Une enseignante syrienne raconte comment les enfants d’un camp de réfugiés d’Idleb ont réagi au tremblement de terre

Camp de réfugiés dans la région d’Idleb, janvier 2023

Par Dan Rosenzweig-Ziff

[Selon les informations réunies, entre autres par Middle East Eye, le corridor de Bab al-Hawa à la frontière entre la Syrie et la Turquie – donnant accès à la région d’Idleb – est bloqué car les gardes-frontières ont été soit victimes des effets du tremblement de terre, soit à la recherche de leurs proches. Or, c’est le seul passage autorisé pour l’aide humanitaire. Il est sous contrôle du Conseil de sécurité, doit être renouvelé tous les six mois, ce qui le rend dépendant d’un veto du gouvernement russe et de sa stratégie politique régionale.

Or, toutes les personnes disposant d’une expertise effective considéraient déjà insuffisante une aide en direction des millions de personnes de la région d’Idleb. Dès lors, non seulement l’ouverture de ce corridor s’impose mais encore plus celle des trois «portes d’entrée» qui pourraient permettre l’accès d’une aide à la région d’Idleb et à sa population.

Selon le médecin Raphaël Pitti, interrogé par France3, 4,2 millions de personnes vivent dans la région d’Idleb, dont 2,8 millions sont des déplacés des zones de violences. «Ils étaient sous des tentes et ont progressivement essayé de reconstruire leurs logements avec des préfabriqués, des parpaings, des tôles ondulées… Tout s’est effondré. Si l’urgence absolue est à la recherche de survivants, il est indispensable de reloger ses personnes, d’autant que les conditions météo sont extrêmement rigoureuses

Il faut rappeler que le pouvoir dictatorial de Bachar el-Assad, avec l’aide des gouvernants de la Russie et de l’Iran – et le silence pour le moins de puissances dites démocratiques – a concentré des millions de personnes dans une zone caractérisée de manière exclusive comme «rebelle» – avec le message que cela véhicule – afin de mieux en étrangler cette population. Cette situation permet de comprendre pourquoi l’enseignante syrienne interrogée par le journaliste du Washington Post conclut de la sorte son témoignage: «Ce n’est que tragédie après tragédie.» Raphaël Pitti lance un appel: «Nous avons donc besoin de dons. Ils peuvent se faire directement sur la page dédiée du site internet de la Mehad.» – Réd. A l’Encontre]

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Dix heures après que le tremblement de terre a réveillé ses 40 élèves dans un camp de réfugiés d’Idlib, Yosra Alahmad, qui vit à Berlin et enseigne aux enfants de manière virtuelle, a enfin eu des nouvelles de Mudar, le jeune homme de 23 ans qui aide à animer les cours. Il lui a dit qu’ils avaient tous survécu. Les enfants vivaient dans des tentes, ils ne risquaient donc pas qu’un bâtiment s’effondre sur eux. Mais neuf d’entre eux ont été blessés.

«Si vous me voyiez hier, vous verriez que mes yeux sont gonflés d’avoir pleuré toute la journée», a déclaré Yosra Alahmad au Washington Post en arabe. «C’était l’un des jours les plus difficiles de ma vie.»

Beaucoup des élèves de Yosra Alahmad, âgés de 5 à 17 ans, sont orphelins, leurs parents ayant été tués pendant la guerre. Elle les considère comme ses propres enfants, et essaie de les éduquer et de les soutenir depuis l’Allemagne. Ils comptent les uns sur les autres pour obtenir de la nourriture et survivre dans le camp. Ils n’ont pas réalisé que la secousse qu’ils ont ressentie et entendue n’était pas une explosion mais un tremblement de terre.

«Ils ont cru qu’ils allaient mourir», a déclaré Yosra Alahmad. Ils ne savaient pas combien de temps duraient les sirènes des ambulances, mais la sonnerie semblait interminable, dit-elle.

Lors de l’appel vidéo, plusieurs de ses élèves ont fait circuler le téléphone de Mudar pour que Yosra Alahmad puisse voir leurs yeux illuminés par l’écran – leurs visages étaient autrement ternes à cause de la panne de courant. Il pleuvait et il faisait froid, et aucun n’avait de veste avec lui, lui ont-ils dit. Il a fallu des heures pour recevoir de la nourriture après le séisme, et les enfants blessés attendaient d’être examinés à la clinique de fortune du camp, qui comptait peu de médecins.

Yosra Alahmad connaissait beaucoup d’entre eux depuis le printemps dernier, lorsqu’elle a commencé à enseigner l’arabe et l’anglais de manière virtuelle dans le camp de réfugié·e·s d’An-Nur, et elle espérait leur envoyer de l’aide.

Mais étant elle-même réfugiée, Yosra Alahmad a peu d’argent. Elle prévoit de collecter des dons auprès de ses autres amis syriens en Allemagne et de les envoyer à quelqu’un en Turquie dès qu’elle le pourra. Elle espère que l’argent sera ensuite acheminé vers un autre camp de réfugiés situé à proximité, dans le nord-ouest de la Syrie, mais elle ne sait pas exactement par qui, et finalement vers les 40 enfants. «Je veux envoyer de l’aide, mais c’est difficile», dit-elle. «Ce n’est que tragédie après tragédie.» (Entretien publié par le Washington Post, le 8 février 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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