Ukraine. «Les gens sont devenus plus aimables.» Un habitant décrit la vie à Kiev

Témoignage recueilli par Diane Taylor

Sergiy, 50 ans, est un professeur d’université qui ne voulait pas quitter la capitale ukrainienne malgré l’avancée des troupes russes. Il raconte à Diane Taylor sa vue de la situation.

«Nous essayons de vivre notre vie ici à Kiev aussi normalement que possible dans les circonstances. Nous savons à quel point nous sommes proches de la frontière entre la vie et la mort. Quand il y a tant de tueries tout autour de nous, notre seul instinct est de survivre.

Je me promène tous les jours dans ma belle ville de Kiev et je prends des photos de certains des plus beaux endroits. Je vis dans le centre de la ville. Beaucoup de choses ici sont restées normales. Il y a eu quelques bombardements, mais jusqu’à présent, tout va bien. Nous pouvons encore acheter tous les produits essentiels – viande, pain et lait – et le réseau téléphonique fonctionne parfaitement.

Une chose qui a changé, c’est que les gens en ville sont devenus plus aimables depuis le début de la guerre. Dans les magasins, ils sont très polis les uns envers les autres. J’étais dans la queue de la pharmacie et quelqu’un avait besoin d’insuline. Tout le monde a laissé cette personne aller en tête de la file. Si quelqu’un porte des bouteilles d’eau, il vous dira où il a pu les acheter.

D’une certaine manière, la pandémie de Covid nous a préparés à la guerre. Je travaille à l’université. Je suis maître de conférences. Je faisais une grande partie de mon travail avec les étudiant·e·s en ligne. Maintenant que la guerre a commencé, je travaille toujours en ligne.

Je n’ai pas d’expérience ou de formation militaire, mais je ne veux pas quitter ma ville. Après 30 ans d’indépendance, je ne veux pas que nous perdions notre démocratie à cause de l’agression russe.

Mes parents et grands-parents critiquaient le gouvernement pendant l’ère soviétique. Je me souviens de cette vie quand je grandissais – par exemple aller dans un grand magasin qui ne contenait que deux choses, un type de chaussure très simple et des couvertures. Notre seule fenêtre à travers le rideau de fer était deux publications en anglais – Moscow News et The Morning Star [le quotidien du PC britannique], que l’on ne pouvait trouver que dans certains kiosques. Je peux résumer en un mot mes sentiments lorsque l’Union soviétique a été démantelée: «euphorie».

Nous ne voulons pas revenir à cette situation, c’est pourquoi nous luttons contre l’agression russe.

Il n’y a pas beaucoup de gens dans les rues, mais une certaine forme de normalité est revenue. Tout dans la ville est encore vivant et épanoui. Bien que de nombreuses femmes avec de jeunes enfants soient parties, la ville est toujours équilibrée en termes de genre!

Lorsque la guerre a commencé, tout le monde à Kiev était sous le choc, paralysé. Mais nous nous sommes adaptés.

Le pire, c’est que j’ai peur pour la sécurité de mes parents. Mon père a 84 ans et est complètement aveugle et ma mère a 81 ans. Ils sont bloqués, avec leur chat Monkey, dans leur appartement de Soumy, où il y a eu beaucoup de bombardements. Il est trop dangereux pour moi d’aller les rejoindre et impossible pour eux de quitter la ville. Ils entendent beaucoup d’explosions, mais jusqu’à présent, ils vont bien.

Je n’ai jamais vu notre gare ferroviaire aussi bondée de gens qui partent pour Lviv et d’autres régions de l’Ukraine occidentale. Mais beaucoup refusent de quitter Kiev. Nous sommes déterminés à rester. Nous savons que les Russes nous encerclent et on s’attend dans la ville à ce que quelque chose se passe dans les prochains jours.

Poutine veut nous ramener au siècle dernier. Nous devons revenir au XXIe siècle.

J’ai beaucoup d’amis à l’étranger et ils ont exprimé une grande solidarité avec nous. La chose la plus positive qui est sortie de la guerre est notre unité accrue. Nous sommes forts ici à Kiev. Le monde extérieur ne peut pas voir toute la résolution et la détermination des Ukrainiens. Il ne voit que la partie émergée d’un très gros iceberg. Sous cette partie, nous sommes encore plus forts. (Article publié par The Guardian, le 15 mars 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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