur les grèves du gouvernement est une tentative sournoise de les faire taire. (Article publié sur le site iNews, le 16 janvier 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

Andrew Fisher est un ancien responsable de la politique du Parti travailliste; il fut très actif sur le plan syndical et devint un membre de la direction du Labour sous Corbyn.

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