Au cours de la dernière attaque en date d’Israël contre Gaza et de la lutte ininterrompue du régime Assad contre la Syrie et «son» peuple, on a pu constater une cristallisation des préjugés entretenus par les médias depuis des mois. Alors que la tragédie palestinienne mettait en lumière les préjugés historiques des médias en faveur d’Israël, la tragédie syrienne mettait en relief un autre type de préjugé: celui contre les aspirations du peuple syrien à la liberté.
Quelques militants, intellectuels et défenseurs des droits humains, se définissant comme étant de gauche, anti-impérialistes et férocement en faveur de la résistance palestinienne, se sont opposés à la révolution syrienne depuis son début en mars 2011. Peut-être parce que Bachar el-Assad a hérité de son père ledit rôle de défenseur de la «résistance» arabe, alors même qu’il massacrait son propre peuple?
Ce groupe de journalistes, de blogueurs et de militants des médias sociaux affichaient leur mépris pour la révolution tout en lançant des avertissements contre la tendance «réactionnaire» à envisager la Syrie en tant que massacre d’une population plutôt qu’en tant que catastrophe géopolitique. Ainsi, ils s’appliquaient à attirer l’attention sur les troubles et la répression au Bahreïn, à acclamer tout signe «d’agitation» en Arabie saoudite, à insister sur les protestations qui se développent en Jordanie et à s’indigner de chaque mort à Gaza, tout en continuant à observer d’un oeil «critique« comment des douzaines d’êtres humains étaient tués en Syrie, chaque jour.
Ils prétendent que la «véritable» histoire est plus nuancée que celle de la narration d’un peuple qui revendique simplement le renversement d’un régime oppresseur. Ils voient l’opposition politique syrienne comme une conspiration occidentale contre une nation souveraine. Ils ne peuvent admettre l’extrême difficulté à forger un «corps politique» unifié dans le vide de pouvoir provoqué par un régime qui a dirigé le pays pendant 42 ans en utilisant une poigne de fer contre tous les dissidents.
Ils mettent en garde contre les tendances sectaires de la résistance armée syrienne, sans tenir compte du droit à l’autodéfense. Mais au cours des dernières semaines on a pu voir que ce sont ces porte-parole sophistiqués qui ont besoin de nuances, puisqu’ils sont incapables de dénoncer la violence, à moins qu’elle ne soit commise par Israël ou par un pays arabe soutenu par l’Occident.
On considère que c’est inconvenant de comparer la souffrance d’un autre peuple à celui de l’Holocauste de la Deuxième Guerre mondiale, tout comme on considère que c’est inconvenant de comparer la souffrance endurée par les Palestiniens au cours de ces 64 ans à la souffrance d’autres peuples du Moyen-Orient. Mais ce que les loyaux défenseurs de la résistance semblent avoir oublié c’est que la souffrance des Syriens est historiquement liée à celle des Palestiniens, car une grande partie de ce qu’a enduré le peuple syrien sous la dynastie de Assad – l’oppression, la répression, la terreur – était commis prétendument au nom de la «lutte pour la Palestine».
La puissance militaire du régime Assad – celui qui s’attaque maintenant au peuple syrien – a été développée sous prétexte de combattre l’ennemi commun des Arabes: Israël. Le régime a inculqué à des générations de Syriens qu’ils étaient en état de guerre permanente avec Israël pour libérer le plateau du Golan occupé. Nos cerveaux ont été pilonnés par des slogans creux pour le nationalisme arabe, des objectifs ambitieux d’unité, de liberté et de socialisme et des clichés sur la défaite du sionisme et de l’impérialisme.
Tous les détails de notre vie «officielle» étaient dominés par la vie militaire: nos uniformes d’école couleur kaki, marqués d’insignes qui changeaient comme des grades militaires lorsque nous passions d’une classe à l’autre; notre entraînement militaire obligatoire; les organisations d’étudiants du Baas qu’on nous incitait à rejoindre. Des jeunes membres du Baas recevaient des primes et des avantages spéciaux. Il faut dire que beaucoup d’entre eux étaient des moukhabarat [membres du service des renseignements, d’une des structures répressives] en formation.
Ceux d’entre nous qui avaient la chance d’éviter ces pièges ne connaissaient qu’une partie du mal que nous côtoyions tous les jours. Nous savions que notre gouvernement ne combattrait jamais Israël pour libérer le Golan. Nous savions que le rôle de la Syrie en tant que «résistant» n’était valable qu’en tant que pièce sur l’échiquier géopolitique du Moyen-Orient. Nous savions aussi que ce régime qui versait des larmes de crocodile pour les Palestiniens ne faisait rien pour les aider et laissait les réfugiés palestiniens en Syrie être traités comme des citoyens de deuxième catégorie. Mais nous n’imaginions pas le rôle sinistre que finirait par jouer l’armée.
Mais le moment venu, ces chars d’assaut qui étaient ostensiblement dirigés contre Israël se sont tournés contre Deraa. Ces chars, qui n’avaient fait que protéger la frontière israélienne pendant 42 ans, avec une armée nourrie de slogans fallacieux et toute une force aérienne, allaient finalement – comme cela avait toujours été prévu – utiliser leurs munitions contre le véritable ennemi de l’Etat: le peuple syrien qui scandait des mots d’ordre demandant la liberté.
En outre, comme si l’ambivalence du silence médiatique ne suffisait pas, les accusations contre la révolution syrienne ont atteint de nouveaux sommets au cours de ces dernières semaines. Des photos et des vidéos syriennes ont été diffusées sur des blogs, les réseaux sociaux et les chaînes de télévision comme venant de Gaza. Parfois ce sont les mêmes personnes qui prétendaient que les images d’atrocités syriennes étaient de la propagande montée de toutes pièces qui utilisent maintenant ces mêmes photos comme étant palestiniennes.
Suprême ironie: ces images syriennes qui sont maintenant utilisées comme propagande mensongère avaient auparavant été inventoriées comme étant de la fausse propagande. Pourquoi cette ambiguïté, cette trahison, cette hypocrisie?
Le fait que les images des morts syriens puissent si facilement être confondues avec les images de Gaza démontre pourtant non seulement que nos peuples et nos paysages sont interchangeables, mais que la violence qu’ils subissent est elle aussi interchangeable. Nos bâtiments s’effondrent de la même manière lorsqu’ils sont bombardés; les cadavres de nos enfants gisent de la même manière dans les bras de leurs pères en larmes; et nos mères gémissent de la même manière lorsqu’elles enterrent un fils de plus. Les Syriens le savent. Et les Palestiniens le savent aussi.
Vendredi passé, 23 novembre 2012, des dizaines de milliers de Syriens manifestaient dans leurs villes brûlées et en ruine, au risque de leurs vies, alors que des balles pleuvaient, pour scander des mots d’ordre pour la liberté et pour Gaza.
Contrairement au tyran et son armée traître, le peuple syrien a exprimé une véritable résistance, celle qui ne vient pas d’un manuel nationaliste et qui n’est pas un slogan vide. Ce peuple n’a pas besoin d’arguments nuancés pour scander: la Syrie et Gaza même combat. (Traduction A l’Encontre)
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Amal Hanano est le pseudonyme pour un écrivain double national: syrien et états-unien. L’article a été publié le 29 novembre 2012
Excellent !