Etats-Unis. «Croyez-le: une présidence de DeSantis pourrait être encore pire que celle de Trump»

Ron DeSantis et Donald Trump, 29 mars 2019.

Par Brynn Tannehill

De nombreux républicains qui ont été rebutés par les peccadilles, l’ignorance et le comportement loufoque de Donald Trump ont trouvé leur préféré en la personne du gouverneur de Floride Ron DeSantis. DeSantis propose un trumpisme sans Trump, promet de rendre l’Amérique grande à nouveau sans prononcer les mots. Il se complaît dans les méfaits de la guerre culturelle qui ont propulsé Trump au pouvoir en 2016. Le marché des paris en ligne a maintenant placé DeSantis et l’ancien président Trump dans une égalité parfaite pour le choix du candidat républicain à la présidence en 2024.

Il y a peu de souhaits chez les démocrates et les républicains pour une revanche entre Biden et Trump. Des sondages récents suggèrent que Biden perd dans un match contre DeSantis, même si un candidat se présentant comme d’un troisième parti (comme Trump) est dans la course. Compte tenu de cela, et de la façon dont DeSantis semble relativement sain d’esprit et intelligent par rapport à Trump, le «grand public» semble supposer que DeSantis serait un meilleur président que Trump. C’est une erreur terrible.

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Ron DeSantis diffère de Trump à plusieurs égards. Trump ne se soucie guère de la «théorie critique de la race» ou des personnes transgenres. Il se contente dans ses discours, lors de ses meetings, de lancer des propos qui suscitent la plus grande émotion. Par contre, Ron DeSantis – catholique profondément conservateur – et un vrai adepte des guerres culturelles dans lesquelles il s’engage. L’autre différence essentielle est que DeSantis est un avocat diplômé de Harvard et de Yale, alors que Trump a obtenu une licence en commerce où l’un de ses professeurs l’a qualifié de «l’étudiant le plus stupide que j’aie jamais eu».

Les dégâts que Trump a pu faire ont été limités par son manque de discipline, son ignorance du fonctionnement du système, sa paresse et son manque de détermination. Il est simplement un narcissique qui aime se sentir riche, puissant et important. Ron DeSantis, cependant, n’est rien de tout cela. Il n’est pas paresseux. Il a de la discipline, de la détermination et une connaissance approfondie de la façon d’utiliser le système pour obtenir ce qu’il veut. DeSantis a pleinement l’intention de refaire l’Amérique comme il croit que Dieu voudrait qu’elle soit. Sa connaissance de la loi et de la structure gouvernementale lui permet de le faire à une échelle, et avec une minutie, dont Trump ne pourrait que rêver.

Nous pouvons déjà voir les types de stratégies que DeSantis mettrait en œuvre en tant que président en regardant ce qu’il a fait dans son rôle de gouverneur de Floride. Ron DeSantis applique des mesures législatives qu’il présente délibérément comme modérées ou de bon sens, comme l’interdiction de l’avortement «seulement» après 15 semaines (mais sans exception pour le viol ou l’inceste). Sa loi «ne dites pas gay» [«don’t say gay»] a été présentée comme visant à ne pas enseigner des contenus indécents aux élèves depuis la maternelle jusqu’à 7-8 ans.

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En réalité, Ron DeSantis applique l’un des programmes les plus agressivement autoritaires du pays. Il utilise deux stratégies principales: s’emparer des commandes et utiliser l’ambiguïté réglementaire.

Deux des meilleurs exemples de la saisie des leviers de commande sont la façon dont DeSantis a discrètement garni le Florida Board of Medicine [organe de gouvernance de la formation des médecins et de la pratique de la médecine] et le New College Board of Trustees [l’organe de gouvernance de l’enseignement lycéen et universitaire] de sympathisants idéologiques pour soumettre ces institutions à sa volonté. Le Florida Board of Medecine compte désormais maintenant des donateurs pour ses campagnes, des catholiques qui prennent les positions du Vatican comme substitut à celles des organisations médicales professionnelles, ainsi que des partisans de la thérapie de conversion [pratiques pseudo-scientifiques et/ou religieuses visant à «traiter» un individu pour convertir son orientation sexuelle]; alors que le médecin-chef de Floride [Joseph A. Ladapo] est un anti-vax. En conséquence, le Florida Board of Medicine est en train d’interdire les soins de santé liés à la transition pour les enfants et de les rendre beaucoup plus difficiles à obtenir pour les adultes. Ron DeSantis a soustrait le processus de prise de décision aux regards du plus grand nombre et a confié le pouvoir de décision à des personnes qui ne pourront jamais être tenues responsables lors d’une procédure électorale.

Au New College, les personnes nommées par Ron DeSantis – qui incluent des personnes n’ayant aucun lien avec la Floride et des idéologues comme Christopher Rufo – employé par le Manhattan Institute for Policy Research – n’ont pas perdu de temps pour congédier le président de l’institution. Leur mandat consiste à prendre un collège d’arts libéraux et à le transformer en «Hillsdale du Sud» [une institution qui, entre autres, fait référence à la culture chrétienne], un clin d’œil à l’école chrétienne de droite du Michigan [le Hillsdale du Michigan] qui a produit une génération de théologiens et d’avocats conservateurs.

Tout cela s’inscrit dans la lignée des interdictions faites par Ron DeSantis des programmes scolaires en lien avec la CRT (Critical Race Theory) ainsi que la diversité, l’équité et l’inclusion. Son vœu est d’éliminer «l’idéologie woke» des écoles de Floride [1]. Il est entré directement dans la mêlée avec son interdiction de l’Advance Placement African American Studies [qui sont des cours pilote pour collégiens afin de prendre connaissance de l’histoire des Afro-Américains]. D’une certaine manière, cela ressemble à la façon dont Viktor Orbán (Hongrie) a canalisé les fonds de l’Etat dans la construction d’un système universitaire qui sert de machine de propagande pour son administration autocratique. Dans le cas de Ron DeSantis, il a promis d’exiger que les étudiants ne suivent que les cours approuvés par le GOP (le Parti républicain) qui enseignent «l’histoire réelle et la philosophie réelle qui ont façonné la civilisation occidentale». Il lance également une attaque contre le système de titularisation pour (vraisemblablement) évincer les professeurs qui transgressent l’idéologie conservatrice.

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L’autre élément central de la stratégie de DeSantis pour détruire les institutions est l’utilisation de l’ambiguïté stratégique pour inciter ces institutions à se gendarmer. L’administration DeSantis a juré ses grands dieux que la «loi sur les droits parentaux dans l’éducation en Floride» (la loi «ne dites pas gay») était simplement là pour protéger les jeunes enfants vulnérables d’être exposés à des idées, des images ou des écrits dangereux ou obscènes. En réalité, elle était délibérément vague et excessivement large. Lorsque les enseignant·e·s et les bibliothécaires ont demandé des conseils sur ce qui était autorisé, ils se sont affronté·e·s au silence de l’administration DeSantis. Cela les a laissés avec un choix: Est-ce que nous retirons tous les livres potentiels incriminés dans les bibliothèques scolaires? Ou est-ce que nous risquons de faire face aux conséquences judiciaires potentielles pour avoir contrarié son administration?

Ils ont choisi de retirer tous les livres. Ron DeSantis a l’habitude de faire un exemple des institutions qui le contrarient sur les thèmes liés à sa guerre culturelle, qu’il s’agisse de la Disney Corporation [2] ou de l’Orchestre philharmonique d’Orlando. Une analogie avec la stratégie de DeSantis est celle d’une brute qui ordonne à sa victime de se frapper elle-même au visage. «Avec quelle force?» demande-t-elle. La réponse de DeSantis est effectivement: «Si je pense que tu ne te frappes pas assez fort, je te frapperai plus fort». Après cela, tout ce qu’il a à faire, c’est de regarder les personnes qu’il tourmente se frapper le visage à plusieurs reprises pour éviter ce qu’elles supposent qu’il pourrait leur arriver si elles ne le faisaient pas. Cela peut infliger des lésions plus graves que si elles avaient simplement dit «non».

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Si l’on applique tout cela à une présidence de DeSantis, on arrive à une image peu réjouissante. Imaginez une Food and Drug Administration (FDA) remplie de personnes nommées par Ron DeSantis qui interdisent les pilules abortives, le contrôle des naissances et l’utilisation d’hormones pour traiter les personnes transgenres. Cela court-circuite les tribunaux et résiste probablement à un recours juridique devant une Cour suprême où règne une majorité conservatrice de 6 contre 3. La FDA pourrait également interdire l’utilisation de médicaments spécifiques pour les avortements pratiqués par voie chirurgicale, ce qui équivaudrait à une interdiction dans 50 Etats.

Les gens oublient également que les officiers supérieurs de l’armée des Etats-Unis servent au gré du président. Une administration DeSantis, qui fait la guerre à la «wokeness», renverrait tout officier général qu’elle soupçonne d’impureté idéologique. Il n’est pas difficile de prévoir le retour du «don’t ask, don’t tell» [«Ne demandez pas, n’en parlez pas», ce qui renvoie à la législation discriminatoire en vigueur dans l’armée de 1994 à 2011 ayant trait à l’homosexualité ou à la bisexualité] ou encore l’institution d’un test d’aptitude physique truqué pour forcer un grand nombre de femmes à quitter l’armée.

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Il ne s’agit pas non plus de vaines spéculations. Indépendamment de la victoire de Trump ou de DeSantis en 2024, le GOP prévoit de réintroduire la classification «Schedule F» de Trump [qui a existé en 2020-2021 et qui facilitait à l’extrême le licenciement des fonctionnaires] afin de remplacer la plupart des hauts responsables de la fonction publique par des collaborateurs politiques qui s’attelleront à mettre en œuvre une refonte complète de l’Amérique basée sur une idéologie nationaliste chrétienne. Selon le site Axios, il existe déjà des listes de personnes à licencier [voir l’article de Jonathan Swan, intitulé Trump’s «Deep State» hit list, publié sur Axios le 24 février 2020]. Le GOP s’emploie activement à sélectionner et à désigner des personnes pour remplacer les exclus si l’occasion se présente.

L’ambiguïté stratégique entre également en jeu. Ces décideurs politiques peuvent émettre des directives trop amples et trop vagues, puis utiliser le pouvoir de l’exécutif pour contraindre les Etats à se soumettre. Des livres potentiellement «mauvais» dans les écoles californiennes? Ils menaceront de bloquer l’argent du ministère de l’Education. (Trump l’a fait pour le Connecticut à propos des étudiants athlètes transgenres). Ou bien bloquer le financement de Medicare [pour les personnes de plus de 65 ans, pour l’essentiel] et Medicaid [assurance maladie aux individus et aux familles à faible revenu et ressource] dans les Etats qui ne se plient pas aux exigences du Département de la santé et des services sociaux, de la FDA et du «médecin chef» DeSantis, sans se soucier de savoir si ces exigences ont un fondement scientifique. Ou peut-être encore utiliser le Procureur général pour menacer de poursuites fédérales les fonctionnaires des Etats qui refusent de se soumettre, comme il l’a fait avec les fonctionnaires qui ont refusé d’appliquer ses nouvelles lois anti-avortement.

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En fin de compte, la plupart des Etats se plieraient à de telles exigences. La perte des flux de financement fédéraux paralyserait les économies des Etats, et les fonctionnaires des Etats et de l’Etat fédéral sont peu enclins à prendre des risques pour des combats idéologiques. Cela suggère que si DeSantis devenait président, nous verrions probablement le reste du pays devenir volontairement impossible à distinguer, en termes de politique, des Etats du Sud profondément rouges. C’est ainsi que se termine une «société libre et moderne»: pas avec un big bang, mais avec un gémissement. (Article publié sur le site de The New Republic le 8 février 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] DeSantis s’oppose ainsi «à la croyance qu’existeraient des injustices systémiques dans la société américaine», selon ses propres termes. Ce qui renvoie, entre autres, à la mise entre parenthèses de l’histoire esclavagiste des Etats-Unis. Réd.

[2] Rita Harris, membre démocrate du législatif de Floride, a souligné que le PDG de Disney, Bob Chapek, s’était prononcé contre la loi «don’t say gay». Ron DeSantis, en proposant la modification du statut spécial accordé à Disney dans les années 1960 pour son site de loisirs près d’Orlando, va utiliser cette mesure qui enlève certains privilèges économiques à Disney pour, conjointement, imposer un conseil de 5 membres choisis par DeSantis, qui sélectionnera des thèmes correspondant à l’orientation conservatrice du patron et «shériff», comme lui-même se dénomme, de Floride. (Réd.)

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