Palestine. Une «grève pour la dignité», ce 18 mai 2021. «Nous sommes unis en tant que peuple»

Par Yumna Patel

Lorsque Humam Abu Srour, âgé de 46 ans, propriétaire d’un magasin de meubles dans la ville de Bethléem, a regardé autour de lui la foule massive qui l’entourait mardi 18 mai, il a été impressionné. «J’ai vu mes voisins, mes amis, ma famille, d’autres propriétaires d’entreprises et de magasins, et des gens de toutes les classes sociales – des gens que l’on ne voit pas habituellement dans ce genre de manifestations. C’était un spectacle étonnant», a-t-il déclaré.

Human Abu Srour faisait partie des milliers de Palestiniens et Palestinienne qui ont fermé leurs magasins et se sont rassemblés mardi, près de l’intersection principale de la ville du sud de la Cisjordanie occupée, pour une grève générale nationale qui avait lieu dans toute la Palestine, grève baptisée en arabe par les Palestiniens: «Grève pour la dignité».

La foule de Bethléem faisait partie des millions de Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza, de Jérusalem, d’Israël et des régions avoisinantes qui ont participé à cette grève historique, qui appelait à la fin de la «campagne de violence et de nettoyage ethnique d’Israël contre notre peuple».

La grève, qui a été appelée et organisée par la jeunesse palestinienne, les organisations de base, les comités populaires et les organisations de la société civile à travers la Palestine, a été lancée en réponse à l’assaut d’Israël sur Gaza, qui a tué 213 Palestiniens jusqu’à présent [227 le 19 mai], à l’agression continue d’Israël à Jérusalem et à Sheikh Jarrah, et aux attaques auxquelles sont confrontées les communautés palestiniennes à l’intérieur d’Israël.

La grève, à laquelle s’ajoute une journée d’action et de solidarité dans les villes du monde entier, est considérée comme la première grève générale de cette ampleur à se dérouler dans toute la Palestine historique depuis 1936.

«Cette grève fait partie de notre résistance contre l’occupation israélienne, et c’est notre façon de nous opposer à ce qu’ils font à notre peuple dans toute la Palestine, à Gaza, à Jérusalem et ici en Cisjordanie», a déclaré Abu Srour. «C’est le strict minimum de ce que nous pouvons faire pour aider notre peuple. C’est notre devoir national.»

Abu Srour, qui a vécu deux soulèvements majeurs en Palestine, a déclaré que la grève de mardi 18 mai était différente de ce qu’il avait vu avec les grèves générales précédentes. «Cette fois-ci est différente, car tout le monde est impliqué, et c’est un mouvement populaire», a-t-il dit.

«Nous avons bien sûr des sentiments mitigés, des sentiments doux-amers, face à ce quoi nous avons assisté aujourd’hui», a-t-il déclaré. «Nous sommes toujours dévastés par le meurtre de notre peuple à Gaza, mais nous sommes heureux de ce qui s’est passé avec la grève, et que tout le monde se soit réuni.» «Nous avons vu des gens de différents milieux, de différentes villes, de différents endroits, du sud au nord, se rassembler pour manifester contre l’occupation, malgré la façon dont Israël a essayé de nous séparer et de nous diviser», a-t-il ajouté. «Aujourd’hui, nous avons envoyé un message clair: nous sommes unis en tant que peuple palestinien.»

Communauté, histoire et patrimoine

Plus tôt dans l’après-midi, avant que la foule ne défile dans la ville de Bethléem, les Palestiniens du camp de réfugiés d’Aïda, l’un des trois camps de réfugiés de la ville, se sont rassemblés sous la structure d’une clé très grande [«la clé du retour»] placée à l’entrée du camp pour un sit-in communautaire. Nidal al-Azzeh, un leader de la communauté et directeur de l’ONG BADIL – Centre de ressources pour la résidence palestinienne et les droits des réfugiés, basé à Bethléem – s’est assis sur les marches du Centre de la jeunesse d’Aida, entouré d’enfants, de jeunes et d’anciens de la communauté.

Al-Azzeh a commencé par poser une question aux enfants: «Qui peut me dire ce qu’est la Nakba?» a-t-il demandé. Un garçon a timidement levé la main et a répondu: «C’est quand nos grands-pères ont été chassés de nos maisons.» Al-Azzeh a hoché la tête, et a poursuivi avec une autre question: «Et d’où venez-vous tous?» À quoi les enfants ont commencé à énumérer un certain nombre de villages (Deir Aban, Beit Nattif, Beit Jibreen) – tous des villages dont les habitants ont été chassés par Israël en 1948.

Pendant près d’une heure avant la grande manifestation de l’après-midi, Nidal al-Azzeh et d’autres activistes communautaires locaux ont discuté avec les enfants de tout, de la Nakba en cours, de l’expulsion des familles de Sheikh Jarrah, du mur et des colonies, et de toutes les façons dont l’occupation israélienne affecte leur vie.

Les scènes sous la «clé du retour», impressionnante, dans le camp d’Aïda, ont été jouées dans toute la Palestine mardi après-midi, alors que les gens organisaient des sit-in communautaires et des activités pour les jeunes, centrées sur l’histoire et le patrimoine palestiniens.

La grève de mardi ne se concrétisait pas seulement par la fermeture des magasins, des bureaux et des écoles, ou par le boycott des biens et services israéliens. Il s’agissait d’une action communautaire, de l’éducation des jeunes sur leur histoire et de la transmission fière du message «nous sommes Palestiniens et nous sommes unis».

Dans l’appel à l’action qui circule sur les médias sociaux palestiniens, les Palestiniens s’invitent les uns les autres à organiser des sit-in et des activités communautaires, à hisser des drapeaux palestiniens depuis leurs maisons, à jouer de la musique palestinienne dans les rues et à décorer les murs et les rues de leurs communautés avec des symboles de la Palestine et des messages de soutien à Gaza et à Sheikh Jarrah.

À l’intérieur du centre de jeunesse Aida, un groupe d’adolescents du camp a utilisé de la peinture pour maquillage afin de peindre des drapeaux palestiniens et des motifs de kuffiyeh sur les visages et les bras des enfants du camp, qui portaient fièrement leurs nouveaux motifs en brandissant des drapeaux palestiniens.

Aiah Odeh, une avocate des droits de l’homme, âgée de 28 ans, venue de Nazareth pour l’événement, s’est jointe au sit-in communautaire du camp d’Aïda. Pendant le sit-in, de nombreux enfants lui ont posé des questions sur la vie à Nazareth et sur ce que c’est que d’être un Palestinien vivant en Israël, car beaucoup d’entre eux n’ont jamais quitté les frontières de la Cisjordanie occupée. «Je suis venue ici pour montrer mon soutien aux camps de réfugiés et aux habitants de Bethléem, pour leur montrer que, même à Nazareth, nous sommes avec eux et que nous formons un seul peuple», a-t-elle déclaré.

«Il est important pour moi de montrer aux jeunes ici qu’il y a des gens qui luttent aussi avec eux à Nazareth, et qu’après 73 ans d’occupation et de racisme et de discrimination à notre égard, nous sommes toujours debout ensemble en tant que peuple palestinien.» «Nous sommes un seul peuple, et nous allons rester un seul peuple pour toujours», a-t-elle ajouté.

Résistance économique

Les grèves générales en Palestine ne sont pas une nouvelle forme de résistance à l’oppression israélienne. Elles ont été utilisées au fil des décennies pour exercer une pression économique sur Israël – car une grande partie de la main-d’œuvre en Israël dépend de «citoyens palestiniens» d’Israël, de Palestiniens de Jérusalem et de travailleurs journaliers de Cisjordanie – et ont toujours bénéficié d’un large soutien de la part des Palestiniens vivant dans la région. Ces dernières années, cependant, bien qu’elles soient encore fréquemment utilisées comme outil de résistance, les grèves sont devenues plus localisées dans des lieux géographiques distincts (c’est-à-dire Gaza, la Cisjordanie, etc.).

Ce qui est considéré comme historique dans la grève de mardi, c’est la participation collective des Palestiniens de toute la Palestine historique, en particulier celle des «citoyens palestiniens» d’Israël. Aiah Odeh, qui travaille pour une organisation israélienne de défense des droits de l’homme, a déclaré qu’elle était ravie de voir le niveau de participation des «citoyens palestiniens» d’Israël comme elle, qui, selon elle et d’autres, a joué un rôle important dans le succès de la grève de mardi. «Je ne suis pas allée travailler aujourd’hui pour montrer à mes collègues que je suis palestinienne, que je fais partie de quelque chose de plus grand que moi, et que nous faisons vraiment quelque chose», a-t-elle déclaré, ajoutant que la grève «n’est pas seulement symbolique, elle a un effet réel sur le terrain».

«Israël dépend des 20% de personnes vivant à l’intérieur [d’Israël], qui sont des Palestiniens. L’économie israélienne dépend de nous. Et Israël doit savoir qu’il ne se tient pas debout tout seul, il dépend de nous», a-t-elle déclaré. Aiah Odeh a souligné le fait que les citoyens palestiniens d’Israël constituent une part importante de la main-d’œuvre israélienne, y compris des médecins, des avocats, des infirmières, et plus encore.

«Plus de 20% du secteur médical en Israël sont des Palestiniens», a-t-elle déclaré. «Par exemple, ma mère est infirmière, et elle n’est pas allée travailler aujourd’hui. En faisant grève, elle envoie le message que nous ne sommes pas seulement un groupe de civils, disponibles pour qu’ils nous attaquent.» «Nous pouvons affecter leur économie, et nous pouvons nous défendre d’une manière qui fait la différence sur le terrain», a déclaré Aiah Odeh. En plus de l’effet économique qu’ont les Palestiniens qui font grève à l’intérieur d’Israël, Aiah Odeh a souligné que la grève générale envoie un message encore plus fort: «Nous éveillons leur conscience et leur perception de nous en tant que Palestiniens. Ils continuent de nous appeler «Arabes israéliens» – nous ne sommes pas des Arabes israéliens, nous sommes des Palestiniens. Et aujourd’hui, on le leur a rappelé.»

Unité et espoir pour l’avenir

Dans les rues et sur les médias sociaux, le message retentissant venant de tous les coins de la Palestine mardi, et dans les jours et les manifestations qui ont précédé la grève, est que les Palestiniens sont unis. Sur les médias sociaux et sur le terrain, les Palestiniens appellent les soulèvements actuels l’«Intifada de l’unité».

Le Manifeste de la Dignité et de l’Espoir, un document qui a circulé à travers la Palestine le jour de la grève, se lit comme suit: «En ces jours, nous écrivons un nouveau chapitre, le chapitre d’une Intifada unie qui cherche notre seul et unique objectif: réunifier la société palestinienne dans toutes ses différentes parties; réunir notre volonté politique et nos moyens de lutte pour affronter le sionisme dans toute la Palestine.»

«Notre message est que peu importe la façon dont nous avons été divisés par l’occupation israélienne, nous sommes un seul peuple», a déclaré Humam Abu Srour à Mondoweiss. «Et pas seulement à l’intérieur de la Palestine, mais en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Amérique, en Europe.»

«Cela a été incroyable de voir tout le monde sortir pour protester contre l’oppression et contre l’occupation partout dans le monde. Cela nous rend fiers que les gens commencent à nous regarder, nous et notre cause, de manière différente. Aujourd’hui, de plus en plus de gens voient la réalité: nous sommes sous occupation et nous méritons d’être libres», a-t-il déclaré.

En tant que jeune Palestinienne, Aiah Odeh a déclaré à Mondoweiss que la grève lui a fait entrevoir un autre monde parce que «même après 73 ans, et toute la division qu’Israël a essayé de créer au sein de notre communauté et la séparation des Palestiniens pendant toutes ces années, cette grève montre que nous sommes toujours forts. Les Palestiniens du nord au sud, de Nazareth, Haïfa, Yaffa, et tous les endroits en 1948 se lèvent avec notre peuple à Jérusalem, en Cisjordanie et à Gaza.» Elle a ajouté: «Cette unité signifie beaucoup pour moi. Elle me donne de l’espoir. Même si nous ne libérons pas la Palestine aujourd’hui, nous apportons vraiment un changement et faisons quelque chose, et je vois aujourd’hui comme une énorme victoire pour nous.» Pour Aiah Odeh, pour Humam Abu Srour et pour tant d’autres Palestiniens, la chose la plus importante à partir de ce moment présent est de maintenir la dynamique.

Dans leur appel à la grève, les Palestiniens ont exhorté les gens du monde entier à montrer leur solidarité avec la grève en organisant différentes actions et manifestations devant les ambassades et consulats israéliens du monde entier, en organisant des protestations et des veillées pour les Palestiniens tués par la violence israélienne, en exprimant leur soutien au boycott, au désinvestissement et aux sanctions (BDS) et en appelant leurs gouvernements à imposer des sanctions à Israël.

«Notre message au monde est que ces gens qui voient notre lutte doivent faire plus de pression sur leurs gouvernements, et faire plus de pression sur les Israéliens pour qu’ils arrêtent leurs crimes», a déclaré Humam Abu Srour. «Boycotter les produits israéliens, appeler à des sanctions, tout cela peut forcer Israël à mettre fin à l’occupation et à nous donner nos droits», a-t-il ajouté. Faisant écho à des sentiments similaires, Aiah Odeh a exhorté les gens à «poursuivre ce mouvement, ne vous arrêtez pas». «Il ne faut pas s’arrêter aujourd’hui», a-t-elle insisté. «Notre lutte ne se limite pas à un jour ou à un moment. Nous parlons d’une lutte qui est plus grande et qui doit se poursuivre.»

«Ce n’est pas parce que nous avons fait grève aujourd’hui que nous devons revenir à la normale demain. Nous devons continuer sur cette lancée, et j’espère que la solidarité que nous voyons avec nous en ce moment se poursuivra à l’avenir», a-t-elle déclaré.

«Les choses sont en train de changer, nous pouvons le voir, nous pouvons le sentir.» (Article publié sur le site Mondoweiss, le 18 mai 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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