Par Gideon Levy
Le moment est venu pour les Etats-Unis, et dans leur sillage la communauté internationale, de prendre une décision: le cycle sans fin de la violence entre Israël et les Palestiniens va-t-il se poursuivre ou allons-nous tenter d’y mettre un terme? Les Etats-Unis vont-ils continuer à armer Israël et à déplorer ensuite l’usage excessif de ces armements, ou sont-ils enfin prêts à prendre des mesures véritables, pour la première fois de leur histoire, afin de changer la réalité? Et surtout, l’attaque israélienne la plus brutale contre Gaza deviendra-t-elle la plus insensée de toutes, ou, pour une fois, l’occasion qui s’offre à sa suite ne sera-t-elle pas manquée?
Il ne sert à rien de faire appel à Israël. Le gouvernement actuel, et celui qui le remplacera probablement, n’a pas et n’aura jamais la volonté, le courage ou la capacité de provoquer un changement. Lorsque le Premier ministre Netanyahou répond aux propos états-uniens portant sur la création d’un Etat palestinien par des formules indiquant qu’il «s’oppose aux initiatives imposées» ou qu’«un accord ne sera conclu que par le canal de négociations», on ne peut que rire et pleurer.
Rire, parce qu’au fil des ans le Premier ministre Benyamin Netanyahou a fait tout ce qu’il pouvait pour faire avorter les négociations; pleurer, parce que c’est Israël qui emploie la contrainte – la nature de sa politique à l’égard des Palestiniens est une coercition mise en œuvre dans le cadre d’une démarche unilatérale, violente, agressive et arrogante [1]. Tout à coup, Israël serait contre les actes de coercition? L’ironie se couvre de honte.
Il est donc inutile d’attendre du gouvernement israélien actuel qu’il change de comportement, de mentalité. Il est tout aussi vain d’attendre d’un gouvernement dirigé par Benny Gantz, Gadi Eisenkot ou Yair Lapid qu’il le fasse. Aucun d’entre eux ne croit en la création d’un Etat palestinien dont le statut souverain et les droits seraient égaux à ceux d’Israël. Tous les trois, ensemble et chacun séparément, accepteront tout au plus, dans un très bon jour, la création d’un bantoustan sur une partie du territoire. Une véritable solution ne sera pas apportée ici. Il vaut mieux laisser Israël patauger dans son refus.
Mais le monde ne peut pas se permettre de laisser passer cette occasion. C’est le monde qui devra bientôt reconstruire, avec ses fonds, sur les ruines de la bande de Gaza, jusqu’à la prochaine destruction par Israël. C’est le monde dont la stabilité est compromise tant que l’occupation persiste, et qui l’est encore plus chaque fois qu’Israël se lance dans une nouvelle guerre. C’est le monde qui reconnaît que l’occupation est néfaste pour lui, mais qui n’a jamais levé le petit doigt pour y mettre fin. Aujourd’hui, l’occasion de le faire se présente. La faiblesse et la dépendance d’Israël à la suite de cette guerre doivent être exploitées, dans l’intérêt d’Israël également.
Assez de mots. Assez des cycles de négociations futiles organisés par le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken et des mots durs prononcés par le président Joe Biden. Ils ne mènent nulle part. Le dernier président sioniste – peut-être le dernier à se soucier de ce qui se passe dans le monde – doit agir. En guise de préambule, on pourrait s’inspirer des paroles étonnamment simples et vraies du responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, Josep Borrell, qui a déclaré: «Si vous pensez que trop de gens sont tués, peut-être devriez-vous fournir moins d’armes [à Israël].»
Toutefois, la question n’est pas seulement de mettre fin à la guerre, mais surtout de savoir ce qui se passera une fois qu’elle sera terminée. Si cela dépendait d’Israël, sous n’importe quel gouvernement, nous retournerions dans le giron réconfortant de l’apartheid et nous reviendrions à la vie par le glaive. Le monde ne peut pas accepter cela plus longtemps et ne peut pas laisser le choix à Israël. Israël a dit: non. le temps est venu de trouver une solution semblable aux accords de Dayton [décembre 1995]. Il s’agit d’un accord imposé et imparfait conclu en Bosnie-Herzégovine qui a mis fin à l’une des guerres les plus cruelles et qui, contrairement à toutes les prévisions, a tenu pendant 29 ans. Cet accord a été imposé par la contrainte.
Un Etat palestinien n’est peut-être plus une solution viable en raison des centaines de milliers de colons qui ont ruiné les chances d’en créer un. Mais un monde déterminé à trouver une solution doit proposer un choix clair à Israël: des sanctions ou la fin de l’occupation; des territoires ou des armes; des colonies ou un soutien international; un Etat démocratique ou un Etat juif; l’apartheid ou la fin du sionisme. Lorsque le monde se montrera ferme, en posant ces options de cette manière, Israël devra prendre une décision. Le moment est venu de forcer Israël à prendre la décision la plus cruciale de sa vie. (Opinion publiée sur le site israélien Haaretz le 18 février 2024; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Selon le ministère de la Santé de Gaza, le nombre de personnes tuées s’élève, le 18 février, à 29’092, sans compter les personnes enfouies dans les décombres. Le nombre de blessés est de 69’028. En Cisjordanie et à Jérusalem-Est (occupée), le nombre de tués depuis octobre s’élève à 380.
Selon Amos Harel, dans Haaretz du 19 février, «Ben-Gvir a exigé que des limites sévères soient imposées aux Arabes israéliens qui se rendent à la mosquée Al-Aqsa pendant le ramadan». Si les oppositions se sont manifestées à cet égard, pour des difficultés dites juridiques, selon Amor Harel «il est toutefois possible d’interdire l’accès à certaines personnes pour prévenir l’incitation à la haine religieuse». (Réd.)
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