Par Benjamin Barthe
Les bombardements visent à anéantir la rébellion et décourager la population. «Ce sont les frappes les plus dures de ces cinq dernières années», selon un docteur encore sur place.
Bombarder, encercler, affamer. Pendant des mois, des années, sans discontinuer. Jusqu’à ce que l’ennemi, à bout de forces, décide de baisser les armes et d’évacuer la zone qu’il défendait. C’est la stratégie poursuivie par le régime syrien depuis 2011 pour mater l’insurrection anti-Assad. Une guerre d’étouffement, lente et cruelle, qui convient bien à l’armée loyaliste, patchwork de milices et d’unités régulières, aux capacités offensives limitées.
La technique, aux relents moyenâgeux, vient de porter ses fruits dans deux poches rebelles, assiégées depuis plusieurs années: la ville de Daraya, en banlieue de Damas, vidée de sa population à la fin août, et le quartier d’Al-Waer, en périphérie d’Homs, dont les combattants sont en cours d’évacuation. Alep-Est, le fief des insurgés dans le nord de la Syrie, une zone autrement plus grande et plus peuplée (250’000 habitants), pourrait-elle, de guerre lasse, finir par hisser elle aussi le drapeau blanc? C’est le pari que font Damas, Moscou et Téhéran, les trois alliés qui, depuis l’effondrement, le 19 septembre, de la trêve péniblement négociée par les Etats-Unis et la Russie, soumettent ses habitants à des bombardements d’une férocité inouïe.
«Ce sont les frappes les plus dures de ces cinq dernières années», confie le docteur Hamza Al-Khatib, l’un des trente et quelques praticiens encore présents dans les quartiers orientaux, joint sur la messagerie instantanée WhatsApp. «Les bombes employées ont une capacité de destruction jamais vue. » Selon le Centre de documentation des violations, une ONG syrienne de défense des droits de l’homme, 377 Alépins ont péri dans ces raids aériens entre le 20 et le 26 septembre, des civils, dans l’immense majorité.
«Crime de guerre»
La fréquence des attaques aériennes a diminué mardi 27 septembre, journée durant laquelle «seuls» 11 morts ont été enregistrés, mais les quatre jours précédents, pas moins d’une centaine de frappes s’abattaient toutes les vingt-quatre heures sur la ville, causant une moyenne de 80 à 90 morts. «On n’ose plus bouger de chez soi, on ne pense même plus à manger et de toute façon, il est de plus en plus difficile de trouver de la nourriture à des prix abordables, raconte Aiham Barazi, un journaliste syrien. Tout ce que l’on fait, c’est attendre la mort.»
L’aviation russe est accusée d’avoir employé, pour la première fois, des bombes perforantes, dites bunker buster, destinées à détruire des infrastructures souterraines. L’accusation repose sur des photos de cratères d’une demi-dizaine de mètres de profondeur, découverts en plusieurs endroits de la ville, et sur des témoignages des riverains, parlant d’un «tremblement de terre» qui fait s’effondrer les immeubles aux environs de la frappe. Selon l’envoyé spécial de l’ONU sur la Syrie, Staffan de Mistura, l’emploi de cette arme dans une zone aussi peuplée, de même que le recours, déjà avéré, à des bombes incendiaires et à sous-munitions, pourrait constituer un «crime de guerre».
Ces armes sophistiquées visent en partie des cibles militaires. La brigade Tajamu Fustakim, l’un des principaux groupes armés d’Alep, affilié à l’Armée syrienne libre (ASL), la branche modérée de la rébellion, a perdu dans les bombardements des derniers jours sa cantine, ses réserves de nourriture et de fuel et une partie de son arsenal, qui étaient enfouies sous le sol. « Nous sommes bien sûr affectés par toutes ces pertes, reconnaît sous couvert d’anonymat un commandant de la brigade, déployé sur le front de Salahedin, au sud de la ville. Mes hommes n’ont pas mangé de pain depuis trois jours. Au lieu de faire fonctionner le générateur dix heures par jour, on se contente de deux heures. »
Le blitz russo-syrien s’acharne aussi sur les quartiers sud, comme Seïf Al-Daoula et Soukari, qui figurent parmi les plus peuplés. Ce pourrait être une manière de faire fuir ces habitants, en prélude à une percée terrestre. Mardi, les forces loyalistes se sont d’ailleurs emparées d’un petit secteur, Farafirah, au pied de la citadelle. Mais rares sont les observateurs à croire en l’imminence d’une offensive au sol d’envergure. Le régime n’a ni les ressources ni l’expertise nécessaires à une telle opération et il est peu probable que ses alliés chiites, iraniens ou libanais soient prêts à sacrifier leurs hommes dans des combats de rue forcément très meurtriers.
Stratégie de la terre brûlée
Pour l’instant, l’essentiel de la stratégie russo-syrienne vise à casser les infrastructures civiles d’Alep-Est. La salle des urgences de l’hôpital Omar-Ben-Abdelaziz, construite sous terre, a par exemple été détruite dans un récent bombardement, peut-être mené au moyen d’armes anti-bunker. Vendredi, deux des quatre casernes des casques blancs, chargés des premiers secours, avaient été pulvérisées. La station d’extraction d’eau de Bab Al-Nayrab a également été mise hors service, privant d’eau courante un quart des quartiers insurgés.
«L’objectif de cette offensive, c’est la terre brûlée, briser la capacité de résilience de la population, confie une source onusienne. Les hôpitaux sont tellement débordés que les médecins procèdent à un tri sélectif à l’envers. Ils ne soignent plus que les blessures superficielles car ils savent que les blessés graves ne peuvent pas être sauvés. L’humanitaire sera la question-clé. Les Alépins sont-ils prêts à agoniser pendant des mois ou préféreront-ils quitter la ville, si on leur en donne la possibilité?»
Le régime Assad se plaît à appâter ses adversaires. De nombreux résidents des quartiers ont reçu des messages, par SMS ou sur les réseaux sociaux, leur promettant la vie sauve « s’ils hissent le drapeau de la République arabe syrienne sur le toit de leur immeuble » ou « s’ils se rendent à l’aéroport », au sud-est de la ville, tenu par les forces pro-gouvernementales. Des promesses que les habitants traitent généralement par le mépris et avec suspicion. En juillet, très peu d’entre eux avaient choisi d’utiliser les corridors humanitaires, momentanément ouverts par l’armée russe. « Alep est trop symbolique pour tomber comme Daraya ou Al-Waer, prédit Assaad Al-Achi, le chef de l’ONG Baytna Syria, basée en Turquie. Elle se battra jusqu’au bout, coûte que coûte.» (Article publié dans Le Monde en date du 28 septembre 2016; mis à jour à 12h29)
*****
Les soldats «fantômes» de Poutine en Syrie
Par Isabelle Mandraud
Un an après son déclenchement officiel, l’intervention russe pour soutenir le régime de Bachar Al-Assad implique, dans le plus grand secret, troupes au sol et mercenaires privés.
«Ils sont militaires, mais leurs missions ne sont pas militaires», claironnait sur Twitter, mi-septembre, un site-relais du ministère russe de la défense, en affichant, photos à l’appui, des soldats en uniforme entourés d’enfants et distribuant des sacs de vivres.
Un an après le début de l’intervention militaire en Syrie décidée par Vladimir Poutine en soutien au régime de Bachar Al-Assad, l’armée russe soigne son image. En complément des frappes aériennes qui bombardent sans relâche des positions djihadistes et rebelles, sans épargner des centaines de civils, se succèdent les opérations médiatiques d’un contingent qui se voudrait «pacificateur».
Mais la même opacité continue d’entourer la première intervention militaire russe loin de ses frontières depuis la guerre d’Afghanistan. Aucun chiffre sur le nombre de soldats envoyés n’a jamais été communiqué. Les élections législatives qui se sont déroulées en Russie le 18 septembre ont néanmoins fourni un indice : selon la commission électorale centrale, 4571 citoyens russes ont pris part au vote en Syrie, dont 4378 par urnes mobiles, et donc potentiellement hors de la capitale, Damas.
Aucun bilan fourni
Aucun bilan des actions terrestres menées par les troupes russes n’a été également fourni. Longtemps, Moscou a nié leur présence sur le sol syrien, avant que la réalité ne s’impose. La confirmation est venue avec la mort d’Alexandre Prokhorenko, membre des forces spéciales, tué le 17 mars lors de l’assaut russo-syrien mené à Palmyre, ville alors occupée par l’organisation Etat islamique (EI). «Je ne vais pas cacher que, sur le territoire de la Syrie, nos forces spéciales agissent», avait admis du bout des lèvres le général Alexandre Dvornikov.
Puis il y a eu l’artilleur Mikhaïl Chirokopoïas, décédé deux mois plus tard, après l’attaque de son convoi, et tous ceux que l’on ne connaît pas. C’est sur Instagram que Iouri Kokov, chef de la région autonome de Kabardino-Balkarie, dans le Caucase, a publié le faire-part du soldat Asker Bichoïev: «La lutte contre le terrorisme international que mène héroïquement notre pays ne peut pas ne pas induire de pertes», écrivait, le 12 août, le dirigeant de cette région du Caucase russe. Nul n’avait entendu parler de ce décès. Les familles se plient aux consignes des autorités et se taisent.
Un secret peut en cacher un autre. Officiellement, le major Sergueï Tchoupov, 51 ans, ne faisait pas partie des effectifs militaires engagés en Syrie. Vétéran de la guerre d’Afghanistan, et des guerres russo-tchétchènes, transféré dans la 46e brigade du ministère de l’intérieur, il aurait cependant été tué en Syrie en janvier, selon des témoignages de ses amis sur les réseaux sociaux. Sa tombe, située à Balachikha, dans les faubourgs de Moscou, couverte d’hommages de ses collègues, indique le 8 février.
Le même mois, le Cosaque Maxime Bogdanov est mort dans des circonstances mystérieuses. Mais là encore, des proches ont publié des photos de lui, attestant qu’il se trouvait à Lattaquié, le fief du régime syrien sur la côte. Des mercenaires, affirment des journaux russes qui se sont fait l’écho à plusieurs reprises de l’existence d’une armée privée, à l’image des Blackwaters américains intervenus en Irak, mais illégale au regard de la loi en Russie.
Dès le mois de mars, le site Fontanka.ru rapportait l’existence d’un groupe militaire qui, après avoir participé à l’annexion de la Crimée en 2014, a «porté ses efforts en Syrie à partir de l’automne 2015». Ces professionnels, dirigés par d’anciens soldats d’active pour la plupart, auraient été entraînés sur la base de Molkino, un territoire militaire qui appartient au GRU, le renseignement militaire, et situé dans la région de Krasnodar. Sur le site, un camp, tout neuf, apparaît bien sur les cartes satellite. Il n’existait pas dans les archives de Google Earth en 2014.
Dans un très long article publié le 25 août, intitulé «Fantômes de guerre, comment est apparue une armée russe privée en Syrie», le journal RBK Daily affirme pour sa part qu’un millier d’hommes travaillant pour des compagnies de sécurité russes ont participé aux combats en Syrie. Citant une source anonyme du ministère de la défense, le journal rapporte que vingt-sept «privés» auraient été tués en Syrie, une centaine, selon un officier de l’une de ces compagnies.
Projet de loi
Ces dernières, enregistrées dans des paradis fiscaux – à l’image de Corps slave, une société de sécurité russe immatriculée à Hongkong –, interviennent en Afrique, notamment pour la protection des bateaux au large de la Somalie. Elles ont été utilisées en Syrie pour garder des installations pétrolières, dans la région d’Homs ou de Deir ez-Zor.
Dans ce domaine, un nom revient sans cesse, celui de «Wagner». Sous ce nom de code, emprunté au pseudo de son responsable, Dmitri Outkine, un ex-officier du GRU, ce groupe, fort de 400 hommes, aurait participé aux combats dans l’est de l’Ukraine avant de se diriger, en 2015, vers la Syrie, et de prendre part à la bataille de Palmyre, «libérée» par l’armée syrienne de l’emprise de l’EI, en mars. Selon RBK, Sergueï Tchoupov en faisait bel et bien partie. Sollicité par écrit par Le Monde, le ministère russe de la défense est resté muré dans son silence.
Le débat sur le recours à des professionnels a pourtant été porté publiquement par un député de la Douma, la Chambre basse du Parlement russe. A trois reprises, Guennadi Nossovko, membre de la commission défense, a soumis à ses pairs un projet de loi sur le sujet. Déposé au mois de mars, le dernier en date relatif à «l’activité militaire et à la sécurité privées» a été retiré le 22 juin. «C’est un grand marché qui existe en Belgique, en France ou aux Etats-Unis, et je suis convaincu qu’une loi est nécessaire, mais je n’ai pas reçu le soutien de mes collègues, explique-t-il. Je crois qu’en haut, il n’y a pas encore de feu vert.»
Dans son texte, l’élu reprenait pourtant quasiment mot à mot des déclarations de Vladimir Poutine, favorable, en 2012, à un tel projet. «C’est un véritable outil, affirmait alors le chef du gouvernement, pour la mise en œuvre d’intérêts nationaux sans la participation directe de l’Etat.» Battu aux élections législatives du 18 septembre, M. Nossovko, qui se promettait de revenir à la charge en cas de victoire, devra passer le flambeau. (Article publié dans Le Monde, en date du 28 septembre 2016, mis à jour le 28 septembre 2016, à 10h32)
*****
Syrie. Selon l’OSDH, l’armée progresse
dans la vieille ville d’Alep
Par RFI
Après quatre jours de bombardements intensifs, les troupes syriennes progressent ce mardi 27 septembre 2016 dans la vieille ville d’Alep, selon l’ONG Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Les 250 000 habitants des quartiers rebelles de la cité, dans l’est, manquent de tout.
Si les troupes du régime syrien progressent ce mardi 27 septembre 2016 dans la vieille d’Alep, selon l’OSDH, peu d’informations sur ces opérations parviennent. Par contre, Abou el Haythem el Hour, militant de l’opposition syrienne, raconte l’horreur des quatre derniers jours et l’hécatombe provoquée par ce qu’il dit être des bombes anti-bunkers.
«De nouvelles armes sont utilisées, assure-t-il. Des bombes d’un nouveau genre s’abattent sur Alep. Ces bombes anti-bunkers provoquent des ondes de choc lorsqu’elles pénètrent dans le sol et explosent. La déflagration fait l’effet d’un tremblement de terre. Un immeuble peut entièrement être détruit. »
«Et puis, il y a aussi les bombardements classiques qui se poursuivent. Durant les trois derniers jours, il y a eu plus de 350 morts et la ville d’Alep a été bombardée plus de 600 foi», dénonce-t-il. D’après l’OSDH, le nombre de personnes tuées dans cette ville et la province éponyme, depuis la reprise des bombardements il y a une semaine, quand une courte trêve d’initiative américano-russe a volé en éclats, se monte maintenant à 248.
«Les hôpitaux de campagne ne peuvent plus faire face à l’afflux de blessés. Le nombre de blessés est trop important et ils n’ont pas assez de moyens médicaux pour face à cela. Il n’y a pas non plus assez d’équipes médicales sur le terrain », rapporte-t-il. Une source médicale précise que de ce fait, les blessés les plus sérieux sont immédiatement amputés. Selon l’ONG Save the Children, près de la moitié des patients dans les hôpitaux sont des enfants. […]
«Les Russes mènent une guerre froide à sens unique»
Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po et spécialiste de la Syrie, note que l’attitude russe dépasse largement le théâtre syrien. «Les Russes mènent une guerre froide à sens unique. Donc, ils ne peuvent que la gagner. D’ailleurs, ils la gagnent avec constance depuis le moment où ils l’ont déclenchée, vers 2012-2013, quand ils ont compris que Barack Obama, de toute façon, ne les suivrait pas dans quelque surenchère ou escalade que ce soit.»
«Le tournant a bien évidemment été la décision funeste du président Obama de rester passif en août 2013, après les bombardements chimiques de la banlieue de Damas et donc malgré la violation de ce qu’Obama lui-même appelait les lignes rouges», estime M. Filiu, qui établit «un lien direct entre cette passivité d’Obama en Syrie et la décision de Poutine d’annexer la Crimée. Quelques mois plus tard, il avait compris que, de toute façon, les Etats-Unis resteraient passifs, quels que soient les mises en garde et leur caractère catégorique» insiste-t-il. (RFI, mardi 27 septembre 2016, à 15 heures)
*****
«En colère pour Alep et pour la Syrie»
Appel au rassemblement devant l’ONU à Genève
vendredi 30 septembre à 17h
Rassemblement organisé par al-Tadhamon (Solidarité pour la Syrie)
Un demi-million de Syriens ont perdu la vie et plus d’un million de Syriens ont été blessés ou sont invalides suite aux blessures reçues pendant ces 5 dernières années! Du 19 au 26 septembre 2016 le réseau syrien des droits de l’homme a documenté 171 morts à Alep sous les bombardements barbares de la Russie et du régime Assad, dont au moins 40 enfants et 26 femmes, suite à la rupture d’un cessez-le-feu qui n’aura duré qu’une semaine.
La Russie s’acharne sur la population civile d’Alep avec une telle barbarie qu’il devient difficile d’y soigner les blessés et impossible de les sortir de cette zone à cause du siège de la ville. Pendant ce temps, le monde entier continue à regarder en silence l’horreur de ce qui se passe en Syrie et l’ONU, qui a depuis longtemps perdu toute crédibilité dans le dossier syrien, s’enfonce chaque jour davantage.
Aujourd’hui il est absolument primordial que les Syriens de l’extérieur de la Syrie et leurs amis qui défendent la liberté, la justice et la démocratie élèvent la voix pour briser ce silence. Il est urgent aussi que tous les peuples fassent preuve de solidarité avec le peuple syrien pour stopper l’hémorragie syrienne et éviter une expansion des crimes contre l’humanité à travers le monde, légitimés par leur impunité!
Venez nombreux et joignez-vous à notre rassemblement pour dire:
- Halte aux bombardements barbares sur Alep et sur toute la Syrie
- Halte au changement démographique de la population syrienne qui suit la fuite de la population opprimée militairement et l’évacuation forcée des zones assiégées, avec la complicité de l’ONU
- Halte à l’occupation russe et iranienne de la Syrie
- Non à l’impunité et Oui au jugement des responsables de crimes contre l’Humanité et de crimes de guerre en Syrie
Soyez le premier à commenter