Syrie. La manipulation russe à propos du retour des réfugié·e·s

Par Anwar al-Bouni

(Introduction par FemmeS pour la démocratie). En parallèle avec les déclarations répétitives de Poutine pour le retour des réfugiés syriens en Syrie, l’aviation Russe vient de recommencer une offensive militaire contre les civils de la région du nord syrien (Idlib, la campagne de Hama et d’Alep) en soutien à l’aviation d’Assad. Les civils du nord de la Syrie comprennent aujourd’hui, en plus de la population locale, tous ceux qui ont déjà subi un déplacement forcé en Syrie (de Homs, Darayya, al-Ghouta de Damas, Yarmouk, Alep, Deir-Ezzor, etc. et même une partie des réfugiés de la Bekka-Ersal au Liban) suite aux bombardements russo-assadiens, excepté pour ceux de la Bekka qui se sont fait prétendument rapatrier… les civils de cette région du nord sont aujourd’hui au nombre de plus de 5 millions dont au moins la moitié sont des déplacés forcés!

Poutine en Syrie s’était déjà donné le rôle de l’homme de guerre, de garant de paix et de négociateur de paix, aujourd’hui il se présente en bienfaiteur soucieux des réfugiés syriens. Pour les Syriens, Poutine n’est qu’un criminel de guerre, occupant de leur pays, soutien fidèle et correcteur d’image d’Assad, le dictateur mafieux et le plus grand criminel de guerre de notre temps. Poutine, tout comme Assad, est un menteur dont les actes sont à l’opposé de ses paroles… Ceux qui se ressemblent s’assemblent…

Dans un article en arabe, Anwar al-Bouni, ancien détenu d’opinion, avocat, activiste pour les droits de l’homme et directeur du centre syrien pour les études et la recherche légales, revient sur ces déclarations récentes de Poutine et analyse les buts recherchés et la faisabilité de ce prétendu retour. FSD a choisi de le traduire en français et de le publier ici. (FemmeS pour la démocratie)

*****

Poutine en Syrie

Quel est le but du petit jeu russe qui consiste à soulever maintenant la question du retour des réfugiés syriens et en lui donnant la priorité? La Russie entend-elle vraiment que les réfugiés retournent en Syrie?

  • Le premier but est d’envoyer un message interne aux Russes, pour les rassurer et leur dire que le temps de la guerre et des pertes est révolu, qu’il n’y a plus lieu de s’inquiéter de l’augmentation des pertes humaines et matérielles russes dorénavant et que le moment des récoltes est proche.
  • Le deuxième but, c’est de déclarer la victoire et la fin de la guerre, et d’annoncer que les choses ont commencé à se stabiliser, en posant le cadre politique pour la réhabilitation du régime Assad pour diriger la Syrie.
  • Le troisième, c’est de profiter de la préoccupation des pays accueillant les réfugiés syriens, en particulier des pays voisins, concernant la situation des réfugié·e·s et de la grande pression qu’ils exercent sur leurs sociétés et sur leurs économies respectives, ceci dans le but de les pousser à traiter directement avec le régime syrien. C’est donc un message direct à leur intention pour leur dire de renvoyer les réfugié·e·s en Syrie, où la Russie, le régime Assad et l’Iran assureront leur extermination, résolvant ainsi leurs problèmes liés aux réfugié·e·s pour de bon.
  • Le quatrième, c’est de motiver l’Europe, qui se préoccupe fortement de la présence de ces réfugiés sur son territoire, à financer la reconstruction de la Syrie, permettant ainsi aux entreprises russes, qui ont déjà signé des contrats avec le régime syrien, d’en tirer profit et de commencer enfin à récupérer la fortune dépensée militairement en Syrie.
  • Et le but final est de faire en sorte que soit abandonné complètement tout processus qui touche aux négociations, aux règlements de crise ou de modification de la structure du régime. Ceci implique pratiquement l’oubli du processus de Genève et même son annulation totale, mais aussi l’abandon des résolutions internationales émises antérieurement; car la situation du conflit syrien, telle qu’elle est présentée par les Russes, aurait été résolue et aurait pris fin. Les pourparlers d’Astana [Kazakhstan, initiés en 2017] n’ont eux déjà plus aucun sens, surtout que ce processus est une pure fabrication russe. Les résultats très maigres issus de la dernière réunion confirment d’ailleurs que ces pourparlers n’ont aucune signification ou valeur.

La manipulation russe peut-elle fonctionner? C’est impossible, seul un esprit malade pourrait croire en une telle illusion. Le petit jeu des Russes ignore les lois internationales qui interdisent le retour forcé des réfugié·e·s dans leurs pays. Bien que le système des lois internationales se soit effondré complètement et qu’on l’ait ignoré entièrement dans le cas du dossier syrien, la négligence du droit international fera des pays qui prennent part à une telle manipulation un partenaire officiel du crime de génocide. Ces pays en porteraient alors le fardeau et pourraient être poursuivis en justice. Le jeu russe passe aussi sous silence la volonté du régime Assad de ne pas permettre le retour des réfugié·e·s dans les zones sous son contrôle, afin de ne pas être confronté à des problèmes sécuritaires ou économiques.

La position du régime est claire sur la question du retour des réfugiés du Liban, il a imposé l’établissement de listes pour approbation des réfugiés qui souhaitent rentrer et il a refusé le retour d’un grand nombre d’entre eux. D’ailleurs, la Russie n’a pas abordé la question du lieu d’accueil pour leur retour, car de larges régions de la Syrie restent hors du contrôle du régime Assad. Ce sont les zones qui ont eu de grandes vagues d’exode, comme Alep, Raqqa, Deir-Ezzor, Hasaka et d’autres.

11.08.2018 L’hôpital de Mo’arat-Alno’man à Idlib sous les feux de l’aviation militaire (Sources: Mo’arat Media Center)

La Russie a aussi ignoré la destruction étendue des habitations de ces réfugiés l’absence des services et d’alimentation en eau potable, en électricité et de tout système économique capable de les absorber, en particulier dans les zones lourdement dévastées, comme les faubourgs de Damas, Homs et Alep. Même les réfugiés qui sont dans les camps au Liban ou en Jordanie, pour la plupart d’entre eux, ne souhaitent pas retourner en Syrie pour vivre dans une tente sur les décombres de leurs maisons détruites et sous la menace permanente d’arrestation, sans aucune assistance, alors qu’en Jordanie, au Liban ou en Turquie ils reçoivent au moins de l’aide humanitaire et profitent d’un peu de liberté, au moins pour exprimer leur opinion, ou essayer de se rendre dans d’autres pays afin de demander l’asile; cette possibilité devient invraisemblable en cas de retour en Syrie.

Le jeu russe néglige aussi la question fondamentale de la sécurité des réfugié·e·s. Comment les réfugiés pourraient-ils accepter de retourner vivre, et vivre en sécurité, en Syrie, alors que le régime sécuritaire continue de contrôler tous les aspects de la vie en Syrie? Les lois protégeant les éléments des services de «sécurité», de l’armée et de la police contre les poursuites pour les crimes qu’ils commettent continuent de s’appliquer, leur permettant de commettre leurs crimes contre les Syriens sans aucun moyen de dissuasion. En même temps, des dizaines de milliers de détenus ont disparu dans les geôles du régime et on ignore tout de leurs sorts. Récemment, le régime a finalement annoncé que beaucoup parmi eux sont morts en détention en émettant des documents certifiant leur décès ou bien en informant directement leurs parents. (Voir l’article publié sur le site alencontre.org en date du 28 juillet 2018: http://alencontre.org/laune/syrie-le-regime-assad-a-des-centaines-de-parents-syriens-votre-enfant-est-mort-en-detention.html)

Qui veillera sur la sécurité des Syriens et Syriennes et garantira qu’ils ne sont pas molestés en cas de retour en Syrie? On connaît le triste sort de tous ceux qui ont signé les accords de réconciliation avec le régime dans la campagne de Damas et la région de Deraa, et comment ils ont été ensuite maltraités, arrêtés et même tués, dans l’impunité totale, ceci malgré et avec la présence du «garant» russe sur le terrain.

Retourner pour vivre sous quel régime?

La manipulation russe est complètement transparente. Malheureusement certains Syriens soi-disant opposants au régime, et également certains pays, se laisseront prendre au jeu, alors que la Russie elle-même, comme tout le monde, sait bien que seule une transition politique complète permettrait un retour effectif et la réinstallation digne des réfugié·e·s syriens dans leur pays. Une telle transition doit œuvrer pour un changement du régime tyrannique et criminel, pour le jugement des responsables des crimes commis et pour le changement du mécanisme légal actuel qui fait du service de «sécurité» la seule institution qui détient le pouvoir réel assurant ainsi l’impunité des criminels. Aucun retour des réfugié·e·s ne sera possible sans qu’ils puissent se sentir en sécurité. Ils ne pourront pas retourner vivre sous le règne de celui qui a tué leurs enfants dans les prisons, sous des barils d’explosifs, les bombardements de l’aviation ou les armes chimiques, et ils ne pourront pas cohabiter avec lui.

Ils ne reviendront pas non plus avec pour «garant» un autre meurtrier, un criminel qui a contribué à la mort de leurs enfants et à la destruction de leurs maisons avec les bombardements de son aviation. Les réfugié·e·s ne retourneront pas non plus vivre sous l’influence de milices sectaires, qui imposent leur idéologie, sunnite ou chiite. Ils ne retourneront pas non plus sous le contrôle d’un projet idéologique chiite qui tente de contrôler la région et de relier l’Iran à la Méditerranée.

Les réfugiés ne peuvent retourner que pour résister à ces projets et à cette occupation, s’ils en ont la possibilité et l’espace nécessaire. De cela le régime criminel et ses partenaires les plus criminels, la Russie et l’Iran, en sont certains. Par conséquent, ils sont bien placés pour savoir que leur jeu ne fonctionnera pas et que le retour des réfugié·e·s, dont ils parlent, déclencherait une nouvelle résistance contre eux pour les expulser et les tenir responsables de leurs actes. (10 août 2018, article traduit de l’arabe par FemmeS pour la démocratie; source: https://www.alaraby.co.uk)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*