Une «pause humanitaire» à Gaza n’a rien d’humanitaire

12 novembre 2023, à Khan Younès, sud de la bande de Gaza, un membre de la famille Qadeeh dans une morgue tué lors d’un bombardement.

Par Kurt Mills

Malgré l’augmentation constante du nombre de morts à Gaza, les hommes politiques occidentaux continuent d’appeler à une «pause humanitaire» dans l’attaque israélienne contre Gaza. Le terme «humanitaire» est ainsi défini: «chercher à promouvoir le bien-être humain en tant que bien premier ou prépondérant» – mais, dans le cas de Gaza, une «pause humanitaire» dans la guerre à Gaza n’aura que peu d’effet sur la promotion du bien-être humain.

Comme l’a récemment souligné Malak Benslama-Dabdoub, maître de conférences en droit à l’Université Royal Holloway, Université de Londres, il existe «une différence importante entre une pause humanitaire et un cessez-le-feu». Une pause est un arrêt de courte durée, localisé, des combats pour permettre à l’aide humanitaire d’atteindre les civils avant que les combats ne reprennent. Un cessez-le-feu, quant à lui, s’inscrit dans le cadre d’un processus politique dont on espère qu’il aboutira à un arrêt définitif des hostilités.

C’est vrai, mais les différences sont plus prononcées et beaucoup plus problématiques. L’argument avancé par le premier ministre britannique, Rishi Sunak (BBC, 25 octobre), ainsi que par le dirigeant travailliste Keir Starmer (The Guardian, 31 octobre) et d’autres, en faveur d’une pause plutôt que d’un cessez-le-feu, est qu’un cessez-le-feu permettrait au Hamas de se regrouper et de se renforcer pendant que les combats cessent.

Le président français Emmanuel Macron, quant à lui, a appelé à un cessez-le-feu à Gaza et a déclaré que rien ne justifiait les bombardements de civils à Gaza [1].

Des meurtres indiscriminés

Un cessez-le-feu aurait pour effet de mettre fin aux bombardements continus d’Israël et aux autres agressions contre la population de Gaza. Cela compromettrait l’objectif du gouvernement israélien d’éradiquer le Hamas et de prendre le contrôle total de Gaza.

Bien que l’attaque du Hamas ait été effroyable, il y a des limites – à la fois légales et morales – à ce qu’Israël peut faire en réponse. Ces limites n’ont pas été respectées.

De facto, Israël est l’occupant de la bande de Gaza, car il contrôle toutes les frontières terrestres de la bande de Gaza, à l’exception du point de passage de Rafah vers l’Egypte. Il contrôle également l’accès de Gaza à la Méditerranée et son espace aérien.

La vision du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou consisterait à étendre ce contrôle à l’ensemble de la gestion sécuritaire dans Gaza, ce qui impliquerait nécessairement une présence militaire israélienne dans la bande de Gaza.

Le fait de ne pas appeler à un cessez-le-feu revient à donner un assentiment implicite à cette approche, qui pourrait conduire à une aggravation et à une violence renforcées.

Cependant, le rejet des appels au cessez-le-feu constitue également un consentement implicite à d’autres objectifs à plus long terme des Israéliens. Le ministère israélien du Renseignement [Gila Gamliel est entrée en fonction en décembre 2022, membre du Likoud] et le Misgav Institute for National Security & Zionist Strategy, un groupe de réflexion étroitement lié au gouvernement israélien, ont élaboré des plans visant à débarrasser Gaza de tous les Palestiniens en les poussant vers l’Egypte (Mondoweiss, 24 octobre). Cela devrait être qualifié, au moins, comme un nettoyage ethnique.

Netanyahou a déjà parlé de «nettoyer la Cisjordanie», tout en citant récemment une injonction biblique tirée du premier livre de Samuel, dans lequel Dieu ordonne au roi Saül de tuer tous les habitants d’Amalek, une nation rivale de l’ancien Israël. Les critiques affirment que cette référence «est utilisée depuis longtemps par l’extrême droite pour justifier le meurtre de Palestiniens» (article de Noah Lanard, «The Dangerous History Behind Netanyahu’s Amalek Rhetoric», Mother Jones, 3 novembre). Certains l’ont interprétée comme justifiant un génocide.

Le président israélien, Isaac Herzog, a déclaré qu’il n’y avait pas de civils innocents à Gaza, une affirmation qui efface la distinction entre combattants et non-combattants. Cela justifie en fait une punition collective, qui est interdite par les conventions de Genève.

Le bombardement de Gaza par Israël et la mort de plus de 11 000 personnes, dont 4500 enfants, qui en a résulté, devraient faire l’objet d’une enquête de la Cour pénale internationale en tant que crime de guerre possible, tout comme les attaques du Hamas [du 7 octobre].

En attendant de mourir

C’est pourquoi appeler à une «pause humanitaire» n’est pas vraiment un comportement humanitaire. Comme je l’ai fait remarquer ailleurs (contribution datant du 25 septembre 2015 ayant pour titre «Palliation as a response to armed conflict», University of Glasgow), l’humanitaire – la fourniture de nourriture, d’eau et de soins médicaux aux personnes frappées par la guerre – se résume souvent à ce que l’on appelle dans le monde médical la «palliation» [3]. Il s’agit de soins médicaux visant à rendre le patient aussi «confortable que possible pour le temps qu’il lui reste».

J’ai également affirmé: «Si des millions de personnes ont été sauvées par l’humanitarisme [par le biais humanitaire], certains, pris au milieu d’un conflit, doivent avoir l’impression que le camp de réfugiés est une sorte d’hospice palliatif, les humanitaires maintenant les réfugiés en vie et dans des conditions minimales jusqu’à ce que la guerre – soit directement par une attaque des forces armées, soit indirectement par la malnutrition et les maladies associées à la guerre – les tue.»

C’est le cas à Gaza. Les habitants de Gaza n’ont littéralement aucune possibilité d’échapper à la guerre. Ils sont à la merci totale de l’armée israélienne. Bien qu’Israël ait demandé à la population de quitter le nord de la bande de Gaza et de se rendre dans le sud, cela n’a pas permis de la mettre à l’abri.

Israël continue de bombarder le sud de la bande de Gaza. Des hommes, des femmes et des enfants y sont toujours tués. Israël a bombardé des hôpitaux et les a rendus non opérationnels.

Il semble évident qu’Israël n’a imposé à son armée que peu de restrictions significatives susceptibles d’assurer la sécurité des civils à Gaza. Comme l’a déclaré un porte-parole des Forces de défense israéliennes au moment où les bombardements israéliens sur Gaza ont commencé le 10 octobre: «l’accent est mis sur les dégâts et non sur la précision» (The Guardian, 10 octobre 2023).

Les habitants de Gaza attendent simplement de mourir sous les bombes, les tirs de mortier et les balles israéliennes. Une pause humanitaire permettant l’acheminement de nourriture et d’eau ne ferait que créer des «morts bien nourris» (formule et titre utilisé par le New York Times du 15 juillet 1992 à propos de la situation à Sarajevo). Ils seraient maintenus en vie un peu plus longtemps, mais beaucoup plus d’entre eux mourront sous les coups de l’armée israélienne.

Israël a commencé à mettre en place des «pauses humanitaires» de quatre heures [avec l’annonce qu’un délai de trois heures est accordé pour quitter «son logement»] dans les combats au nord de Gaza. Cela ne ralentira guère la marche vers la mort des personnes piégées à Gaza. Comme l’a noté une observatrice [Bayan, une journaliste palestinienne]: «Les forces israéliennes passeront 20 heures par jour à assassiner des habitants de Gaza. Pas 24».

Les appels à une pause humanitaire à Gaza ne visent pas à «promouvoir le bien-être humain en tant que bien premier ou prépondérant». Au contraire, ils ignorent le massacre des habitant·e·s de Gaza par Israël et sapent ainsi le résultat humanitaire supposé que ses promoteurs proclament. (Article publié sur le site anglais The Conversation, le 14 novembre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

Kurt Mills est chercheur invité auprès du Centre for Global Law and Governance, University of St Andrews, Ecosse.

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[1] Selon Le Monde du 11 novembre, lors d’un entretien accordé à la BBC, Emmanuel Macron a, en fait, appelé à «œuvrer à un cessez-le-feu». «Il n’y a pas d’autre solution qu’une pause humanitaire d’abord» pour aller vers un «cessez-le-feu, qui permettra de protéger tous les civils, qui n’ont rien à voir avec les terroristes.» Le Monde continue ainsi: «Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, n’a pas tardé à réagir aux propos de M. Macron, affirmant que “la responsabilité de tout tort fait aux civils incombe au Hamas”, qui a déclenché la guerre par les massacres du 7 octobre et qui utilise des civils comme “boucliers humains”.» (Réd.)

[2] Le débat sur une formule – «il n’y a pas de citoyens innocents à Gaza» –  attribuée au président Herzog a été relativement nourri. Après un examen des diverses versions (extraits vidéo, entretien avec la chaîne britannique ITV), Cédrit Mathiot dans «Checknews» de Libération du 17 octobre conclut l’examen ainsi: «Le président n’affirme donc pas textuellement qu’«il n’y a pas d’innocent à Gaza». Il emploie même (certes après être relancé) le mot «innocent»pour dire «qu’il y a beaucoup de Palestiniens innocents qui ne sont pas d’accord avec cela [les crimes du Hamas ndlr]». En revanche, il met bien en avant «la responsabilité de toute une nation» dans la prise de pouvoir du Hamas. Ce qui apparaît, étant donné que la question portait sur les souffrances subies par les civils, comme une justification de ces dernières.»

[3] Renvoie au plan médical à la notion de «atténuer, supprimer certains aspects d’un mal sans agir en profondeur, sans guérir». (Réd.)

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