Une facette de la guerre menée par Israël à Gaza. Enquête

Tract des FDI largué dans la bande de Gaza.

Par Amira Hass

L’armée israélienne a commencé à publier des photos et des détails d’identification sur des habitants de la bande de Gaza qui, selon elle, ont espionné d’autres habitants de Gaza pour le compte de l’appareil de sécurité du Hamas, menaçant de continuer à publier les détails de beaucoup d’autres personnes à moins qu’elles n’appellent d’abord les Forces de défense israéliennes (FDI).

Une source militaire a déclaré à Haaretz que l’armée israélienne avait reçu l’autorisation légale de se livrer à cette campagne d’intimidation, qui vise essentiellement à «alerter la population de Gaza et à lui montrer que le Hamas la surveille, et à mettre en évidence ce qu’il lui inflige».

Le service de sécurité israélien Shin Bet, a-t-on dit à Haaretz, n’est pas impliqué dans cette initiative.

Les informations d’identification déjà publiées font partie, selon l’armée, du matériel de renseignement sur lequel Tsahal a mis la main au cours de son opération terrestre dans la bande de Gaza.

Vendredi dernier, les FDI ont largué des brochures au-dessus des mosquées de plusieurs localités de la bande de Gaza, apparemment pendant les prières de midi. Ces brochures contiennent les photos et les numéros d’identification de 130 hommes. Selon la source militaire avec laquelle Haaretz s’est entretenu, ces hommes ont été recrutés par l’appareil de sécurité du Hamas afin d’espionner les habitants de Gaza.

Dans le cadre de cette mission, ils ont fourni au Hamas des informations personnelles sur des membres de la base, notamment sur leurs penchants sexuels ou leurs relations sexuelles hors mariage.

«Appelez-nous si vous ne voulez pas que votre photo apparaisse ici», peut-on lire au bas de la dernière page de la brochure, intitulée (en arabe) «The Revealer» (le dénonciateur). La partie supérieure de la même page montre une rangée de silhouettes.

La page indique que «des centaines de milliers de rapports sur vous, les habitants de Gaza, ont été recueillis». S’adressant directement à eux, les FDI écrivent: «Voulez-vous savoir si vous avez été espionné et si vous avez fait l’objet d’un rapport? Allez sur le site web, entrez votre numéro d’identification et découvrez qui vous a dénoncé.»

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Deux pages internes contiennent, ligne après ligne, des photos, des noms et des numéros d’identification. Les FDI donnent également un code-barres qui renvoie à un site web où l’on peut trouver des informations sur une personne spécifique. A côté du code-barres, on peut lire: «Collaborateur de la sécurité générale [du Hamas]! Avez-vous découvert si votre numéro d’identification figure sur le site web? Nous allons bientôt révéler vos coordonnées à tout le monde. Vous pouvez encore vous sauver – appelez-nous.»

Sur la première page de la brochure figure la photo d’un homme, avec son nom. La légende est: «Le mouchard d’aujourd’hui». Le texte cite des informations que cet homme est censé avoir fournies, concernant une personne qui se rendait fréquemment en Egypte et qui avait des relations avec une Egyptienne mariée dont le mari se rendait fréquemment dans les Etats du Golfe pour son travail.

La seconde moitié de la page indique que des informations secrètes ont révélé l’espionnage effectué par le Service de sécurité générale du Hamas. «Ceci n’est qu’un fragment des informations que nous avons obtenues. Voici comment le Hamas vous a espionné», peut-on lire.

La page indique également que «la Sécurité générale est une organisation secrète du Hamas qui, depuis des années, utilise des informateurs pour vous suivre et vous espionner; il est possible que votre ami ou votre voisin ait confié au Hamas vos plus importants secrets. Nous dévoilerons bientôt tous les informateurs et les rapports qu’ils ont recueillis.»

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La source militaire a déclaré à Haaretz par téléphone que l’armée «n’y a pas mis d’histoires personnelles. Nous n’avons pas fourni de détails sur ce que ces personnes savaient ou avaient collecté.» Mais contrairement à ces affirmations, les noms complets de certaines des cibles présumées de ces informateurs apparaissent sur le site web.

«L’appareil de sécurité générale du Hamas a espionné (un nom complet apparaît ici), soupçonné d’être homosexuel… Il a espionné un jeune homme marié (son nom complet est fourni) soupçonné d’avoir des rendez-vous interdits avec une femme», peut-on lire sur le site web.

Le site invite les internautes à cliquer sur les liens vers les documents originaux qui se cachent derrière chaque nom, ce qui peut révéler les noms et les détails personnels, même intimes, de nombreux habitants de Gaza qui, selon les FDI, ont été la cible d’espionnage et de délation.

Le site web mentionne les noms de Gazaouis appartenant à d’autres organisations telles que le Jihad islamique et le Front populaire de libération de la Palestine, qui, selon les FDI, ont fourni au Hamas des informations sur leurs organisations.

Certains rapports indiquent, par exemple, que le Jihad islamique a connu des difficultés financières, ou que des personnes ont rencontré à plusieurs reprises des associés de l’Autorité palestinienne ou du Fatah, ce qui est considéré comme subversif ou suspect dans la bande de Gaza sous le régime du Hamas. Il y a également des dizaines de photos d’identité de personnes décrites par Tsahal comme des «informateurs ou des collaborateurs».

D’après l’écriture de certaines de ces photos, on peut conclure qu’elles ont été prises sur fond de logo et d’en-tête du ministère palestinien de l’Intérieur à Gaza. Certaines photos représentent des enfants qui ont l’air d’avoir moins de dix ans, l’un d’entre eux ayant même moins de cinq ans. Certains noms apparaissent sans photo.

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Le site web a été mis en ligne le 16 mai, a déclaré la source militaire à Haaretz. Un jour plus tard, des brochures imprimées ont été larguées par avion, avec la menace que d’autres noms et détails sur les informateurs seraient divulgués.

Quelques jours auparavant, le 13 mai, le New York Times avait révélé l’existence de tels documents détenus par les services de renseignement militaires israéliens. Il semble que les correspondants du journal, Adam Rasgon et Ronen Bergman, aient eu accès à de nombreux documents classifiés, dont certains faisaient l’objet d’un reportage.

La source militaire a déclaré à Haaretz que les documents recueillis par l’unité de renseignement militaire chargée de collecter les documents et le matériel technique lors de l’invasion de la bande de Gaza ont permis à l’armée de «découvrir beaucoup de choses sur le Hamas et ses intentions».

De nombreux documents provenaient de cet appareil de la Sécurité générale, dont l’objectif était «d’espionner toute personne vivant dans la bande de Gaza, y compris des personnes trompant simplement leur femme. Il ne s’agissait pas seulement d’informations militaires ou de sécurité. Ils exploitent ces informations pour recruter des gens, et travaillent de cette manière pour maintenir leur pouvoir.»

La source a déclaré que les FDI ont appris de ces documents qu’«en fin de compte, cela a nui aux gens ordinaires à Gaza». L’armée ne considère pas la publication de ces photos comme un moyen de pression, mais comme «un souhait de réveiller la population là-bas, en lui montrant ce que le Hamas lui a fait subir. Les personnes dont nous avons publié les photos ont été soigneusement sélectionnées par le Hamas, qui les a recrutées pour espionner et racketter des gens. Ces personnes appartiennent à des clans identifiés au Hamas. Cela fait partie de la façon dont le Hamas utilise les gens. Nous proposons à tous les civils et à toutes les personnes qui ont vécu des expériences similaires de nous fournir des informations.» Le site web indique que 10 988 recherches ont été effectuées. Ce chiffre est resté inchangé tout au long de la journée de lundi et jusqu’à la publication de cet article.

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Un homme nommé Tamer, qui a publié des photos de la brochure en ligne (en brouillant les détails d’identification), affirme que les affirmations de l’armée sont fausses et que, puisqu’Israël contrôle le registre de la population palestinienne (à la fois à Gaza et en Cisjordanie), il a accès aux noms et aux numéros d’identification de tous les résidents.

Le compte de Tamer sur X, ouvert en octobre 2023, indique une personne ou une organisation qui adopte ou représente le discours du Hamas. Il explique qu’après l’échec des tentatives de l’armée israélienne pour pousser les habitants de Gaza à collaborer avec elle, cette nouvelle mesure vise à susciter des conflits internes au sein de la population et des familles.

Certains habitants de Gaza ont déclaré à Haaretz qu’ils n’étaient pas choqués d’apprendre que le Hamas espionnait les gens, «comme le font d’autres régimes, y compris l’Autorité palestinienne à Ramallah ou l’administration militaire israélienne», a déclaré l’un d’entre eux, soulignant qu’ils savaient souvent qui les avait informés sur certaines questions. «Ce sont des méthodes infâmes utilisées par toutes les parties», a déclaré un autre habitant de Gaza.

Selon eux, alors que les gens ne savent pas s’ils seront tués le lendemain ou non et qu’ils sont occupés à chercher de l’eau et de la nourriture, il y a peu de chances que la divulgation des noms des informateurs présumés suscite beaucoup de colère ou que la guerre psychologique d’Israël fonctionne. (Article publié par Haaretz le 22 mai 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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