Nous publions ci-dessous une contribution fort importante de Leïla Vignal parue dans La Vie des idées, en date du 27 juillet 2012.
*****
Par Leïla Vignal
L’attention portée aujourd’hui au soulèvement armé en Syrie ne doit pas cacher qu’il existe une dynamique révolutionnaire pacifique, profondément ancrée dans la société. Les nouvelles générations, majoritairement urbaines, davantage éduquées que leurs parents, sont le fer de lance d’une contestation politique qui s’efforce, par divers moyens, d’occuper l’espace public.
En cette fin juillet 2012, la confrontation entre les forces armées du régime et la branche militarisée du soulèvement, que l’on fédère sous l’étiquette de l’Armée Syrienne Libre (ASL), capte l’attention des médias, à juste titre. Après l’attentat du mercredi 18 juillet, perpétré au cœur de l’appareil sécuritaire à Damas, et qui a coûté la vie à quatre hauts responsables de la sécurité du pays, dont Assef Chawkat, le beau-frère du président syrien, l’opposition armée au régime semble désormais en mesure d’ébranler le régime, y compris dans sa forteresse damascène. À l’heure où ces lignes sont écrites, la fin du régime de Bachar al-Assad semble se rapprocher, sans qu’il soit possible d’en distinguer ni les modalités ni le calendrier.
Cependant, l’attention portée aux aspects militarisés du soulèvement, justifiée par l’impact que ceux-ci ont sur son développement, occulte la dynamique révolutionnaire pacifique, qui demeure centrale. Celle-ci s’est étendue à l’ensemble du territoire syrien, malgré des variations régionales importantes et de notables exceptions. Il suffit de compter : de 51 manifestations le vendredi 17 juin 2011, on en comptait 493 le vendredi 6 janvier 2012, et 939 le vendredi 1er juin 2012 [1]. Plus encore, la dynamique révolutionnaire pacifique se poursuit même dans les régions soumises à la répression de l’armée la plus violente : le vendredi 1er juin, 30 manifestations étaient par exemple encore recensées dans le gouvernorat de Homs.
Cet article privilégie l’analyse du soulèvement démocratique syrien et en propose des éclairages qui rendent compte, dans le temps long, des transformations profondes de la société syrienne, permettant ainsi d’explorer l’anatomie de ce peuple en révolution [2].
Les racines de la « révolution de la dignité »
Une révolution politique
Le 17 février 2011, un signe, ténu mais significatif parce que tout à fait inédit, avait annoncé, à Hariqa, au cœur des souqs du vieux Damas, les temps révolutionnaires à venir. À la suite de l’arrestation brutale du fils d’un commerçant par des agents des services de sécurité pour avoir mal garé sa voiture – une arrestation somme toute banale dans un pays où les services de sécurité ont toute licence –, les commerçants fermèrent boutique, se rassemblèrent dans les allées du souk aux cris de « Ach-chaab as-sourî mâ b-yendhall (le peuple syrien ne se laisse pas humilier) ». Cependant, c’est à Deraa que s’enflamme le mouvement de contestation, qui reçoit un écho national. Le 13 mars, dans cette ville de plus de 150 000 habitants, située au sud du pays, des écoliers inscrivent sur les murs de leur école des slogans anti-régime inspirés de ceux de la révolution égyptienne du 25-janvier. Ils sont arrêtés, torturés, par les services de sécurité (moukhabarat-s). La colère de leurs parents devient celle de la ville, où des cortèges se forment, puis celle des localités de la région environnante (Jassem, Nawa, Sanamayn). La violence de la répression policière qui s’abat sur ces manifestations (arrestations, tortures, tirs à balles réelles dans la foule), avant que les chars de l’armée n’encerclent la ville au cours des semaines suivantes, enflamme le pays. Dès le vendredi 18 mars, l’appel à un « Vendredi de la dignité » est suivi dans la capitale, à Alep (la seconde métropole du pays, dans le nord), dans les deux grandes villes de Syrie centrale, Homs et Hama, et dans la ville côtière de Banyias. Dès ce moment, jour après jour, vendredi après vendredi, les manifestations se propagent dans le pays. […]
Pour lecture de cette contribution significative dans sa totalité, voir http://www.laviedesidees.fr/Syrie-anatomie-d-une-revolution.html
_____
[1] Source : Comités Locaux de Coordination syriens.
[2] L’impossibilité de se rendre en Syrie contraint à utiliser uniquement des sources secondaires, construites par d’autres (réseaux de militants syriens, journalistes ayant accès au terrain, rapports d’organisations internationales), auxquelles s’ajoutent des témoignages recueillis par le biais de contacts personnels sur place. Mes remerciements vont à Cécile Boëx et Naoura al-Azmeh, qui ont accompagné l’élaboration de cet article grâce à leur générosité.
Soyez le premier à commenter