Iran. L’ensemble du régime en point de mire

Manifestants à Téhéran le 30 décembre 2017

Par Babak Kia

Depuis le jeudi 28 décembre, la République Islamique d’Iran est secouée par une vague de contestation sociale inédite depuis le mouvement de 2009 contre la réélection d’Ahmadinejad. Les manifestations actuelles ont éclaté à Mashhad, deuxième ville du pays située à l’ouest, avant de s’étendre à de nombreuses villes et régions iraniennes. Depuis jeudi, les manifestations sont quotidiennes, elles s’amplifient et touchent désormais plus d’une quarantaine de villes petites, moyennes et grandes.

Contrairement à la mobilisation de 2009 qui se situait d’abord sur le terrain démocratique, ce sont bien les questions sociales qui sont au centre de la vague actuelle et Téhéran n’est pas l’épicentre de la contestation. Autre différence majeure, la mobilisation actuelle se situe en extériorité totale aux «débats» qui opposent les différentes factions du pouvoir. C’est bien l’ensemble du régime qui est dans la ligne de mire de la contestation.

Ces manifestations expriment d’abord un ras-le-bol profond face à la dégradation continue des conditions de vie, la vie chère, la corruption du régime et de ses dignitaires qui se sont enrichis considérablement. Face à la machine répressive de la mollahrchie et aux Gardiens de la révolution, la mobilisation s’est radicalisée et touche désormais les institutions et les symboles de la République Islamique. Les slogans hostiles au Guide et au président de la république sont repris en masse et cela dans l’ensemble des villes où la population se mobilise. La passivité des autorités lors du tremblement de terre de Kermanshah (à l’ouest, à 80 km de la frontière irakienne), qui a fait environ 500 morts à la mi-novembre 2017, les vols et la corruption ont aggravé l’hostilité de la population contre le pouvoir non seulement de la région, mais dans diverses régions où la population s’est identifiée aux milliers de personnes frappées par le désastre.

Les manifestants n’hésitent pas à s’en prendre aux portraits du président de la république Rohani, du Guide actuel Khamenei ou de Khomeiny. Ils n’hésitent pas à s’en prendre aux bâtiments publics et aux véhicules des forces de sécurité dès que cela est possible.

Le pouvoir a vite compris que cette mobilisation était particulièrement dangereuse. Certes, par sa politique de redistribution clientéliste de la rente pétrolière, la mollahrchie a toujours «acheté» le soutien de certains secteurs de la population. Mais la dégradation des conditions de vie, l’inflation galopante, les pénuries, le chômage de masse, la misère et l’absence d’espoir frappent les classes moyennes et populaires, y compris une partie de la base sociale du régime théocratique. La «géographie» de la mobilisation indique d’ailleurs un détachement de ces secteurs des classes populaires, cela explique les manifestations dans les petites villes de province notamment.

Le pouvoir tente d’éteindre l’incendie en réprimant massivement les manifestations et en bridant les canaux de communication, notamment les réseaux sociaux qui jouent un rôle important dans la propagation de la contestation. Les forces de sécurité et notamment les Gardiens de la révolution multiplient les provocations et infiltrent les manifestants afin de faciliter la répression. Déjà de nombreux morts sont à déplorer et les arrestations se multiplient à Téhéran et en province.

Tout en accusant les «ennemis extérieurs du pays» d’être responsables de la situation et en disant que les manifestants sont manipulés, le pouvoir feint d’entendre la légitimité du débat posé par la rue et promet des «espaces de dialogue» pour que s’expriment les revendications populaires. Rohani a annoncé que «la critique était un droit de la population». Cela constitue clairement un signe de faiblesse de la part du pouvoir, et personne en Iran ne peut croire à de telles promesses.

Reza Shahabi

La jeunesse iranienne, les femmes, les travailleurs sont soumis depuis 1979 à un régime théocratique réactionnaire qui réprime, torture et élimine physiquement et systématiquement ses opposants.

La contestation populaire actuelle entre en résonance avec le combat acharné des militants syndicaux iraniens qui luttent pour le droit de s’organiser et pour les droits élémentaires des travailleurs. Soixante-sept organisations syndicales et réseaux syndicaux internationaux se mobilisent dans le cadre d’une campagne pour la libération de Reza Shahabi, dirigeant du Syndicat Vahed (Syndicat des travailleurs de la compagnie de bus de Téhéran et de sa banlieue). La vie de Reza Shahabi est en danger [1]. Il est primordial que la gauche radicale et internationaliste s’engage dans le soutien à la vague de contestation sociale actuelle en Iran. Il faut amplifier la solidarité pour faire reculer la mollarchie et soutenir ceux qui luttent en Iran pour la satisfaction des revendications sociales et démocratiques et pour le renversement de la République Islamique.

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[1] http://www.iran-echo.com/26122017_fr.html

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Iran. Le pouvoir face à ceux «qui en ont assez»

Agences de presse, MEE, RFI

Ali Khamenei et les «ennemis» du pays… le 2 janvier 2018

• Neuf personnes ont été tuées a annoncé mardi la télévision d’Etat, alors que des manifestants tentaient de prendre d’assaut un poste de police malgré les tentatives de répression des plus grandes manifestations depuis des années.

L’attaque du commissariat de police de la ville de Qahderijan, dans la province centrale d’Ispahan, a provoqué des violences qui ont coûté la vie à six manifestants, selon la radio d’Etat.

Un jeune membre des Gardiens de la révolution et un passant ont été tués dans des villes proches du centre culturel d’Ispahan, alors que la télévision avait confirmé la mort d’un policier à Najafabad (dans la région d’Isfahan), abattu par le tir d’un fusil de chasse.

Cela porte le nombre de morts à 21 en cinq jours de troubles qui représentent le plus grand défi pour le gouvernement de mollahcratie depuis les manifestations de masse en 2009.

• Dans ses premiers commentaires depuis le début des manifestations la semaine dernière (jeudi 28 décembre), le guide suprême iranien a accusé mardi 2 janvier 2018 les ennemis de la République islamique d’avoir provoqué des troubles.

«Ces derniers jours, les ennemis de l’Iran ont utilisé différents outils tels que l’argent, les armes, la politique et le renseignement pour créer des problèmes à la République islamique», a déclaré l’ayatollah Ali Khamenei dans un article sur son site officiel.

«Ce qui peut empêcher l’ennemi d’agir, c’est l’esprit de courage, de sacrifice et de foi du peuple», a-t-il dit, s’adressant à un rassemblement de veuves de guerre et de leurs familles.

Khamenei a dit qu’il s’adresserait à la nation au sujet des événements récents «quand le moment est venu».

Parallèlement, quelque 450 personnes ont été arrêtées à Téhéran au cours des trois derniers jours, a déclaré mardi un responsable aux médias locaux.

«Deux cents personnes ont été arrêtées samedi, 150 dimanche et une centaine lundi», a déclaré Ali-Asghar Naserbakht, un député du bureau du gouverneur de la ville de Téhéran, à l’agence de presse ILNA (Iranian Labour News Agency).

Les protestations restent concentrées dans les grandes villes et les villes de province, avec seulement de petites manifestations sporadiques à Téhéran lundi soir où une forte présence policière a été signalée.

«Nous pensons que la situation à Téhéran est plus calme que les jours précédents, et qu’hier c’était plus calme qu’avant», a déclaré Ali-Asghar Naserbakht.

Il ajouta qu’aucune demande n’avait encore été adressée aux Gardiens de la révolution pour intervenir dans la capitale.

«Nous ne permettrons pas que l’insécurité se poursuive à Téhéran, mais si elle se poursuit, les autorités prendront la décision de l’achever», a déclaré Esmail Kowsari, commandant adjoint d’une branche locale des Gardiens de la révolution, à la télévision nationale.

Les dernières violences sont survenues en dépit du vœu du président Hassan Rohani selon lequel la nation traiterait avec les «émeutiers et les contrevenants».

Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, a décrit les troubles comme une «guerre par procuration contre le peuple iranien».

«Les hashtags et les messages sur la situation en Iran viennent des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Arabie saoudite», a-t-il déclaré aux médias locaux.

 

 

• Les autorités turques se sont déclarées, mardi 2 janvier, «préoccupées» par les manifestations de plusieurs jours qui se sont déroulées dans l’Iran voisin, mettant en garde contre toute escalade des troubles. «La Turquie est préoccupée par les informations selon lesquelles les manifestations en Iran se propagent, provoquant des blessés et certains bâtiments publics endommagés», a déclaré le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué, ajoutant que «le bon sens devrait prévaloir pour empêcher toute escalade». Le pouvoir d’Erdogan possède un «instinct» sûr dans ce domaine!

Dans le même temps, le ministère iranien du renseignement a publié une déclaration disant que des «instigateurs» ont été identifiés «et seront traités sérieusement».

Les Gardiens de la révolution ont publié des photos lundi 1er janvier de trois personnes recherchées et ont appelé le public à signaler tous les «éléments séditionistes».

Rohani a tenté de minimiser les troubles, qui ont commencé sur les griefs économiques dans la deuxième ville de Mashhad jeudi dernier, mais qui se sont rapidement retournés contre le régime islamique dans son ensemble avec des chants de «Mort au dictateur».

«Ce n’est rien» a déclaré Rohani dans un communiqué sur le site web de la présidence. «Notre nation traitera avec cette minorité qui scande des slogans contre la loi et les désirs du peuple, et insulte les sacrements et les valeurs de la révolution.»

Des rassemblements pro-régime ont eu lieu à travers plusieurs villes reflétant le soutien parmi une grande partie de la société.

Les mesures contre l’utilisation des médias sociaux se sont accrues, mais des vidéos sur ces médias continuent à montrer de nombreuses manifestations antigouvernementales.

• Rohani est arrivé au pouvoir en 2013 en promettant de réparer l’économie et d’apaiser les tensions sociales, mais les coûts élevés de la vie et un taux de chômage officiel de 12% ont laissé beaucoup de gens penser que les progrès sont trop lents. Les effets des sanctions américaines se font sentir et les sommets du pouvoir, comme toujours dans de tels cas, en tirent des avantages substantiels, accroissant fortement les inégalités sociales,

Les jeunes sont les plus touchés, avec jusqu’à 40% de chômeurs selon les analystes, et les zones rurales particulièrement touchées.

«Les gens en ont assez, surtout les jeunes, ils n’ont rien qui leur permette de se réjouir», a déclaré Sarita Mohammadi, une enseignante de 35 ans à Téhéran.

«La situation est bien pire dans les provinces, l’agriculture a été détruite, j’en connais beaucoup qui ont quitté le nord du pays pour venir travailler à Téhéran», a-t-elle ajouté.

Rohani a reconnu qu’il n’y avait «aucun problème plus grand que le chômage» dans un discours dimanche, et a également promis des médias plus équilibrés et plus de transparence. (2 janvier 2018; traduction A l’Encontre)

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