Sous les auspices de la Troïka, la Deutsche Bank exige des privatisations dans toute l’Europe. Continuité de la Treuhand

Deutsche Bank

Par Rédaction A l’Encontre
et Carl Wassmuth

Dans l’article traduit ci-dessous, l’auteur évoque les analogies historiques dont se servent les producteurs d’idéologie de la Deutsche Bank – dont l’ex-président du directoire, Josef Ackermann, aussi président de l’IFI (Institut de Finance Internationale) qui, sous le commandement de son directeur général, Charles Dallara, a dirigé ladite décote de la dette grecque, de fait, en faveur des grandes banques – pour justifier la politique de casse sociale orchestrée à l’heure actuelle par le FMI, la Commission européenne et la Banque centrale européenne (BCE), soit la Troïka. Afin de justifier la relance des politiques de privatisation, les auteurs du rapport commenté ci-dessous se réfèrent sans ambages à l’œuvre titanesque d’accaparement privé qui a suivi la fin du régime de la République démocratique d’Allemagne (RDA) et son incorporation à la République fédérale d’Allemagne (RFA), suite à la révolution démocratique de 1989, qualifiée, pour neutraliser sa dimension démocratique de masse, de «chute du Mur de Berlin». Ces politiques de privatisation couvrant la période immédiatement postérieure à la réunification allemande sont symbolisées en Allemagne par la Treuhandanstalt. Le nom, donc, de l’institution publique chargée de la conduite du programme de privatisation entre 1990 et 1994. Il est tout à fait significatif qu’à l’heure actuelle des politiciens bourgeois, comme du SPD (Franz-Walter Steinmeier dans une interview au Rheinische Post du 1er octobre 2011), fassent une référence explicite aux privatisations ayant suivi l’implosion du régime de la RDA, comme exemple des restructurations de l’appareil productif à conduire – selon eux – dans les pays subissant actuellement le diktat de la Troïka.

La comparaison entre la Treuhandanstalt, la Troïka et la politique du Fonds hellénique de développement des actifs, dirigé par Kostas Mitropoulos, s’avère utile, bien que cela soit pour des raisons opposées à celles des défenseurs d’un néolibéralisme de «transformation». Le bilan de la Treuhandanstalt s’est en effet soldé par une destruction d’emplois d’une ampleur gigantesque, par la casse systématique des mécanismes de contrôle, certes autoritaires pour ce qui est d’avant 1989, dont disposait la société est-allemande sur certains secteurs de l’économie et par la concentration d’un pouvoir autoritaire, d’un autre type, propre aux grandes firmes oligopolistiques qui obtiennent directement ou indirectement, pour rien, des nouveaux secteurs d’investissements (d’accumulation). Voici quelques données à titre d’illustration, même si cela ne remplace évidemment pas une réflexion approfondie sur ce chapitre-charnière de l’histoire allemande et européenne.

Le 1er mars 1990, un «établissement de gestion fiduciaire de la propriété collective (en allemand: Volkseigentum)» est créé sous le premier gouvernement post-RDA avant fusion et élu, avec une dimension démocratique, après la chute du Mur. L’idée de gestion fiduciaire vient du mouvement des droits civiques et vise, partiellement du moins, à introduire des aspects de démocratie économique.

Toutefois, le 17 juin 1990, une nouvelle loi réglementant la Treuhandanstalt vient remplacer la première. Elle s’oriente désormais vers l’idée du Einigungsvertrag (accord d’unification) qui prévoit que la RFA prenne en charge les «possessions étatiques» et les dettes de la DDR (RDA).

Les enjeux socio-économiques sont, au commencement de l’activité «fiduciaire», énormes: il s’agit de près de 8000 entreprises collectivisées (Volkseigene Betriebe, VEB), et plus de 30’000 magasins de commerce de détail, hôtels et restaurants, surfaces agricoles et terrains. La Treuhandanstalt est responsable d’un volume d’emploi de près de 4 millions de salarié·e·s.

A l’été 1990, un nouveau chef est nommé en la personne de Detlev Karsten Rohwedder. Avec le décret émis, «les privatisations passent avant les restructurations», il défend les intérêts du chancelier Helmut Kohl et de son ministre des Finances, Theo Waigel. Ces derniers veulent une privatisation rapide et en règle des «possessions» de la RDA, inspirée par la doctrine néolibérale. Par exemple, les grands combinats de l’économie dite planifiée ne sont pas convertis en sociétés par actions, comme cela était prévu dans les principales branches économiques par la loi de 1990; ce qui aurait permis un certain contrôle par les comités d’entreprise, les syndicats, les communes et les Länder. La priorité est donnée au démantèlement des grandes entreprises, à la vente à des investisseurs d’Allemagne de l’Ouest des meilleurs «morceaux»; et à la fermeture du reste. Rohwedder est assassiné par une action politiquement criminelle et humainement scélérate de RAF (Fraction armée rouge), en 1991.

Tandis que les commandes provenant des marchés d’Europe centrale et plus «à l’Est» connaissent une diminution drastique due aux bouleversements politiques post-1989, la surévaluation du D-Mark dans l’ex-RDA étrangle les entreprises. En effet, l’imposition de l’union monétaire en juillet 1990 prévoit une conversion du DDR-mark en D-mark de 1:1 (2:1 dans certains cas). En conséquence, 8000 des 9000 entreprises gérées par la Treuhandanstalt se retrouvent en manque de liquidités, ce qui aurait nécessité des garanties à hauteur de 30 milliards de D-mark. La Treuhandanstalt et le gouvernement allemand seront cependant très restrictifs dans l’attribution de ces garanties, même si ces sommes paraissent aujourd’hui toutes relatives en comparaison des garanties étatiques accordées aux banques en 2008.

Comme la Treuhandanstalt doit fournir des résultats rapides au gouvernement allemand, elle s’achète les services de spécialistes en consulting, recrutés dans les grandes firmes ouest-allemandes. Ces dernières envoient volontiers leurs managers à l’Est. Ainsi, 85% des ventes de privatisations industrielles vont à des acheteurs d’Allemagne de l’Ouest. Les géants économiques de l’industrie allemande sont intéressés par la possibilité de produire à bas prix, se constituant un vaste espace de sous-enchère salariale, tout en fermant les centres de Recherche et Développement et en rationalisant massivement: un tiers des emplois de l’ex-RDA sont ainsi démantelés.

Dans le même temps, la corruption atteint un niveau record, dans le sillage d’une sorte de «ruée vers l’or» où très peu de contrôle est exercé sur la crédibilité financière des acheteurs. Il s’ensuit un phénomène relativement répandu: un individu se porte acquéreur d’une entreprise privatisée de l’ex-RDA, encaisse les subventions, vend ensuite l’immobilier et laisse la firme entrer en faillite, avant de disparaître à l’étranger avant que les autorités judiciaires n’aient ouvert la moindre procédure. La criminalité résultant de la réunification engendre plus de 4000 procédures judiciaires pour des motifs économiques et quelques reprises par des gros requins à plus que bon prix.

Une des luttes symboliques de la résistance des salarié·e·s de l’ex-RDA contre les démantèlements industriels est celle des mineurs de potasse de Bischofferode (1993). Il faut cependant constater que si la colère de la population d’ex-RDA se manifeste alors fortement contre la Treuhandanstalt, les privatisations jouent en quelque sorte le rôle d’un paratonnerre, permettant en partie la victoire électorale du chancelier Kohl en automne 1994. (Rédaction A l’Encontre)

Sources: Süddeutsche Zeitung du 11 novembre 2009, Ausverkauf der Republik. Hebdomadaire Freitag du 4 juin 2012, Auftritt der Zyniker. Ouvrage de Dirk Laabs: Der deutsche Goldrausch. Die wahre Geschichte der Treuhand, Pantheon, 2012.

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Josef Ackermann, ex-directeur général de la Deutsche Bank

Le 20 octobre 2011, un rapport intéressant est paru dans la série de publications de la Deutsche Bank intitulée «EU-Monitor». Le titre de ce rapport [pourrait se traduire de la manière suivante]: «Gains, concurrence, croissance – possibilités offertes par les privatisations dans la zone euro» [1]. Critiquer la Deutsche Bank n’est pas une prouesse, de nos jours. L’institut financier compte parmi les plus gros négociants de devises au plan international et fait partie du cercle restreint des géants mondiaux, autant dans le secteur de la banque privée que dans celui de la banque d’investissement (investment banking). Ces caractéristiques légitiment sans doute «l’importance systémique» [expression faisant référence à l’idée anglo-saxonne du too big to fail, donc aux riques pour le système bancaire] qui assure à la Deutsche Bank une large liberté et des garanties contre la faillite, ce qui représente un véritable affront pour ceux qui aujourd’hui, comme dans le futur, doivent financer le sauvetage des banques [sans contrepartie aucune].

L’histoire de la Deutsche Bank est tout autant obscure: elle a participé au financement du [complexe concentrationnaire] d’Auschwitz et a accumulé des gains induits par les «politiques d’aryanisation» [2] et par les transactions d’or du régime nazi. Dernièrement, une nouvelle édition des Ames mortes de Gogol a fait la une des journaux: parmi les fonds de placement hautement complexes de la Deutsche Bank se trouvait un produit qui permettait aux placeurs de capitaux de miser sur la date de décès de personnes [3]. Mais, avant toute chose, la Deutsche Bank se rend impopulaire en intervenant de manière agressive dans le discours politique: tandis que tous sont sommés de plier sous le «diktat des marchés financiers», la Deutsche Bank exprime tout haut, en tant qu’acteur principal desdits marchés financiers, ce qu’elle revendique comme politique. C’est à l’aune de telles revendications que l’on comprendra le texte que nous commentons ici.

Auteurs et dimension de la publication

Le rapport est signé Dieter Bräuninger, économiste auprès de la Deutsche Bank depuis 1987 et actuellement Senior Economist au département Deutsche Bank Research. Il est aussi fait mention d’une co-autrice, du nom de Henrike Steimer, sur laquelle la seule information disponible est qu’elle a obtenu la maturité gymnasiale à Münster en 2008. En outre, on trouve les noms de la responsable d’édition Barbara Böttcher, de l’assistante de publication Sabine Kaiser ainsi que du responsable du management de Deutsche Bank Research, Thomas Mayer. Le texte exige en termes clairs une nouvelle série de privations en Europe, dans la mesure où leur recul actuel est ouvertement déploré. La nouvelle autorité de cette contre-réforme est la dite Troïka.

Le potentiel offert par les privatisations est examiné en détail pour chacun des pays suivants: France, Italie, Espagne, Grèce, Portugal et Irlande. L’étude comprend 19 diagrammes et six explications de termes spécifiques, présentées en marge. D’un total de 16 pages, le texte comporte environ 7500 mots, incluant les notes de bas de page, les sous-titres et les encadrés. Le mot «privatisation» et ses dérivés y prennent une place particulièrement proéminente, ne serait-ce que sur le plan numérique [4].

Agences de privatisation

Les auteurs du rapport recommandent de mettre en place des agences de privatisation sur le modèle de la Treuhandanstalt allemande [littéralement «établissement de gestion fiduciaire», voir ci-dessous et note de bas de page contenant un résumé historique]. Cette proposition avait déjà été formulée à l’été 2011 par le chef de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker. Il est donc possible de suivre la piste jusqu’à la Deutsche Bank. Dans le texte du rapport, on peut lire: «En fin de compte, la Treuhandanstalt a terminé son travail avec de lourdes pertes…». Toutefois, les auteurs trouvent une explication surprenante à ce fait: «…car la plupart des entreprises n’étaient plus attractives pour les investisseurs à cause de leur manque de compétitivité».

Pour rappel: le président de la Treuhandanstalt en fonction à l’époque, Detlev Karsten Rohwedder (assassiné en 1991), estimait la valeur des possessions administrées par l’agence fiduciaire à 600 milliards de D-mark, en 1990, lors du lancement des activités [de privatisation]. [Cette somme équivaudrait aujourd’hui] à environ 307 milliards d’euros [à l’époque, aucun bilan consolidé n’a «malheureusement» été effectué]. Quatre ans plus tard, la Treuhandanstalt cessait ses activités avec une dette de 256 milliards de D-mark. Il est à «espérer» que l’étiquette «manque de compétitivité» ne soit pas valable pour les entreprises et établissements étatiques grecs[5].

Les agences de privatisation doivent jouer un rôle central dans la nouvelle vague de privatisations exigée par le rapport. Elles sont légitimées de la manière suivante: «La situation difficile sur les marchés financiers n’est pas non plus un obstacle. Une issue consisterait ici à transférer les actifs [issus des possessions étatiques] à une agence chargée explicitement des privatisations. L’agence peut ensuite, selon la conjoncture des marchés, échelonner les ventes dans le temps. De cette manière, les Etats peuvent gagner la confiance [des investisseurs], sans avoir à se séparer de leurs possessions de manière précipitée.»

Ce qui importe ici, en apparence, c’est de s’assurer de la vente [des actifs], sans que celle-ci soit précipitée. Toutefois, les agences de privatisation vont, avant tout, permettre de contourner les restes de transparence et de contrôle démocratique. En même temps, il s’agit d’étouffer la résistance éventuelle qui émergerait contre une privatisation en particulier: tout est jeté dans un pot commun, sans que l’on sache qu’est-ce qui est vendu et quand. Une fois les négociations de vente terminées, la plupart du temps en dehors de tout contrôle public, l’expérience montre que l’affaire est bouclée rapidement. L’opposition n’a pas le temps de se former et [peut être] confrontée à des formes de désolidarisation. Des scénarios du type suivant sont à craindre: les défenseurs du secteur de l’eau sont satisfaits d’avoir repoussé une [offensive de privatisation] et ne sont pas en mesure de faire barrage contre la privatisation en cours des chemins de fer [6].

Service public

Le texte consacre une place considérable aux services publics. Des trois sections consacrées aux différentes «approches relatives aux privatisations», les deux plus longues traitent des services publics. Le terme apparaît à 15 reprises dans le texte. En termes de contenu, l’argumentation se base sur le prétendu succès de la privatisation des télécommunications dans l’ensemble de l’Europe pour aborder la question des services publics [liés aux grands réseaux d’infrastructure]: «Au contraire des télécommunications, des domaines comprenant certaines parties du secteur énergétique et du secteur des transports (avant tout ferroviaire) sont encore susceptibles de faire l’objet d’une privatisation radicale et d’une dérégulation, à mener dans l’ensemble de l’Europe.»

Dans une de ses pièces maîtresses, le texte cherche cependant à briser un tabou en assurant que les services publics d’intérêt général [7] sont en principe privatisables: «En principe, la privatisation des prestations de service public d’intérêt général présente des avantages, comme par exemple en ce qui concerne l’alimentation en eau, le traitement des eaux usées, les établissements de soins et les tâches non régaliennes de l’administration étatique. Dans tous ces cas, il s’agit en principe de biens privés.»
«Les offensives de privatisation devraient aussi avoir pour objet les institutions liées à l’infrastructure et aux services publics d’intérêt général.»

Il est aussi à préciser que cette affirmation fait l’objet de contestation: «Il ne fait aucun doute qu’il y a des réserves aux privatisations dans ces domaines. Ainsi, il est fait mention de la sécurité de l’approvisionnement, autant en ce qui concerne les quantités fournies que la qualité.»

Il est donc clair que ce sont les services publics d’intérêt général qui sont dans le collimateur. Déjà en 2007, donc avant que n’éclate la crise financière et économique mondiale, l’OCDE dessinait les contours du marché en question: «Selon l’OCDE (Organization for Economic Cooperation and Development), 71 billions de dollars seront nécessaires à la modernisation de l’infrastructure de base jusqu’en 2030, à l’échelle mondiale. Les projets d’infrastructure sont assez ennuyeux. Mais ils ont un cycle de vie long et sont normalement structurés de manière à produire des liquidités.» [8] [On a là un élément de la mal nommée politique de croissance reprise aux Etats-Unis et en Europe, avec la Chine en embuscade.]

Ces liquidités paraissent d’autant plus intéressantes [pour les investisseurs] que les autres formes de placement financier, y compris les obligations d’Etat, se montrent de jour en jour plus exposées aux risques.

Vendre – ou brader

La Deutsche Bank nous prépare au fait que la vente des services publics d’intérêt général ne rapportera pas beaucoup d’argent – ceux-ci n’étant pas (par définition?) rentables, dans le sens où ils couvriraient leurs coûts: «En particulier dans le domaine des services publics d’intérêt général, les effets fiscaux (à court terme) des privatisations ne devraient toutefois pas être surestimés. L’externalisation d’établissements ne couvrant pas leurs coûts et/ou endettés (comme dans le cas des hôpitaux) ne devrait par exemple être réalisable qu’à la faveur des remises de prix correspondantes. Dans ce cas également, une privatisation est cependant souhaitable, en règle générale.»

Dans un encadré, il est donné une définition des «biens publics». Cette définition ne fait pas consensus sur le plan scientifique, même s’il n’est pas possible de développer davantage ce point ici. De toute manière, la définition qui se trouve dans le texte principal paraît tout aussi singulière: «L’Etat ne devrait pas se mêler de ce qui se joue sur les marchés. Il doit toutefois faire en sorte de maintenir les régles adéquates et les conditions-cadres nécessaires au déroulement du jeu [sic]. Outre l’établissement et l’imposition d’un ordre juridique libéral, assurant la bonne marche de la concurrence (Wettbewerbsordnung), il appartient à l’Etat d’assumer le reste des tâches régaliennes, ce qui comprend la sécurité intérieure et extérieure, ainsi que les affaires étrangères. Tous ces biens peuvent être considérés comme des biens dits publics. Dans de telles situations, l’offre privée n’est pas (assez) opérante, car les signaux de prix et donc les incitations à produire font défaut.»

Selon [ce type de définition], les biens publics recouvrent les seuls domaines qui n’entrent pas dans le cadre conceptuel d’un marché omnipotent. […]

Un prétendu caractère scientifique

Les volumes de privatisation dans les pays étudiés devraient être calculés sur la base d’une grande quantité de données statistiques. Car il est bel et bien question de services et d’infrastructures d’une valeur estimée à plusieurs billions d’euros. Malheureusement, aucune source n’est citée à l’appui des indications chiffrées [du rapport]. Bien évidemment, personne n’est forcé de se confronter régulièrement à l’ensemble de la littérature scientifique sur le sujet. Pourtant, au regard d’une si maigre insertion dans le débat actuel, il n’est plus possible de parler ici d’un travail à caractère scientifique. [Le texte n’a] même pas la teneur d’un rapport sérieux sur un travail à caractère scientifique.

Sur le plan méthodologique, également, le texte ne respecte pas les standards en vigueur dans les publications scientifiques. Par exemple: au-delà des gains à court terme, il s’agit surtout de gagner la confiance des marchés financiers au moyen des privatisations – et ce au jour d’aujourd’hui. Mais que vaudra cette perspective dans un an, cinq ou dix ans? Même en restant fidèle à la logique centrale du texte qui prétend que la confiance des marchés est monnayable…

«Les privatisations peuvent essentiellement contribuer à la nécessaire consolidation des budgets nationaux. Dans ce cadre, il ne s’agit pas seulement de nouvelles possibilités de revenus à court terme, afin de contrebalancer l’augmentation des dettes. De surcroît, les Etats décidés [à faire ce pas] donneraient également un signal fort de confiance aux investisseurs, ce qui devrait se traduire positivement en termes de coûts de refinancement [de la dette étatique].»

[…] il semble indispensable de partir du principe que la confiance est une grandeur variable, qui ne peut donc pas être acquise une fois, pour l’éternité. Au mieux, celle-ci peut éventuellement être louée pour une période de temps donnée. Sous cet aspect, il est à déplorer que le rapport ne donne absolument aucune indication sur les gains qu’auraient rapportés en moyenne les entreprises privatisées, sur une approximation des gains éventuels à attendre des entreprises à privatiser et sur le total des coûts (et pertes de gains) passés et futurs de chaque privatisation. En bref: il manque une analyse de la durée pour laquelle la confiance des marchés devrait être gagnée, et dans quelle proportion le prix [exigé] est en relation avec la valeur [à acquérir], le jalon de comparaison étant constitué, dans le cas présent, par la faible rétribution des obligations d’état en termes d’intérêt. Comme cette analyse manque au rapport, il est pour ainsi dire impossible de démontrer les nombreuses affirmations sur les prétendus effets positifs des privatisations.

Endetté? Privatiser!

En résumé, on pourrait présenter la nouvelle chaîne d’argumentation de la manière suivante:

On déplore le cercle vicieux suivant: les Etats sont endettés – s’ensuit une «perte de confiance» dans les marchés financiers [les banques, assurances, fonds d’investissement] –, s’ensuit une augmentation des taux d’intérêt auxquels les Etats peuvent emprunter sur les marchés obligataires (ou similaires), ce qui provoque une augmentation des dettes publiques (en fait, largement privées, par transfert).

L’issue est la suivante: privatisation, en particulier des services d’intérêt général – s’ensuivent la «confiance des marchés financiers» et des revenus à court terme (considérés comme secondaires dans l’argumentation) –, s’ensuit une baisse des taux d’intérêt, ce qui permet de réduire les dettes. A propos de la mise en œuvre de ce qui est appelé une «offensive de privatisation», «on» exige des institutions qui sont le moins possible sous l’influence du [contrôle] parlementaire: la Troïka ainsi que des agences de privatisation.

Pour le mouvement «altermondialiste», il est probablement important d’enregistrer le fait suivant: ce n’est plus la «mondialisation» qui est invoquée comme justification abstraite [pour la conduite des politiques néolibérales], mais «la lutte contre l’endettement».

Dans les avertissements mentionnés en petits caractères à la fin du rapport, il est du reste mentionné qu’aucune garantie ne peut être offerte quant à l’exactitude des indications données. Il est même explicitement mentionné qu’en vertu des lois propres à chaque pays, des informations supplémentaires doivent être prises en compte, avant que le rapport ne soit utilisé comme base pour des décisions de placement financier. Ainsi, les clients australiens sont priés de prendre en compte les [consignes] d’utilisation du produit (Product Disclosure Statement ou bien PDS), et ce en référence à chacun des instruments financiers évoqués dans le texte. Toute décision de placement financier doit [selon les indications en fin de rapport] prendre en compte ces PDS.

L’auteur de ce texte recommande de saisir l’occasion de ce rapport du [secteur] research de la Deutsche Bank pour mettre en garde de manière démonstrative contre les dégâts provoqués par la privatisation complète d’économies nationales. (Traduction A l’Encontre)

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Carl Wassmuth travaille comme ingénieur-conseil à Berlin et est cofondateur de l’organisation «Gemeigut in Bürgerinnenhand – GIB». Site : www.gemeingut.org)


[1] „Erlöse, Wettbewerb, Wachstum – Möglichkeiten der Privaitiserung im Eurogebiet EU-Monitor 87, disponible à l’adresse suivante: http://tinyurl.com/db-research-Privatisierung.

[2] Le régime national-socialiste qualifiait d’aryanisation les politiques qui visaient à l’expropriation totale des populations juives dans le Reich et dans les territoires occupés par la Wehrmacht. Par extension, ce terme caractérise la spoliation des biens des populations juives d’Europe, ainsi que leur exclusion systématique de la vie économique, scientifique et culturelle.

[3] [Extrait du] Kölner Stadtanzeiger du 6 février 2012: «Les paris macabres de la Deutsche Bank. Désirs et réalité: pendant que le chef de la Deutsche Bank, Josef Ackermann, fabule avant son départ sur le sens de la responsabilité et de la morale, l’institut financier met en circulation le fonds Kompass Life 3. Ce fonds permet aux investisseurs de spéculer sur l’espérance de vie d’êtres-humains. (…) »

[4] Le comptage des mots effectué par l’auteur n’est évidemment pas valable en français, mais il est à noter que le mot «privatisation» et ses dérivés apparaissent 128 fois dans le texte allemand, alors qu’il n’est pas une seule fois fait mention du mot «démocratie» et de ses dérivés. (Réd.)

[5] Il est ici fait référence, avec un certain cynisme, aux privatisations menées sous l’égide de la Treuhandanstalt en Allemagne de 1990 à 1994, dans le cadre desquelles le manque de rentabilité a été invoqué comme prétexte pour brader, à prix sous-évalués et au bon vouloir des dits investisseurs venu de l’Allemagne de l’Ouest, la grande majorité des possessions collectivisées de l’ex-RDA. A ce propos, nous renvoyons le lecteur à la brève introduction au début de cet article. (Réd.)

[6] Implicitement, l’auteur fait, ici, référence aux luttes contre les privatisations en Allemagne, où une privatisation rampante des chemins de fer est en cours depuis plusieurs années. (Réd.)

[7] La construction politique et légale de ce qui est considéré comme service public ayant pris des chemins historiquement différents selon les formations sociales considérées, le terme Daseinsvorsorge n’a pas d’équivalent direct en français. Sous l’impulsion de la Commission européenne et de ses différents livres verts livres verts tendant à la privatisation de certains pans du secteur public dans le dernier quart de siècle, il est devenu courant d’opérer une différence entre les services (en grande partie privatisés) des grands réseaux d’infrastructure, et la Daseinsvorsorge, cette dernière étant principalement le fait des services communaux d’intérêt général. Toutefois, ces définitions sont sujettes à conflit et dépendent en dernière analyse des rapports de force sociaux et politiques. (Réd.)

[8] Source: Bauen für die Zukunft: Infrastruktur als Investition, disponible à l’adresse www.oecd.org/dataoecd /7/52/38939784.pdf

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