Des familles déplacées dans la «ville de tentes» de Gaza 

(Abed Rahim Khatib/Flash90)

Par Ruwaida Kamal Amer

Dans des circonstances rappelant étrangement les conditions de vie des réfugiés palestiniens après la Nakba de 1948, un village de tentes a vu le jour ces derniers jours dans la partie ouest de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. Plus de 100 tentes de l’ONU ont été installées sur ce qui était auparavant une place de la ville, offrant un abri temporaire à environ 800 personnes qui ont été déplacées de leurs maisons à cause des bombardements israéliens sur Gaza, suite de l’attaque du Hamas du 7 octobre.

Alors que tout le monde à Gaza est en proie à de graves pénuries de nourriture, d’eau et d’électricité, ceux qui vivent dans les tentes sont parmi les plus touchés par les attaques d’Israël et l’intensification du siège/blocus. Les résidents du campement survivent grâce à l’aide limitée fournie par les habitants et quelques organisations de la société civile.

On ne sait pas exactement comment le village de tentes a vu le jour. Salama Marouf, chef du bureau des médias du Hamas, a admis lors d’une conférence de presse la semaine dernière que le Hamas avait été surpris par l’apparition de ce campement, qu’il a critiqué comme étant un écho des camps de réfugiés de 1948. S’en prenant à l’Office de secours et de travaux des Nations unies [UNRWA – dont le commissaire général est l’Italo-Suisse Philippe Lazzarini], qui s’occupe des affaires humanitaires des réfugiés palestiniens dans toute la région depuis la Nakba, Salama Marouf a déclaré: «Le rôle de l’UNRWA n’est pas d’installer des tentes pour les personnes déplacées à l’intérieur de Gaza en préparation de leur déplacement à l’extérieur de la bande.»

Tout en confirmant que les tentes lui appartiennent, l’agence des Nations unies a nié avoir créé un nouveau camp de réfugiés. «L’UNRWA a distribué des tentes aux familles déplacées à Khan Younès pour les protéger de la pluie et leur offrir dignité et intimité», a déclaré Juliette Touma, directrice de la communication de l’UNRWA, à +972. «Nous tenons à confirmer que l’UNRWA n’a pas établi de nouveaux camps dans la bande de Gaza.» [1]

Fadwa Al-Najjar est arrivée au campement vendredi. Debout devant sa tente, à proximité de chariots vendant des conserves et des ustensiles de cuisine, cette mère de sept enfants, âgée de 40 ans, a raconté les horreurs de son voyage depuis le nord de la bande de Gaza jusqu’à Khan Younès, à la suite de l’ordre d’évacuation donné par Israël.

Fadwa Al-Najjar a été déplacée avec 90 membres de sa famille, qui vivaient tous ensemble dans un immeuble résidentiel du nord de la bande de Gaza. Le voyage à pied de 30 kilomètres vers le sud a duré 10 heures. «Nous avons essayé de nous reposer en chemin, mais les bombardements étaient intenses et nous devions continuer à avancer», se souvient-elle. «Israël a bombardé devant nous des voitures qui transportaient des personnes déplacées. Nous avons vu des corps et des membres partout. C’était comme un jugement dernier. Nous avons récité la Shahada [profession de foi musulmane] parce que nous avions peur d’être tués. Je ne l’oublierai jamais.»

Sherine Al-Dabaa, 36 ans, vit dans une tente du campement avec plus de 15 membres de sa famille, après avoir fui leur maison de Shujaiya, à l’est de la ville de Gaza, le 15 octobre. «Nous n’avons pas trouvé d’endroit où rester, alors nous nous sommes rassemblés ici», a-t-elle déclaré. «Cet endroit n’est pas sûr et le bruit des bombardements, jour et nuit, terrifie les enfants. Nous avons l’impression que nous pouvons mourir à tout moment.»

Sherine Al-Dabaa explique que les conditions de vie dans le village de tentes sont difficiles. «Nous faisons du feu pour nous éclairer la nuit et pour cuisiner pendant la journée. La nuit, il fait très froid et les enfants ne peuvent pas le supporter – ils ont besoin de couvertures. Nous avons quitté notre maison sans rien. Nous avons besoin d’eau pour nous laver les mains. Nous n’avons même pas pris de douche depuis le début de la guerre.»

Malgré les rapprochements avec la Nakba, Sherine Al-Dabaa est déterminée: «Ce n’est pas un camp de réfugiés, et nous refusons de l’appeler ainsi. Il s’agit d’une solution temporaire jusqu’à ce que nous puissions retourner dans nos maisons.»

Karam Tabsh, 44 ans, vit lui aussi sous une tente après avoir fui sa maison de Beit Lahia, à l’extrême nord de la bande de Gaza. «J’ai à peine pu profiter des rénovations que nous venions d’achever dans ma maison», déplore-t-il. «Je l’ai laissée derrière moi et j’ai fui pour sauver mes six enfants des bombardements. Je n’ai pas fui très loin [au début]. Nous sommes allés à l’école de l’UNRWA, dans le centre de la ville de Gaza, pour pouvoir rentrer rapidement chez nous. Mais c’est devenu impossible lorsqu’ils nous ont ordonné de nous déplacer vers le sud de la bande de Gaza.» [2]

Arrivés à Khan Younès, Tabsh et sa famille ne savaient pas où aller. «Je n’ai pas d’amis ici ni de famille dans la région. J’ai dit à ma femme que nous devrions aller à l’école de l’UNRWA, où je pensais que nous rencontrerions des gens qui pourraient nous aider, mais toutes les écoles étaient déjà surpeuplées.»

Finalement, parmi les nombreuses personnes déplacées errant autour de Khan Younès, Karam Tabsh a rencontré un autre habitant de Beit Lahia qui l’a informé de l’existence du campement de tentes. «J’ai trouvé une personne que je connais qui m’a dit qu’il y avait des gens à l’ouest de Khan Younès qui logeaient dans des tentes», explique-t-il. «Je ne pouvais pas imaginer rester dans une tente avec mes enfants, mais nous sommes en guerre. Je dois protéger mes enfants, nous ne pouvons pas vivre dans la rue.»

«Je suis agriculteur et j’avais l’habitude de travailler sur mes terres du matin jusqu’au soir», a poursuivi Karam Tabsh. «Je n’ai jamais pensé que je serais déplacé de cette façon. Dans toutes les guerres passées, j’allais m’abriter dans des écoles pendant quelques jours, puis je rentrais chez moi. Mais cette guerre est plus douloureuse – elle nous a obligés à fuir plus loin qu’auparavant.»

Adnan Abu Hasna, porte-parole de l’UNRWA à Gaza, explique que l’UNRWA a du mal à faire face à la situation humanitaire désastreuse qui se développe dans la bande. «L’UNRWA fournissait initialement de l’aide à 150 000 personnes déplacées; aujourd’hui, elles sont un million. L’UNRWA n’a pas la capacité d’aider ou de fournir des services à un si grand nombre de personnes, en particulier dans les conditions de la guerre.»

Les bâtiments et les infrastructures de l’UNRWA ont été endommagés et détruits par les frappes aériennes israéliennes dans toute la bande de Gaza, en particulier dans le nord et autour de la ville de Gaza. La destruction des installations de l’UNRWA alimente la crise humanitaire et explique en grande partie la nécessité de disposer de tentes à Khan Younès; pour beaucoup, il n’y a tout simplement pas d’autre endroit où aller. (Article publié sur le site israélien +972 le 23 octobre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

Ruwaida Kamal Amer est journaliste freelance résidant à Khan Younès

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[1] «Nos réserves d’eau et de nourriture s’épuisent. L’UNRWA n’a pas été en mesure de faire entrer un grain de céréale, un litre d’eau ou d’essence depuis dix jours à cause du siège imposé au territoire», rappelle Juliette Touma, la direction de communication de l’agence, dont 14 employés ont été tués depuis le 7 octobre. «Il faut lever le blocus, c’est une urgence absolue.» – Le Monde, 19 octobre 2023, p. 2, article de Clothilde Mraffko. (Réd.)

[2] Mohammed Zaanoun, photographe à Gaza, confie à la correspondante du Monde, Clothilde Mraffko: «Partout sur la route je suis témoin des bombardements [il a dû fuir aussi sa maison], constamment on entend des explosions, je vois les missiles frapper. Où que tu regardes tu vois des immeubles détruits. Dans les rues flotte l’odeur des dépouilles des martyrs, de la poudre, de l’incendie et de la mort. Il y a plus de 1000 corps coincés sous les décombres parce que les secouristes ne sont pas assez nombreux face à l’ampleur des bombardements. Eux, les équipes médicales, mes amis journalistes… tous sont des cibles, beaucoup ont été tués.» – Le Monde du 22-23 octobre 2023, p. 5. (Réd.)

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