Par Claude Angeli
L’équipe Obama vient d’effectuer un surprenant raid «politico-militaire» sur la Turquie, membre de l’Otan et donc alliée des Etats-Unis. A la fin de la semaine dernière, John Allen, conseiller spécial à la Maison-Blanche, a rencontré à Ankara les collaborateurs du président Recep Erdogan. Accompagné d’une petite délégation, Allen souhaitait évoquer la menace représentée par l’Etat islamique (EI) et la nécessaire participation de la Turquie au combat commun.
Dans le même temps, des généraux américains, membres de l’US Central Command, qui organisent toutes les frappes aériennes contre l’Etat islamique depuis leurs PC de Floride et du Qatar, s’entretenaient avec les patrons des états-majors turcs. Pour réclamer leur aide. Enfin, Chuck Hagel, le chef du Pentagone, téléphonait longuement à son homologue Ismet Yilmaz.
L’histoire ne précise pas la qualité des arguments avancés par les émissaires américains, mais, à en croire Washington, les pressions ont aussitôt porté leurs fruits. Lundi 13 octobre, le Pentagone annonçait en effet que la Turquie autorisait notamment l’utilisation, par les avions US ou alliés, de ses installations d’Incirlik, à 160 km de la frontière syrienne – et affectées à l’Otan, soit dit en passant. De cette base aérienne, où séjournent environ 1500 militaires américains, tous les bombardements sur l’Irak et la Syrie seraient désormais facilités.
Mieux, Ankara s’engageait à prévoir l’implantation sur son territoire de centres d’entraînement pour combattants anti-djihadistes. «Voilà qui nous changera des camps de réfugiés, où, il n’y a pas si longtemps, nos amis turcs hébergeaient et formaient des islamistes avant qu’ils ne s’en aillent combattre l’armée de Bachar», raille, non sans raison, un diplomate français.
Au moment où l’on se félicitait, à Washington, de cette bonne volonté d’Ankara, une information parvenait à Paris. Selon des officiers français en poste dans la capitale américaine, le général Martin Dempsey, patron des forces armées, venait d’affirmer que les quelque 1800 soldats étatsuniens présents en Irak pourraient désormais participer aux combats. Et ne plus se limiter à jouer les conseillers militaires. «Un premier pas avant l’envoi d’autres forces combattantes», envisagent déjà plusieurs diplomates français.
Trouillards sans frontières
Soudain, toujours ce même 13 octobre, les Turcs démentent tout accord pour l’utilisation de leurs bases par des bombardiers alliés. Seuls pourraient s’y poursuivre les vols à but humanitaire ou logistique. Le Pentagone avait donc crié victoire un peu vite. Le président Erdogan veut encore négocier. Il revendique toujours la création d’une «zone tampon» (de sécurité) à la frontière syrienne et «la garantie qu’on ne lui imposera jamais, ce qu’il craint par-dessus tout, un Etat kurde à ses frontières», dit-on au Quai.
Barack Obama, qui, mardi 14 octobre, doit présider à Andrew, près de Washington, la réunion des chefs d’état-major de 21 pays membres de la coalition, va donc encore constater qu’ils n’ont pas tous les mêmes ennemis en tête.
La Turquie, par exemple, proche des Frères musulmans, comme l’Arabie saoudite, veut le départ de Bachar et accuse les Kurdes syriens de «neutralité» à son égard. Plusieurs Etats arabes – Arabie Saoudite, Qatar, Koweït, etc. – ont rejoint la coalition pour faire oublier leur soutien financier aux groupes djihadistes et salutistes qui opèrent au Proche-Orient ou en Afrique. Comme la Turquie, ils souhaitent voir Bachar en enfer, au nom du combat des sunnites contre les chiites, tétanisés qu’ils sont par la menace iranienne.
La France, elle, partage les positions à la fois saoudienne et turques, hostiles à Damas et à Téhéran. En revanche, les Américains semblent aujourd’hui s’accommoder de l’existence du président syrien. Bachar a en effet deux alliés de poids, la Russie et l’Iran, que Barack Obama n’a peut-être pas envie de vraiment fâcher. (Article publié le 15 octobre 2014 dans l’hebdomadaire français Le Canard enchaîné)
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