Russie. «Ne croyez pas la propagande. Ici, ils vous mentent.» Le vrai courage…

Par Pjotr Sauer

Une employée de la chaîne de télévision publique russe Pervy Kanal (Première Chaîne) a interrompu le principal programme d’information de la chaîne (Vremia) avec une protestation extraordinaire contre l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine.

Marina Ovsyannikova, rédactrice à Pervy Kanal, a fait irruption sur le plateau de la diffusion en direct du journal télévisé de la nuit, lundi soir 14 mars, en criant: «Arrêtez la guerre. Non à la guerre.»

Elle tenait également une pancarte disant: «Ne croyez pas la propagande. Ici, ils vous mentent.» Elle était signée en anglais: «Les Russes contre la guerre».

La présentatrice [Ekaterina Andreïeva ] du journal télévisé a continué à lire sur son téléprompteur en parlant plus fort pour tenter de couvrir la voix de Marina Ovsyannikova, mais sa protestation a pu être vue et entendue pendant plusieurs secondes avant que la chaîne ne passe à une émission enregistrée [un reportage sur les hôpitaux].

Marina Ovsyannikova a également publié une vidéo préenregistrée via le groupe de défense des droits de l’homme OVD-Info, dans laquelle elle exprime sa honte de travailler pour et de diffuser la «propagande du Kremlin».

https://twitter.com/OvdInfo/status/1503470185696669701

«Malheureusement, pendant un certain nombre d’années, j’ai travaillé sur Pervy Kanal et travaillé pour la propagande du Kremlin, j’en ai très honte aujourd’hui. J’ai honte d’avoir permis que des mensonges soient diffusés à la télévision, honte d’avoir permis que le peuple russe soit “zombifié”.» Nous sommes restés silencieux en 2014 quand cela ne faisait que commencer. Nous ne sommes pas sortis pour protester lorsque le Kremlin a empoisonné [Alexeï] Navalny», a-t-elle déclaré.

«Nous nous contentons d’observer en silence ce régime anti-humain. Et maintenant, le monde entier s’est détourné de nous et les dix prochaines générations ne pourront pas se laver de la honte de cette guerre fratricide.»

Portant un collier aux couleurs bleu et jaune du drapeau ukrainien, Marina Ovsyannikova a déclaré dans sa vidéo que son père est ukrainien et sa mère est russe.

«Ce qui se passe en Ukraine est un crime et la Russie est l’agresseur», a-t-elle affirmé. «La responsabilité de cette agression repose sur les épaules d’une seule personne: Vladimir Poutine.»

Elle a exhorté ses compatriotes russes à rejoindre les manifestations anti-guerre afin de mettre fin au conflit. «Nous sommes les seuls à avoir le pouvoir d’arrêter toute cette folie. Allez aux manifestations. N’ayez peur de rien. Ils ne peuvent pas tous nous emprisonner.»

La manifestation a été saluée par le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Dans une allocution vidéo, lundi soir, il a déclaré: «Je suis reconnaissant aux Russes qui n’arrêtent pas d’essayer de présenter la vérité, qui luttent contre la désinformation et racontent des faits réels à leurs amis et à leurs familles, et personnellement à cette femme qui est entrée dans le studio de Pervy Kanal avec une affiche anti-guerre.»

OVD-Info a déclaré que Marina Ovsyannikova avait été arrêtée peu après sa manifestation et qu’elle était détenue au centre de télévision d’Ostankino. Pavel Chikov, directeur du groupe de défense des droits de l’homme Agora, a ensuite déclaré que Marina Ovsyannikova avait été arrêtée et emmenée dans un poste de police de Moscou.

Elle pourrait être condamnée à une peine de prison en vertu d’une nouvelle législation russe qui criminalise la diffusion de «fake news» sur l’armée russe. Les personnes reconnues coupables en vertu de cette loi risquent jusqu’à 15 ans d’emprisonnement. Marina Ovsyannikova pourrait également être poursuivie pour avoir encouragé des «troubles civils» en incitant les Russes à manifester.

Dans un communiqué publié par l’agence de presse étatique TASS, Pervy Kanal a déclaré qu’«un incident a eu lieu avec une femme étrangère à l’image. Un contrôle interne est en cours.»

L’agence TASS a déclaré, selon une source des forces de l’ordre, que Marina Ovsyannikova pourrait être inculpée en vertu de la législation interdisant les actes publics visant à «discréditer l’utilisation des forces armées russes».

C’est la première fois qu’une employée des médias d’Etat russes dénonce publiquement la guerre, alors que le pays poursuit sa répression des actions anti-guerre. La vague actuelle de censure est si stricte que d’autres programmes d’information ont effacé le message se trouvant sur le panneau de Marina Ovsyannikova dans leurs propres reportages sur l’incident.

Depuis le début de la guerre, la Russie a lancé une répression sans précédent contre les manifestants, les organes d’information indépendants et les réseaux de médias sociaux étrangers. Près de 15’000 personnes, dont des adolescents et des personnes âgées, ont été arrêtées pour avoir manifesté contre la guerre.

Plus de deux douzaines de médias russes ont été bloqués par l’autorité de régulation des médias du pays ou ont choisi de cesser leurs activités. Les plateformes de médias sociaux Facebook et Instagram, largement utilisées, ont également été interdites.

La télévision d’Etat, quant à elle, reste la principale source d’information pour plusieurs millions de Russes et suit de près la ligne du Kremlin.

Quelques heures après sa manifestation, plus de 40’000 personnes avaient déjà laissé des commentaires sur la page Facebook de Marina Ovsyannikova, dont beaucoup l’ont félicitée pour sa prise de position. «Vous êtes une héroïne. Merci beaucoup», peut-on lire dans un commentaire. Les vidéos de l’incident ont rapidement accumulé des milliers de vues.

«Wow, cette fille est cool», a tweeté Kira Yarmysh, la porte-parole du leader de l’opposition emprisonné, Alexeï Navalny. Edgars Rinkevics, le ministre letton des Affaires étrangères, a déclaré sur Twitter: «Tant qu’il y a des personnes courageuses comme Maria #Ovsyanikova, productrice à la chaîne Pervy Kanal, qui protestent contre la guerre et la propagande de la Russie, comme ce soir ou dans les rues, la #Russie a encore une chance d’avoir un avenir meilleur.» (Article publié par The Guardian, 14 mars 2022, 20h49 GMT; traduction A l’Encontre)

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