Par Moustafa Barghouti
Pour nous, Palestiniens, le 15 mai marque le 75e anniversaire de la Nakba (la «catastrophe» de 1948), au cours de laquelle environ 70% de la population palestinienne a été déplacée de force et plus de 500 communautés ont été complètement anéanties, sans compter les massacres commis par les milices sionistes. [Voir à ce propos sur ce site l’article de Dina Matar publié le 14 mai.]
La Nakba de 1948 a marqué la destruction du mode de vie de la population palestinienne autochtone et la création de l’Etat d’Israël. Lors de la guerre de 1967, autre tournant important, Israël a occupé les 22% restants de la Palestine historique.
Pourtant, en prenant le contrôle de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, Israël a involontairement unifié les Palestiniens qui ont rejoint une lutte commune pour la liberté, l’autodétermination et le droit au retour sur les terres que tant d’entre eux avaient été violemment contraints de fuir. Certains dirigeants israéliens ont même alors mis en garde contre les conséquences du maintien de l’occupation militaire de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.
L’occupation israélienne illégale s’est progressivement transformée en un système d’apartheid. Selon Ronnie Kasrils [membre de l’ANC et du PCAS], l’un des leaders juifs de la lutte anti-apartheid et membre du gouvernement de Nelson Mandela, l’apartheid israélien en Palestine est encore pire que l’apartheid qui existait en Afrique du Sud.
Cela inclut les colonies illégales soutenues par des fanatiques religieux-nationalistes comme le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, et le ministre des Finances, Bezalel Smotrich – ce dernier s’est ouvertement qualifié d’«homophobe fasciste». L’occupation a conduit à l’apartheid et l’apartheid a produit des fascistes.
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En 1993, les dirigeants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ont accepté la création d’un Etat sur seulement 22% de la Palestine historique. Mais, comme nous l’avons appris amèrement à travers l’expérience des accords d’Oslo [1991, 1993-1994], le compromis des Palestiniens n’a pas amélioré la situation de notre peuple.
Trente ans après la signature de l’accord d’Oslo entre l’OLP et Israël, la «solution à deux Etats» est morte en raison de la colonisation continue et de l’annexion de facto de la terre palestinienne par Israël.
Cela inclut des dizaines de colonies illégales, la construction d’un mur de ségrégation (dont la majeure partie a été construite sur des terres palestiniennes), et un discours politique israélien qui souligne qu’il n’y aura qu’un seul Etat – un «Etat juif» – entre la Méditerranée et le Jourdain.
Il est clair que les accords d’Oslo ne sont plus viables et que l’Autorité palestinienne (AP), affaiblie et délégitimée par Israël, est isolée et gravement impopulaire au sein de la population palestinienne.
Malgré toutes ces difficultés, la jeune génération palestinienne est déterminée à poursuivre la lutte pour la liberté. Un nombre croissant de Palestiniens pensent que la seule solution qui reste est un Etat démocratique unique sur l’ensemble de la Palestine historique, sans occupation, apartheid ou discrimination.
Depuis des décennies, des dirigeants et des militants palestiniens appellent à la création d’un Etat démocratique en Palestine, où Juifs et Palestiniens pourraient vivre ensemble et jouir de droits égaux.
Ces dernières années, alors même que la consolidation de l’apartheid par Israël est devenue de plus en plus flagrante, l’Europe et les Etats-Unis ont continué à faire pression sur les Palestiniens pour qu’ils acceptent une solution à deux Etats qui perpétue l’inégalité et la souffrance, sans tenir compte de notre droit à l’autodétermination et sans aucun effort sérieux pour mettre un terme à la construction de colonies.
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Rien ne peut justifier un colonialisme de peuplement qui nuit aux peuples palestinien et juif. Confrontés à un projet visant à éliminer les Palestiniens en tant que nation, nous sommes restés résilients et déterminés à ne pas renoncer à notre patrie.
Nous restons engagés dans la lutte pour la liberté et dans la lutte pour la création d’une société juste et démocratique qui bénéficie à tous les peuples sans discrimination.
Aujourd’hui, 75 ans après la Nakba, plus de 6 millions de réfugiés palestiniens ne peuvent pas retourner dans leur patrie. Pendant ce temps, le nombre de Palestiniens sur la terre de la Palestine historique est au moins égal au nombre d’Israéliens juifs.
Ce douloureux anniversaire et l’horrible réalité actuelle doivent obliger les décideurs politiques occidentaux et les dirigeants de la société civile à sortir des paradigmes figés. Nous ne pouvons pas changer le passé, mais la seule solution pour un avenir post-apartheid est un Etat démocratique unique où tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. (Tribune publiée par le Guardian le 15 mai 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
Moustafa Barghouti, candidat en 2005 à la présidence de l’Autorité palestinienne, arrivé en 2e position. Il est actuellement le leader de l’Initiative nationale palestinienne.
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