Guerre et paix au royaume des Jeux olympiques

Par Marc Perelman

Les propos des sportifs mais aussi des politiques ont parfois une touche de naïveté presque désarmante. Ainsi Sebastian Coe a assuré que les Jeux olympiques de Londres seront «une fête» et non un «événement sécuritaire». «Je ne veux pas, précisait l’ancien champion de demi-fond, que les gens qui viennent à Londres se retrouvent dans une ville en état de siège. Il faut un bon équilibre. Nous ferons ce qu’il faut pour que la sécurité soit assurée mais, en même temps, les Jeux sont d’abord un événement sportif.» Il est vrai que l’état de siège qui se met en place pourrait presque nous en faire douter.

Les Jeux de Londres ne risquent-ils pas en effet d’être assimilés à une préparation à la guerre en temps de paix ? La «trêve olympique» ne ressemblerait-elle pas déjà à une forme de guerre larvée ? De son côté, David Cameron renchérissait en affirmant que «la mobilisation dans le pays est sans précédent en période de paix». «Il y aura plus de policiers dans les rues, des bateaux sur la Tamise, des hélicoptères dans le ciel, des militaires pour sécuriser les sites; nos services de renseignements travailleront vingt-quatre heures sur vingt-quatre […]. Cela sera la plus grande et la plus intégrée des opérations de sécurité en Grande-Bretagne en temps de paix, mais cela sera fait de manière à respecter l’esprit des Jeux.» Et le Premier ministre pouvait encore déclarer: «Je suis bien décidé à ce qu’il s’agisse avant tout d’un événement sportif accompagné d’un très important dispositif de sécurité plutôt que d’une opération de sécurité accompagnée d’un événement sportif.» Pour rassurer ceux qui en avaient besoin, le secrétaire d’Etat aux Sports, Hugh Robertson, a déclaré que «nous ne nous présentons pas comme une superpuissance». Le porte-avions HMS Oceana a pourtant remonté la Tamise jusqu’à Londres afin de participer à des exercices d’entraînement militaire; des avions de chasse Typhoon sont mobilisés et installés sur des bases près de Londres; les radars sont prêts ainsi que des missiles sol-air Rapier disposés à proximité du stade olympique malgré les nombreuses protestations des habitants; la vidéosurveillance est généralisée avec plus de 4 millions de caméras installées dans les villes sur tout le territoire britannique… et jusqu’au stade de Stratford bâti grâce à des pistolets et des couteaux recyclés!

Comment dès lors ne pas constater à travers toutes ces déclarations et ces préparatifs, à travers cette organisation militaro-policière gigantesque et sans précédent (13’500 militaires, 23’700 hommes de sécurité) que le sport et la guerre sont ici, de fait, intimement imbriqués? Comment ne pas voir que l’organisation d’une compétition sportive au plus haut niveau est désormais concomitante du déploiement d’une armada de guerre? Sans parler des Argentins qui attisent, comme par hasard à quelques semaines de l’ouverture des Jeux Olympiques (JO), l’ancien conflit armé des Malouines (près de 1000 morts) avec la Grande-Bretagne.

Malgré la volonté de présenter des JO low-cost, on savait le budget global des JO s’envoler vers les 13 milliards d’euros et celui de la seule sécurité être multiplié par deux au début de l’année, atteignant aujourd’hui les 670 millions d’euros. En pleine récession économique et dans un contexte européen d’approfondissement de la crise, la Grande-Bretagne ne peut donc plus prétendre miser sur un impact économique positif dû aux JO.

Les gains de croissance réels sur une longue durée générés par les JO sont désormais estimés à 1% par l’agence Moody’s, pourtant bienveillante, et le cabinet de recherche Capital Economics. La désastreuse expérience des JO d’Athènes en 2004 – le budget plombant les caisses de l’Etat à hauteur de 5% du PIB – est dans toutes les mémoires avec la presque totalité des installations sportives laissées en jachère et la dette publique aggravée qui s’en est suivie plaçant la Grèce au bord de la faillite financière. Tous les budgets des JO passés ressemblent au tonneau des Danaïdes.

La pression est énorme sur les dirigeants britanniques. Les syndicats et tous ceux qui voudraient faire grève ont donc été très rapidement avertis. Dirigeants du Labour et conservateurs sont à l’unisson sur l’attitude à adopter : consensus absolu. Le dirigeant travailliste, Ed. Miliband, a ainsi jugé «totalement inacceptable toute menace contre les Jeux» et son alter ego conservateur, porte-parole du Premier ministre, a jugé lui aussi «totalement inacceptable et antipatriotique» la menace de grève des chauffeurs de taxi et des conducteurs de métro. Heureusement pour les VIP et les athlètes, 48 km de couloirs de circulation privés ont été prévus tandis que les Londoniens sont sommés de pratiquer le télétravail et d’éviter les heures de pointe.

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Marc Perelman est professeur à l’Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense. Dernier ouvrage paru: Le Sport barbare, Michalon (disponible en anglais chez Verso).

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