Par UNRWA [1]
Alaa travaillait comme tailleur à Beit Lahia, dans la bande de Gaza. Père fier de quatre enfants dont trois sont atteints de thalassémie, une maladie du sang qui exige la disponibilité d’aliments nutritifs pour leur survie. Plus la qualité de leur alimentation est bonne, plus ses enfants peuvent espacer les transfusions sanguines. Par conséquent, le manque de soins médicaux et la pénurie de nourriture dans la bande de Gaza ravagée par la guerre – en particulier de repas frais et nutritifs – sont pour eux une condamnation à mort potentielle.
Avant la guerre, Maysarah, 23 ans, Abdullah, 21 ans, et Samir, 18 ans, avaient besoin de transfusions sanguines toutes les deux semaines, en fonction de la qualité de leur alimentation. La malnutrition résultant de la guerre signifie qu’ils ont maintenant besoin de transfusions toutes les semaines. La pénurie de médicaments met également leur vie en danger.
Alaa raconte l’histoire du déplacement de sa famille, qui n’a pas de fin en vue étant donné que leur maison et son magasin ont été détruits. «Au début, nous avons quitté notre maison à Beit Lahia après avoir reçu des ordres d’évacuation et nous sommes allés à l’école Fakhoura de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), en espérant que ce serait un endroit sûr. Elle se trouvait également à proximité d’un hôpital, ce qui est important étant donné que mes enfants ont besoin de transfusions sanguines. Mais rapidement, les tirs d’obus autour de nous se sont intensifiés, et l’école dans laquelle nous étions abrités a fini par être touchée. Nous nous sommes enfuis pieds nus, sans rien emporter. Je courais dans les rues avec mes enfants, les obus tombaient autour de nous et les maisons s’effondraient sur les routes. Je ne sais pas comment nous avons survécu, mais nous avons survécu. Beaucoup de gens autour de moi ont été tués. Lorsque nous avons atteint l’hôpital pour enfants Al-Nasr, nous y sommes restés.»
Une fois de plus, ils ont été contraints de fuir lorsque l’hôpital a été bombardé. «La foule était terrifiée. J’avais peur que l’un de mes enfants tombe malade et que je ne sois pas en mesure de le protéger des gens qui se précipitaient pour quitter la zone. Des milliers de personnes se pressaient devant l’hôpital et les avions de guerre le bombardaient. Je me souviens de deux enfants qui ont été tués ce jour-là», raconte-t-il, l’air bouleversé.
«Lorsqu’ils ont annoncé l’opération sur Rafah, nous avons déménagé à nouveau dans la région de Mawasi [bande de terre d’un kilomètre de large et de 14 de long, le long de la côte, présentée comme un «lieu sûr» pour les déplacés]. Je n’ai pas trouvé d’endroit proche d’un hôpital dans le sud, alors je me suis résigné à la situation et j’ai installé une tente à Mawasi, ici dans le désert, sur ces dunes de sable. Il n’y a pas de source d’eau ni d’hôpital à proximité. Alors que je construisais notre tente, Abdullah s’est effondré devant moi. Comme je ne trouvais pas de moyen de transport pour l’emmener à l’hôpital Al-Aqsa, je l’ai porté. L’hôpital était rempli de personnes tuées et blessées par les bombardements en cours. Je n’ai pas trouvé de lit libre pour lui, c’était le chaos total! Il y avait du sang partout, des corps jonchaient le sol de l’hôpital. Lorsque le médecin a examiné mon fils, il a constaté qu’il avait besoin d’unités de sang immédiatement. L’hôpital n’avait pas d’unités de sang thérapeutiques disponibles en raison du grand nombre de patients traumatisés qui avaient également besoin de transfusions sanguines», se souvient Alaa.
Alaa a quitté l’hôpital pour chercher un donneur. «J’ai fait le tour des passants pour leur demander de donner leur sang. Je les ai pratiquement suppliés, mais beaucoup m’ont dit qu’ils n’avaient pas mangé et qu’ils craignaient de s’évanouir. J’ai trouvé un jeune homme prêt à donner son sang. Lorsque je suis retourné à l’hôpital, mon fils Abdullah était déjà mort. Abdullah est mort et a été délivré de ce monde injuste», raconte Alaa.
Les souffrances de la famille Abu Al-Nasr se poursuivent, le manque de nourriture saine faisant courir à leurs autres enfants le risque de subir le même sort qu’Abdullah.
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L’UNRWA continue de soutenir les personnes déplacées, où qu’elles se trouvent, avec l’aide disponible, dans la mesure du possible. La famille Abu Al-Nasr reçoit sa ration alimentaire de l’Office et une aide médicale d’une clinique locale de l’UNRWA. Cependant, cela est loin d’être suffisant.
Fares Qandeel, 69 ans, est également déplacé. Il est originaire de Sabra, quartier de la ville de Gaza. Il était mécanicien automobile et se lançait dans l’immobilier lorsque son emploi du temps le lui permettait. Son parcours de déplacé a connu cinq étapes jusqu’à présent. Tout d’abord, il a fui Sabra pour Deir al-Balah, puis Rafah. Lorsque les ordres d’évacuation ont été donnés pour Rafah, il a été forcé de déménager à Khan Younès. De là, il se trouve maintenant à Zawaida, au centre de Gaza.
Fares Qandeel souffre de maladies chroniques telles que le diabète et l’hypertension, ce qui a rendu difficile les déplacements fréquents, en particulier sans médicaments pour gérer ses maladies. La peur l’a envahi lorsqu’il a été témoin de l’arrestation de Palestiniens au cours de ses déplacements. Il a également été témoin de harcèlements et de meurtres, et de personnes obligées de se déshabiller et de se débarrasser du peu d’affaires qu’elles avaient sur elles pour passer les points de contrôle. Il nous a dit qu’il avait craint de mourir à plusieurs reprises, car sa maison avait été partiellement bombardée, avec des obus d’artillerie présents encore à l’intérieur, ce qui la rendait inhabitable.
Au milieu de tous ces traumatismes, c’est la crise de la faim provoquée par «l’intervention humaine» qui frappe Fares le plus durement. Fares, comme d’autres personnes déplacées, reçoit une aide de l’UNRWA, distribuée à l’intérieur des abris de l’Office. Cette aide comprend des conserves et de la farine. Mais les restrictions d’accès dans et autour de la bande de Gaza ont entravé le flux d’aide, qui n’est jamais suffisant pour répondre aux besoins énormes de près de deux millions de personnes déplacées.
Parlant des souvenirs de ses voyages, Fares se souvient de sa visite à Jérusalem en 1972. Il se souvient qu’il avait l’habitude de prier dans la [grande et ancienne] mosquée Al-Omari à Gaza [détruite le 8 décembre 2023 par l’aviation israélienne] et de faire des achats dans le Souk Al-Zawiya de la ville, confiant qu’il reviendrait un jour. «Les dirigeants du monde doivent s’attaquer sérieusement à ce problème et nous soutenir, nous et notre peuple. Nous avons assisté à des moments de la tragédie du déplacement, depuis la famine et les bombardements intenses jusqu’à la destruction. Cette tragédie terrifiante doit cesser», insiste-t-il. (Texte publié sur le site de l’UNRWA le 25 juin 2024; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Le mardi 25 juin, Philippe Lazarrini, commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), donnait une conférence de presse à Genève. Dans la partie initiale, il a résumé ainsi un enjeu qui fut et est encore au centre des «débats» sur le financement de l’UNRWA dont la régularité et l’ampleur déterminent sa capacité à agir. Et, conjointement, révèlent les initiatives d’Israël et de certains pays pour dissoudre sa fonction historique.
Sobrement, Philippe Lazzarini faisait le constat: «Fondamentalement, nous savons qu’une partie de la raison du ciblage de l’agence, y compris par le biais d’efforts législatifs et de déclarations politiques, est liée au statut de réfugié des réfugiés palestiniens que beaucoup voudraient voir retiré.» De plus, Philippe Lazzarini a insisté sur les implications d’un tel précédent pour d’autres agences dans un contexte de «crise humanitaire». Face aux «voix» qui au moyen de leur «ciblage» suggèrent des alternatives à l’UNRWA et à son statut établi dès 1949 – dont la mission est déterminante pour les réfugiés palestiniens à Gaza comme en Cisjordanie, au Liban, en Syrie, en Jordanie –, Philippe Lazzarini indiqué: «J’ai également discuté avec un membre de la Commission consultative (Advisory Commission) du rôle essentiel que l’agence peut jouer et qu’elle joue actuellement en tant qu’épine dorsale restante de la réponse humanitaire à Gaza.»
Il est possible de suivre la conférence de presse de Philippe Lazzarini, avec une traduction française par prompteur, en cliquant sur ce lien. Il y mentionne diverses facettes que le terme «crise humanitaire» euphémise. Il suffit pour cela d’en citer une soulignée par Philippe Lazzarini: «Les chiffres sont stupéfiants: on parle de 4000 enfants disparus et de 17’000 enfants non accompagnés, soit plus de 20’000. Ces chiffres s’ajoutent aux 14’000 enfants qui auraient été tués depuis le début de la guerre.» Des données qui font écho aux ordonnances de mars et mai 2024 de la Cour internationale de Justice. (Réd.)
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