Nous publions ci-dessous la traduction d’un rapport de l’OCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs). Un tel rapport – Flash Update – est produit chaque jour en langue anglaise, en arabe et en hébreu. Le texte ci-dessous couvre la situation des 8 et 9 février. Avec la sobriété de ce type de rapport est illustré ce que la Cour international de justice a qualifié de «risque génocidaire plausible».
Benyamin Netanyahou a ordonné le vendredi 9 février «à son armée de préparer “un plan d’évacuation” des civils de Rafah». Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a réagi en déclarant qu’«une telle offensive aggraverait de façon exponentielle l’actuel cauchemar humanitaire». Un journaliste de The Associated Press indiquait le 10 février: «Trois raids aériens sur des maisons d’habitation dans la région de Rafah ont tué au moins 28 personnes dans la nuit de vendredi à samedi.» Les raids aériens et les bombardements préparent l’invasion et le dit «plan d’évacuation» n’a aucune autre signification que de contraindre par la terreur des centaines de milliers de personnes à chercher à fuir, à survivre en «forçant» la frontière avec l’Egypte. Une nouvelle Nakba. (Réd. A l’Encontre)
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«Des bombardements israéliens intenses et des combats entre les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens continuent d’être signalés dans une grande partie de la bande de Gaza, entraînant de nouvelles victimes civiles, des déplacements de population et la destruction d’infrastructures civiles. L’intensification des frappes aériennes à Rafah a renforcé les craintes d’une escalade dans la ville la plus méridionale de Gaza, où des centaines de milliers de Palestiniens ont cherché refuge. Le 9 février, Catherine Russell, directrice générale de l’Unicef, a appelé «les parties à s’abstenir de toute escalade militaire dans le gouvernorat de Rafah, à Gaza, où plus de 600 000 enfants et leurs familles ont été déplacés, souvent plus d’une fois. Des milliers d’autres pourraient mourir dans les violences ou à cause du manque de services essentiels et de la poursuite de la perturbation de l’aide humanitaire. Nous avons besoin que les derniers hôpitaux, abris, marchés et systèmes d’approvisionnement en eau de Gaza restent fonctionnels. Sans eux, la faim et les maladies monteront en flèche, entraînant la mort d’autres enfants».
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Selon le ministère de la santé de Gaza, 107 Palestiniens ont été tués et 142 blessés entre les après-midi du 8 et du 9 février. Entre le 7 octobre 2023 et le 9 février 2024 à 11 heures, au moins 27 947 Palestiniens ont été tués à Gaza et 67 459 Palestiniens ont été blessés, selon le ministère de la santé.
Entre le 8 et le 9 février au soir, aucun soldat israélien n’a été tué à Gaza. Au 9 février, 225 soldats ont été tués et 1312 soldats ont été blessés à Gaza depuis le début de l’opération terrestre, selon l’armée israélienne.
Les personnes déplacées à l’intérieur de la bande de Gaza continuent de faire face à une détérioration des conditions humanitaires dans un contexte de pénurie aiguë d’abris, d’eau potable, de nourriture et de médicaments. Au 5 février, l’UNRWA [1] estime qu’environ 75% de la population de Gaza (1,7 million sur 2,3 millions d’habitants) est déplacée, la majorité se trouvant dans le gouvernorat de Rafah où sont basées les opérations humanitaires. Le directeur des affaires de l’UNRWA à Gaza s’est dit préoccupé par la perspective d’une offensive militaire israélienne à Rafah, qui pourrait entraîner la fuite de centaines de milliers de personnes, et a averti que l’Office «ne sera pas en mesure de mener des opérations efficaces ou sûres à partir d’une ville soumise à l’assaut de l’armée israélienne».
Les soins de santé à Gaza restent extrêmement précaires en raison de la poursuite des bombardements et des hostilités, du manque de fournitures et de personnel médical, des restrictions d’accès et de la détérioration rapide de l’état de santé. Selon l’UNRWA, seuls quatre des 22 établissements de santé de l’UNRWA sont opérationnels en raison de la poursuite des bombardements et des restrictions d’accès. Depuis le 7 février, il n’y a plus d’hôpitaux entièrement fonctionnels à Gaza, et 13 des 36 hôpitaux ne sont que partiellement fonctionnels, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le 8 janvier, l’OMS a signalé que l’hôpital Al-Shifa de la ville de Gaza, qui avait récemment repris certains services avec le soutien de l’OMS et d’autres partenaires du secteur de la santé, n’avait plus qu’une fonctionnalité minimale, après plusieurs jours d’hostilités intenses dans son voisinage. «Nous ne pouvons pas laisser la pierre angulaire du système de santé de Gaza s’effondrer à nouveau», a déclaré l’OMS. «Les soins de santé doivent être activement protégés. Les hôpitaux doivent être réapprovisionnés de toute urgence».
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Les combats intenses à Khan Younès, en particulier près des hôpitaux Nasser et Al Amal, continuent de mettre en péril la sécurité du personnel médical, des blessés et des malades, ainsi que des personnes déplacées à l’intérieur de la bande, poussant des milliers de personnes à se réfugier à Rafah. Le 9 février, le Croissant-Rouge palestinien a signalé la poursuite des attaques près de l’hôpital Al Amal, qui serait assiégé depuis 19 jours, et a déclaré qu’en raison des hostilités, il avait perdu le contact avec les équipes opérant à l’intérieur de l’hôpital. Le 9 février également, les allégations de tirs de snipers près de l’hôpital Nasser se sont poursuivies et deux Palestiniens auraient été tués à proximité de l’établissement. Lors de deux incidents survenus le 8 février, les forces israéliennes auraient tiré sur un groupe de personnes à l’entrée de l’hôpital et sur un autre groupe à proximité, tuant respectivement quatre et trois Palestiniens.
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Le 8 février, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a déclaré que «les Forces de défense israéliennes (FDI) sont censées détruire tous les bâtiments de la bande de Gaza situés à moins d’un kilomètre de la clôture Israël-Gaza, nettoyant la zone dans le but de créer une “zone tampon”. Les destructions effectuées pour créer une “zone tampon” à des fins de sécurité générale ne semblent pas compatibles avec la stricte réserve des “opérations militaires” prévue par le droit international humanitaire. Depuis la fin du mois d’octobre 2023, mon Bureau a enregistré des destructions et démolitions généralisées par les FDI d’infrastructures civiles et autres, y compris des bâtiments résidentiels, des écoles et des universités dans des zones où il n’y a pas ou plus de combats. Israël n’a pas fourni de raisons convaincantes pour justifier ces destructions massives d’infrastructures civiles. Cette destruction d’habitations et d’autres infrastructures civiles essentielles consacre également le déplacement des communautés qui vivaient dans ces zones avant l’escalade des hostilités, et semble avoir pour objectif ou pour effet de rendre impossible le retour des civils dans ces zones. Je rappelle aux autorités que le transfert forcé de civils peut constituer un crime de guerre.»
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En décembre 2023, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a réalisé une évaluation géospatiale, à l’aide d’images satellite [2], afin d’analyser les dommages subis par le secteur agricole dans la bande de Gaza. Des dommages importants ont été enregistrés sur 27,5% de toutes les terres cultivées à Gaza et sur 20,5% des serres. Quelque 488 puits agricoles ont également été endommagés. Une autre évaluation géospatiale, menée par le Centre satellitaire des Nations unies (UNOSAT), le 30 janvier 2024, a montré que 34% des terres arables avaient été endommagées. La plupart des infrastructures du secteur agroalimentaire ont été endommagées, qu’il s’agisse d’installations commerciales (fermes d’élevage, magasins de produits et d’intrants, etc.) ou d’installations domestiques, telles que les granges et les abris pour animaux. Le port de Gaza a été gravement endommagé et la plupart des bateaux de pêche ont été détruits. Le 8 février, les corps des deux pêcheurs ont été retrouvés après que leur bateau a été frappé par les forces israéliennes dans l’ouest de Rafah le 7 février.
Depuis le début du mois de janvier, les partenaires humanitaires ont planifié 76 missions d’acheminement de l’aide et d’évaluation dans les zones situées au nord de Wadi Gaza. Parmi ces missions, 12 ont été entièrement facilitées par les autorités israéliennes, deux ont été partiellement facilitées, 16 ont été entravées, 39 ont été refusées et neuf ont été reportées par les agences elles-mêmes. Au cours de la même période, 172 missions ont été planifiées dans des zones considérées comme nécessitant une coordination au sud de Wadi Gaza [rivière séparant la bande de Gaza en deux]. Parmi ces missions, 99 ont été entièrement facilitées, une a été partiellement facilitée, 18 ont été initialement facilitées mais ensuite entravées, 41 se sont vues refuser l’accès et 13 ont été reportées à l’intérieur du pays. Les zones ne nécessitant pas de coordination sont exclues de ces statistiques. Après sept missions quotidiennes consécutives planifiées pour livrer du carburant à l’hôpital Nasser en février, la mission a été facilitée à la huitième tentative, le 9 février.
Hostilités et victimes (bande de Gaza)
Les incidents suivants figurent parmi les plus meurtriers signalés le 9 février:
- Vers 1 heure, huit Palestiniens, dont trois enfants et une femme, auraient été tués et 18 autres blessés lors de l’attaque d’un immeuble résidentiel dans le secteur de l’hôpital Al Kuwaiti, au centre de Rafah.
- Au moins 15 Palestiniens auraient été tués lorsque des bâtiments résidentiels ont été frappés à Deir al Balah et Az Zawayda. Sept des victimes seraient des personnes déplacées à l’intérieur du pays, qui avaient été forcées d’évacuer deux écoles du camp de Khan Younès.
- Dans des incidents distincts, sept personnes déplacées palestiniennes auraient été tuées par des tireurs embusqués, alors qu’elles tentaient de traverser la route de l’école de Qandila vers d’autres zones dans l’ouest de Khan Younès.» (9 février 2024; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Emine Sinmaz, de Jérusalem, écrit dans le quotidien The Guardian, le 9 février: «Philippe Lazzarini, commissaire général de l’UNRWA, a déclaré qu’il n’avait pas examiné les allégations d’Israël contre des employés avant de les licencier et d’ouvrir une enquête. Lors d’une conférence de presse à Jérusalem, il a été demandé à M. Lazzarini s’il avait vérifié s’il existait des preuves contre les employés et il a répondu: «Non, l’enquête est en cours.» Il a qualifié la décision d’une «inversion de la procédure régulière», ajoutant: «J’aurais pu les suspendre, mais je les ai licenciés. Et maintenant, j’ai diligenté une enquête, et si l’enquête nous dit que c’était une erreur, dans ce cas, à l’ONU, nous prendrons une décision sur la façon de les dédommager correctement.» [Il s’agit de 9 personnes car 2 étaient décédées sur les 12 «dénoncées» par les services israéliens.]
Philippe Lazzarini «a toutefois précisé qu’Israël n’avait pas exprimé d’inquiétudes au sujet de ces personnes lorsque leurs noms ont été soumis l’année dernière à un contrôle de sécurité, comme l’ensemble des 30’000 membres du personnel de l’UNRWA, qui travaillent avec les réfugiés palestiniens à Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie».
Philippe Lazzarini a souligné, ce qui est un élément reconnu par tous les observateurs, que depuis des années l’UNRWA est une cible du gouvernement israélien. (Réd.)
[2] Deux journalistes de Haaretz, Yarden Michaeli et Avi Scharf, le 9 février, ont publié une animation (que l’on peut dérouler partiellement ici) et qui donne une vue des destructions commises par les forces armées israéliennes depuis octobre 2023 à janvier 2024. Un bilan photographique et cartographique qui pourrait susciter quelques vocations dans la presse francophone. (Réd.)
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