A Gaza, la famine et les massacres se prolongent

La guerre menée par Israël en Iran a détourné le regard de Gaza où une guerre continue d’être conduite. Ainsi, dans le Guardian du 14 juin, Emma Graham-Harrison cite, un jour après le début des frappes israéliennes contre l’Iran, Xavier Abu Eid, politologue et ancien conseiller de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP): «Le fait qu’Israël ait attaqué l’Iran ne signifie pas que la guerre à Gaza est terminée. Aujourd’hui, des dizaines de personnes ont été tuées, la seule différence est que cela retiendra beaucoup moins l’attention qu’hier. Le message d’Israël [avec ces attaques] est qu’il n’y a pas de solution politique pour quoi que ce soit dans la région. En frappant l’Iran, ils veulent saboter les négociations entre les Etats-Unis et l’Iran ainsi que la vague internationale de soutien en faveur de mesures concrètes pour la Palestine.»

Emma Graham-Harrison continue: «A Gaza, beaucoup de gens ignoraient tout de la guerre et de toutes les manœuvres diplomatiques qu’elle avait déclenchées, car l’une des plus longues interruptions de communication de la guerre avait plongé une grande partie du territoire dans l’isolement. Les réseaux téléphoniques et Internet étaient hors service depuis mercredi 11 juin en raison de dommages causés à des câbles à fibre optique essentiels, a indiqué l’ONU. «Depuis avril, les autorités israéliennes ont rejeté plus de 20 demandes de travaux [de réparation urgente]», a déclaré le bureau de coordination de l’aide humanitaire de l’ONU. Cela signifie qu’ils n’ont pas pu voir les nouveaux ordres d’évacuation publiés par le porte-parole de l’armée israélienne, ni les avertissements selon lesquels la guerre à Gaza se poursuivrait «avec une force extrême». (Réd. A l’Encontre)

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«Les Palestiniens risquent la mort en tentant de chercher de la nourriture»

Par Maha Hussaini (Gaza, Palestine occupée)

Pendant deux jours, la femme et les cinq enfants de Ramez Jendiya sont restés sans nouvelles de lui après qu’il soit parti chercher un colis alimentaire dans un site de distribution d’aide humanitaire soutenu par les Etats-Unis dans le centre de Gaza.

Après avoir tenté en vain de le joindre depuis sa tente de fortune installée dans le stade Palestine de Gaza, sa femme a finalement appris la nouvelle: il avait été tué près du site de distribution.

«Vendredi, il a dit à sa femme qu’il allait chercher de l’aide car ils n’avaient plus rien à manger. Il ne prenait généralement pas son téléphone avec lui, mais elle s’attendait à ce qu’il soit en retard car c’était sa troisième ou quatrième tentative et il rentrait toujours tard», a déclaré Ahmed Jendiya, son beau-frère, à Middle East Eye.

«Elle l’a attendu jusque tard dans la nuit, mais comme il ne revenait pas, elle s’est inquiétée. Elle a essayé d’appeler les hommes qui l’accompagnaient habituellement, mais aucun n’a répondu. Elle n’a pas dormi pendant deux jours, essayant désespérément de le joindre ou d’obtenir des informations sur son sort, surtout après avoir appris que des personnes avaient été tuées près du site de distribution.»

Samedi soir 14 juin, les proches de Jendiya se sont rendus dans le centre de Gaza, où ils avaient prévu de passer la nuit afin de pouvoir commencer les recherches tôt le lendemain matin près du site de distribution.

Le lendemain, ils ont parcouru les rues avec sa photo sur leurs téléphones, demandant si quelqu’un avait vu cet homme de 32 ans.

«Un Bédouin leur a dit qu’il y avait environ cinq corps sous le pont de la vallée de Gaza. Mais comme la zone était extrêmement dangereuse, ils lui ont proposé de l’argent pour le chercher et récupérer le corps s’il le trouvait», a poursuivi Ahmed.

«Ils lui ont montré sa photo, et il est allé sous le pont vêtu uniquement de ses sous-vêtements pour éviter d’être pris pour cible par des snipers ou des drones. Il a trouvé le corps et l’a ramené à sa famille.»

Selon son beau-frère, le côté gauche du visage de Jendiya était déchiqueté et il y avait un trou visible à l’arrière de sa tête.

Cela a conduit sa famille à croire qu’il avait été tué par un tir de quadricoptère israélien qui lui avait transpercé la tête.

Le même jour, samedi, au moins 66 Palestiniens ont été tués par des tirs israéliens près de points de distribution d’aide humanitaire soutenus par les Etats-Unis.

Pillages par des gangs et meurtres commis par l’armée

Le mécanisme controversé de distribution de l’aide américaine et israélienne, géré par la dite Gaza Humanitarian Foundation (GHF) [1], a commencé à fonctionner pour la première fois le 27 mai, après près de trois mois d’interdiction totale par Israël de l’entrée de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza.

Au cours des trois semaines qui ont suivi le début de son opération, plus de 420 Palestiniens ont été tués et plus de 3000 autres blessés par des tirs israéliens près des trois points de distribution d’aide dans le centre et le sud de l’enclave bloquée.

Selon le ministère palestinien de la Santé, rien que ce mardi matin 17 juin, au moins 80 Palestiniens ont été tués et des centaines d’autres blessés par les forces israéliennes alors qu’ils attendaient l’aide dans deux sites de distribution distincts à Khan Younès et Rafah, dans le sud de Gaza.

Alors que le nord de la bande de Gaza reste largement coupé de l’aide distribuée par ce mécanisme, ce qui entraîne une crise alimentaire étouffante, Israël a récemment autorisé un nombre limité de camions d’aide transportant uniquement de la farine de blé à entrer dans le nord de Gaza.

Ces camions sont autorisés à entrer dans l’enclave palestinienne par le passage de Zikim après minuit et à rejoindre les entrepôts des Nations unies.

Cependant, ils s’arrêtent souvent à certains endroits le long du trajet, où des dizaines de milliers d’habitants affamés se précipitent pour récupérer tout ce qu’ils peuvent.

Ce dispositif a été accusé de déshumaniser les Palestiniens et de ne pas fournir suffisamment de nourriture, en plus de mettre leur vie en danger, car les forces israéliennes ouvrent régulièrement le feu sur les foules affamées.

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (UNOCHA), entre le 19 mai et le matin du 11 juin, environ 5 600 tonnes de farine de blé, soit environ 224 000 sacs de 25 kg, ont été autorisées à entrer à Gaza.

Cependant, la plupart de cette aide a été interceptée et déchargée par des civils désespérés, et dans certains cas par des «criminels armés», avant d’atteindre les entrepôts ou les points de distribution désignés, selon l’agence des Nations unies.

Au début du mois, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a admis qu’Israël armait des gangs à Gaza afin de saper le mouvement palestinien Hamas.

«Nous avons fait appel à des clans de Gaza qui s’opposent au Hamas… Qu’y a-t-il de mal à cela?», a déclaré Netanyahou dans une vidéo publiée sur X. «C’est une bonne chose. Cela sauve la vie de soldats israéliens.»

Les organisations humanitaires ont accusé ces groupes de piller l’aide humanitaire. L’un d’entre eux, les «Forces populaires», dirigées par l’ancien prisonnier devenu chef de gang Yasser Abu Shabab, a été accusé de vendre au marché noir l’aide humanitaire pillée à l’ONU et de coopérer avec le GHF. [2]

«On ne sait jamais si on va revenir»

Le gouvernement israélien a été accusé par des organisations de défense des droits humains d’utiliser la famine comme arme de guerre, tandis que des Palestiniens, y compris des enfants, meurent de complications liées à la famine.

Mais pour les habitants de Gaza, se rendre sur les sites de distribution d’aide humanitaire est encore plus dangereux que la famine.

«Je refuse d’aller aux points de distribution américains pour de nombreuses raisons», explique Ahmed. «Tout d’abord, ils sont très loin. Je dois marcher environ 10 kilomètres juste pour m’y rendre et je reviens parfois avec une petite boîte contenant une aide limitée. Ensuite, j’ai l’impression d’être sur un lieu d’exécution. On y va pour obtenir de la nourriture, mais on ne sait jamais si on va revenir vivant.»

Malgré tout, en raison de la grave pénurie de farine, dont les Gazaouis dépendent fortement en l’absence de légumes, de viande et de conserves, Ahmed a déjà essayé d’attendre les camions d’aide dans le nord de Gaza dans l’espoir d’obtenir un sac de farine pour sa famille. (Article publié dans Middle East Eye, le 17 juin 2025; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Dans un article du Monde daté du 18 juin, Marie Jo Sader écrit: «Des Gazaouis affamés, debout depuis des heures, guettent le signal du départ d’une nouvelle distribution d’aide de la Gaza Humanitarian Foundation (GHF). Cette organisation privée américaine, intervenant sous supervision israélienne, s’occupe de distribuer l’aide alimentaire depuis le 27 mai dans l’enclave palestinienne.

La scène est filmée le 11 juin par un employé de l’entreprise et relayée sur X par Alon-Lee Green, codirecteur du groupe israélien arabo-juif Standing Together. Soudain, la foule se met en mouvement. Des milliers de personnes se ruent vers les cartons de nourriture. L’image d’une bousculade sauvage, désespérée. «Cette vidéo est tout simplement apocalyptique. Ce n’est pas un film catastrophe, c’est l’enfer que nous avons créé à Gaza. Voilà à quoi ressemblent des êtres humains affamés, qui risquent leur vie pour se nourrir. Voilà à quoi ressemble la déshumanisation de millions de personnes», commente le militant israélien Alon-Lee Green. […]

Ceux qui parviennent à attraper un sac sont, pour la plupart, de jeunes hommes capables de marcher plusieurs kilomètres jusqu’aux centres, dont deux sont situés dans l’extrême sud du territoire, autour de la ville de Rafah, complètement rasée et transformée en zone militaire. Les quantités sont limitées. Une fois sur place, la foule est accueillie par des cris en anglais, et les cartons sont jetés à terre. […]

«Nous n’avons jamais vu dans l’histoire récente, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, quoi que ce soit qui se rapproche de cela. Ça n’est pas la Gaza Humanitarian mais Humiliation Foundation», renchérit Juliette Touma, directrice de la communication de l’UNRWA.»

Serge Enderlin, dans un article du Monde, toujours du 18 juin, écrit: «La perspective est vertigineuse pour la Suisse, Etat dépositaire des conventions de Genève et du droit humanitaire international, qui a l’obligation de vérifier que les activités de cette ONG les respectent. Le risque est que «ces barbouzes, pseudo-acteurs humanitaires, commettent des crimes de guerre ou contre l’humanité, en étant au courant d’un plan de déplacement forcé de la population par Israël, ou y prêtent leur concours via des “hubs” humanitaires qui vont immanquablement attirer la population affamée vers le sud de la bande de Gaza», ajoute Philip Grant, de Trial International.»

A ce propos, il faut rappeler que le 3 juin le conseiller fédéral helvétique Ignazio Cassis – à propos de la Gaza Humanitarian Foundation, pseudo ONG installée à Genève depuis février 2025 – déclarait: «On doit regarder c’est quoi [sic] exactement et qu’est-ce qu’elle va faire, elle va le faire dans le respect du droit international ou pas. Et une condamnation a priori, avant qu’Israël ait la possibilité de faire quelque chose n’est pas correcte. C’est une prise de position non neutre.» Effectivement, l’alignement sur Israël dans sa volonté d’exclure l’UNRWA est vertigineux. Comme l’étaient les déclarations d’Ignazio Cassis, le 14 mai 2018. En introduction, Cassis affirme: «Tant que les Arabes ne sont pas prêts à accorder à Israël le droit d’exister, Israël se sent menacé dans son existence et se défendra.» Et, à propos de l’UNRWA et de Pierre Krähenbühl – prédécesseur de Philippe Lazzarini comme commissaire général –, il conclut: «Pour moi, la question se pose: l’UNRWA fait-elle partie de la solution ou du problème [des réfugiés palestiniens]?» L’orientation actuelle du conseiller fédéral et de la majorité parlementaire helvétiques s’inscrit dans une continuité. On peut se référer à l’article de Swissinfo.ch du 17 mai 2018 intitulé «Les surprenants propos d’Ignazio Cassis sur l’UNRWA». (Réd. A l’Encontre)

[2] The Times of Israël du 5 juin écrivait: «Israël a armé un gang de djihadistes appartenant au milieu criminel dans la bande de Gaza dans le cadre d’une initiative qui vise à renforcer l’opposition au Hamas au sein de l’enclave, ont confirmé jeudi des sources proches de l’establishment de la Défense, suite à des propos qui avaient été tenus à ce sujet par l’ancien ministre de la Défense Avigdor Liberman. [Ce dernier affirme]: «Le gouvernement israélien donne des armes à un groupe de criminels et à des voyous, proches de l’État islamique, sur ordre du Premier ministre.» Répondant aux propos de Liberman, le bureau du Premier ministre n’a pas démenti les allégations mais il a fait savoir qu’Israël «œuvre à vaincre le Hamas par divers moyens, sur la base des recommandations faites par tous les responsables del’establishment de la sécurité dans le pays». […] La milice mène ses opérations à Rafah, dans une zone placée sous contrôle militaire israélien. Abou Shabab a affirmé qu’il assurait la sécurité des convois transportant les aides humanitaires, même si d’autres ont accusé son groupe de les piller.» (Réd. A l’Encontre)

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