Par la revue en langue persane Praxis
Cela fait presque deux ans que les sanctions contre l’Iran s’accumulent et s’intensifient. Les plus importantes concernent la réduction des exportations de pétrole, les transactions bancaires et financières internationales, les mesures contre des secteurs clés de l’industrie telle que la pétrochimie ou encore l’interdiction de l’importation de matières premières, d’outils de production et de certains produits spécifiques.
L’embargo pétrolier et la perte de recettes en devises ont conduit l’Iran à une sorte d’échange (troc) pour importer les produits nécessaires. Cela peut amener l’Iran au même destin catastrophique que l’Irak. A savoir le «programme pétrole contre nourriture» [appliqué de 1996 à 2003] après la première guerre du Golfe.
Les sanctions envers la Banque Markazi d’Iran (Banque centrale de l’Iran) et les transactions de devises à travers la société Swift ont causé la perturbation d’environ 90% du commerce extérieur du pays. Tout cela a entraîné une hausse des prix des produits essentiels et de base. Ainsi, certains produits, notamment les médicaments, sont devenus rares, voire très rares.
Un nombre important des patients qui ne pouvaient se permettre d’acheter leurs médicaments au marché «noir» sont décédés. A n’en pas douter, les mesures de répression économiques frappent la population qui subit tout cela. En presque deux ans, les sanctions ont fragilisé des millions de familles et fait de nombreuses victimes.
Il est clair que les effets directs et indirects des sanctions sur la situation économique et sur les conditions de vie des travailleurs et des personnes démunies sont tragiques. D’une part, en raison de l’augmentation de l’inflation, de la hausse des prix des produits de base, d’autre part, à cause des coûts très élevés des matières premières et des équipements nécessaires à la production. Donc le niveau de production nationale a chuté et des ateliers ainsi que des usines ont fermé. Dès lors, le chômage et la précarité de l’emploi se sont accrus.
La baisse des recettes pétrolières a poussé le gouvernement à réduire le financement et l’investissement dans des projets économiques gouvernementaux et a entraîné la baisse des investissements étrangers.
Ainsi, les sanctions imposées ont provoqué une réduction des ressources alimentaires des familles et accentué les problèmes de malnutrition. Au chômage et à la précarité s’est ajoutée la dégradation de la santé publique. Les sanctions pèsent donc lourd sur la vie quotidienne de la classe ouvrière, de sorte que sa situation est critique.
L’état d’urgence et l’embargo
Il faut souligner que quelques mois avant l’élection présidentielle, le régime occultait encore l’impact et les conséquences désastreuses des sanctions. Par contre, il voulait démontrer que l’embargo avait donné naissance à une épopée nationale et cela afin de parvenir à l’autosuffisance économique. A cet égard, le régime ne reconnaissait pas publiquement les répercussions catastrophiques de l’embargo. Au contraire, il voulait montrer l’inefficacité des sanctions, ce qui a poussé les Etats-Unis et les pays occidentaux à les intensifier davantage, à un point que le gouvernent ne pouvait plus nier. Ainsi, la politique gouvernementale a contribué à l’alourdissement des mesures de répression économique qui touchent la population.
L’absence d’un minimum de contrôle démocratique de la société sur le bilan du régime a creusé un fossé entre la République islamique et le peuple. Et pendant que la population agonise en raison de l’embargo, il y a des secteurs économiques puissants qui profitent de cette situation et monopolisent les importations. En effet, ces secteurs sont en quelque sorte une mafia économique militaro-étatique. Ils ont la possibilité de réaliser des profits grâce à l’économie souterraine. Par conséquent, on peut dire avec certitude que les sanctions imposées écrasent la majorité des personnes, en particulier les démunis.
Les politiques néolibérales et les conséquences néfastes des sanctions (les conditions de vie du peuple) ont permis au régime de déclarer «l’état d’urgence» en prenant prétexte de l’embargo et de continuer à mener facilement sa politique économique néolibérale et son programme macroéconomique. C’est précisément le gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad [président de la République islamique de 2005 à 2013, antérieurement maire de Téhéran de 2003 à 2005], en utilisant cette situation particulière (état d’urgence lié à l’embargo), qui a commencé à engager sa politique néolibérale en réduisant les budgets des services publics et de la protection sociale. Le FMI a félicité le gouvernement d’Ahmadinejad pour son «succès», soulignant que ce dernier menait le pays vers le Nouvel Ordre Mondial, n’hésitant pas à présenter l’Iran comme un modèle pour d’autres Etats.
Cela nous montre bien que non seulement l’embargo n’est pas un obstacle à la politique économique du régime mais bien au contraire. Celui-ci en profite pour privatiser encore plus, supprimer les subventions et réduire les protections sociales et salariales des travailleurs. Ainsi c’est une double peine pour la classe sociale la plus fragile et on constate une pauvreté et une misère grandissantes parmi les ouvriers et les démunis.
Rohani, «l’ouverture extérieure» et la «réconciliation nationale»
Par ailleurs, la structure, les slogans et l’orientation politique (le programme économique…) du cabinet du nouveau gouvernement de Hassan Rohani [son mandat présidentiel a commencé en août 2013] confirme clairement qu’il est déterminé à poursuivre les «réformes structurelles» dans la sphère de l’économie. Cette nouvelle phase de la politique néolibérale consiste à améliorer les affaires. Il faut noter que l’actuel président a profité du mécontentement de la population vis-à-vis du précédent gouvernement et des menaces d’intervention militaire [Etats-Unis, Israël]. Cela a été une aubaine pour ce nouveau président qui a été élu en s’appuyant sur quelques slogans de réforme. En réalité, la majorité des électeurs et électrices ont voté Hassan Rohani, dit modéré, en espérant ainsi une levée de l’embargo et éviter le risque d’intervention militaire contre l’Iran. On est loin des revendications exprimées par les manifestants au cours du soulèvement post-électoral de 2009. Lors de l’élection de 2013, les opposants du régime ont renoncé à leurs exigences mises en avant lors des manifestations contestataires de 2009.
En résumé on peut dire que le poids de l’embargo et de la propagande du régime désignant «l’ennemi étranger» comme la cause des difficultés économiques ont occulté les critiques vis-à-vis du régime.
Une sorte de la «réconciliation nationale» s’est créée entre le peuple et le régime, de sorte que maintenant le fossé entre les deux parties a été en grande partie résorbé et cela sans aucun changement sérieux de la politique menée par le gouvernement. Dans ce climat ou règne l’illusion, les acquis et la lutte sont remplacés par une vague d’attente vis-à-vis des dirigeants.
Pendant ce temps, les sanctions ont joué un rôle essentiel dans le renforcement des fractions et des mouvements voulant constituer un front politique afin de diriger le mécontentement populaire, en conformité avec le gouvernement présent, afin de garantir «la paix sociale et l’harmonie». A noter que, durant le mouvement de protestation qui faisait suite à l’élection présidentielle de 2009, il y avait des fractions qui voulaient à tout prix empêcher la radicalisation du mouvement.
Avant la dernière élection (2013), ces «réformistes» ainsi que les autres fractions à l’intérieur ou en marge de pouvoir participaient à la machine de propagande officielle du régime en parlant de l’état d’urgence où se trouve le pays pour rendre nécessaire une «réconciliation nationale» et opter pour l’élection d’un président modéré et sage!
Un «front national» voulant mélanger oppresseurs et opprimés
Actuellement une campagne intitulée «Non à l’embargo» est en cours. Il s’agit d’une campagne nationale visant à créer un front national contre l’oppression et la menace extérieure. Cette campagne tente d’occuper l’espace public et de récupérer tous les poussées sociales et politiques et même le mécontentement de la population. Cependant, la contradiction fondamentale de cette campagne réside dans le fait que ses partisans et ses dirigeants recourent à la rhétorique «pression des sanctions sur la vie des gens» et font la promotion des politiques néolibérales. Plus précisément, la Chambre de commerce – une des principales institutions commerciales et financières qui coordonne des intérêts de la bourgeoisie et de l’Etat par l’intermédiaire des experts et cadres supérieurs gouvernementaux – a un rôle de premier plan dans la conduite de cette campagne (sans oublier la présence des intellectuels et des pseudo-oppositions au régime).
Cette campagne a mis les opprimés et les oppresseurs sur le même plan. C’est obligatoirement une façon de désarmer les travailleurs qui sont les vraies victimes de l’embargo. La fonction de cette campagne est justement le renforcement de la «réconciliation nationale». Mais, il ne faut pas oublier que les sanctions ont accentué les inégalités sociales et que le type de lutte contre ces sanctions renvoie inévitablement aux dimensions d’un affrontement de classes. Il faut noter que les sanctions ont fragilisé la vie de chacun et chacune et, de ce fait, les travailleurs et les opprimé·e·s ont du mal à s’organiser et à lutter.
Ce qui a été développé ici est la démonstration que les sanctions n’ont pas affaibli le régime (qui soi-disant en était la cible), bien au contraire il a été renforcé. Bien sûr, une telle contradiction n’est pas due au hasard ou à une erreur de calcul. C’est une stratégie fondamentale des puissances impérialistes. Elles essaient par tous les moyens d’affaiblir le pouvoir du peuple, pour faire avancer leur propre alternative politique. Le cas de l’Irak est un exemple dans l’histoire. La première et la deuxième guerre du Golfe montrent clairement les objectifs stratégiques des sanctions contre l’Irak qui ont augmenté beaucoup la pression sur le peuple et à cette occasion préparer le terrain pour la guerre et l’intervention étrangère.
Les pays qui préconisent les sanctions contre le peuple iranien et même qui menacent le pays d’une intervention militaire, ces pays-là, à savoir les Etats-Unis et Israël (avec comme prétexte la volonté d’empêcher l’Iran d’acquérir des armes nucléaires), ont plus d’armes nucléaires et sont les plus importantes puissances nucléaires mondiales. Ces deux pays, au cours de ces dernières décennies, ont été impliqués dans plusieurs guerres et massacres d’autres peuples.
Par ailleurs, l’insistance du régime iranien pour avoir l’énergie nucléaire est un prétexte pour garder sa souveraineté et sa puissance. C’est pour cela qu’il dépense des sommes énormes et colossales et qui ont un impact important sur le plan économique et politique. Cela alors qu’aujourd’hui on connaît les conséquences désastreuses des accidents de centrales nucléaires comme celles de Tchernobyl ou de Fukushima. Il n’y a pas de doute, l’énergie nucléaire est une menace mortelle contre la vie humaine et les écosystèmes. Elle n’est donc pas le garant de l’avenir, mais bien au contraire une menace pour l’humanité.
Appel. Pour une levée des sanctions
Puisque les gouvernants et les grands de ce monde ne fonctionnent que par leurs propres intérêts et ne sont guidés que par leurs profits, nous ne demandons pas aux dirigeants des Etats-Unis (ou autres) de changer de politique et de lever les sanctions. En revanche, nous comptons sur la volonté et la force du peuple opprimé pour manifester ses revendications. Nous demandons à tous les partis et forces progressistes, aux intellectuels des pays qui ont préconisé les sanctions contre l’Iran de réagir face à cette situation en revendiquant la levée des sanctions.
Nous demandons à nos camarades à travers le monde de lutter contre les politiques néolibérales, les armes de destruction massive, l’intervention impérialiste (humanitaire ou punitive) et les sanctions économiques. A noter que les sanctions économiques et les interventions étrangères engendrent la guerre et la répression – dont la réalité a une dimension systémique – et tuent au sens propre et figuré toutes les possibilités d’espoirs collectifs pour changer nos conditions de vie.
Nous demandons également de rester solidaire dans notre combat commun, car la solidarité internationale est un atout majeur dans la lutte. Nous demandons aux travailleurs et aux militants d’organiser et de mener la lutte émancipatrice. (Traduit en français par Iran-Echo, sous-titres de la rédaction A l’Encontre)
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