Par Yossi Melman
Poutine a chargé le général Alexander Dvornikov de sauver sa guerre chancelante en Ukraine, en se basant sur l’effroyable bilan de l’officier en Syrie. Le rite de passage du général Alexander Dvornikov a été sanglant.
Vendredi 8 avril 2022, une attaque de missiles russes a tué plus de 50 civils et en a blessé quelque 300 dans une gare de Kramatorsk, dans l’est de l’Ukraine. Les responsables des Etats-Unis, dont le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, ont désigné le général de 60 ans, Alexander Dvornikov, comme le nouveau commandant suprême des forces russes sur le théâtre de guerre ukrainien. Ils l’ont accusé d’être le cerveau de l’attaque qui a utilisé les mêmes méthodes militaires brutales que celles qu’il a employées en Syrie pendant la guerre civile.
Selon un ancien haut responsable militaire israélien, qui a étudié de près la stratégie et les tactiques du général russe en Syrie, Alexander Dvornikov a fait preuve de détermination et d’une certaine sophistication militaire sur le terrain de la Syrie. Toutefois, il s’est également révélé être un produit typique de la machine vieillissante, rigide et bureaucratique de l’armée russe. «Je ne suis pas sûr qu’il sera le sauveur de la campagne russe chancelante en Ukraine», déclare l’analyste.
Alexander (alias Aleksander) Vladimirovich Dvornikov est né à Ussuriysk en août 1961 et a rejoint l’armée soviétique à l’âge de 17 ans. Sa première expérience militaire en tant que jeune officier de rang intermédiaire a été marquée par les années traumatisantes du «crépuscule» entre l’effondrement de l’Union soviétique à la fin des années 1980 et l’émergence de la Fédération de Russie au début des années 1990.
Après avoir servi dans des unités en Extrême-Orient, il est diplômé de la prestigieuse Académie militaire Frounze [située à Moscou et ayant fonctionné de 1918 à 1998]. Il a ensuite servi et gravi les échelons dans les forces terrestres, commandant des formations mobiles blindées et de chars. Il avait peu d’expérience réelle du combat jusqu’à ce que, en septembre 2015, il soit envoyé pour diriger les forces russes et sauver le régime en difficulté du président syrien Bachar el-Assad.
Le contingent russe était relativement petit – pas plus de quelques milliers de personnes –, mais Dvornikov l’a habilement adapté au terrain syrien.
Selon le responsable militaire israélien, la stratégie du général était basée sur l’utilisation de la supériorité aérienne russe afin de bombarder sans discernement les centres urbains. L’objectif était de causer le plus de dégâts possible, de terroriser les civils et de semer la peur parmi les groupes rebelles. Dvornikov et ses principaux subordonnés n’ont pas hésité à cibler les hôpitaux, les écoles et les sites humanitaires.
Dvornikov a également chargé des officiers de liaison et des conseillers russes de former les milices chiites syriennes, iraniennes, du Hezbollah et pro-iraniennes, et de les lancer dans des combats brutaux et atroces. Il a également envoyé les mercenaires du célèbre groupe Wagner. Ces méthodes combinées finissent par mener à la victoire d’Assad.
Dans le même temps, observe le haut responsable militaire israélien, le général russe et son état-major ont été assez prudents pour ne pas dépasser les capacités limitées de la Russie en s’engageant dans des affrontements inutiles avec l’armée de l’air israélienne et l’armée turque.
Un an après le déploiement, le régime d’Assad était stabilisé et Dvornikov est rentré triomphal en Russie avec des décorations et des éloges du président Vladimir Poutine. Il a été honoré pour ses services en 2016 en tant que «héros de la Fédération de Russie».
Par la suite, il a principalement servi dans la région de Donbass, dans l’est et le sud de l’Ukraine – des zones occupées par la Russie depuis son invasion au printemps 2014.
Nouvelle orientation
En nommant Alexander Dvornikov, Poutine a admis, sans le vouloir, l’échec de sa campagne militaire initiale en Ukraine. L’absence d’un commandement cohésif est en partie responsable de l’incapacité de la Russie à conquérir la capitale, Kiev. Il était l’un des trois ou quatre commandants chargés de l’invasion qui se sont retrouvés en position de commandement mais sans hiérarchie militaire claire. La décision de Poutine pourrait indiquer la direction qu’il souhaite donner à la guerre.
En d’autres termes, Poutine a abandonné l’espoir de s’emparer, à la manière d’un blitzkrieg, de l’ensemble de l’Ukraine. Il est maintenant prêt à se contenter de découper de grandes parties du pays qui bordent la Russie, en particulier à l’est et au sud, afin d’établir des corridors territoriaux.
Poutine croit et espère que son général en chef répétera ses succès de Syrie. Mais le responsable israélien note que des différences tactiques peuvent remettre en cause l’expérience de Dvornikov: contrairement à la Syrie, il ne peut pas fonder sa campagne sur une supériorité aérienne; il ne peut pas non plus s’appuyer sur des forces supplétives importantes sur le champ de bataille.
Néanmoins, les expériences de la Syrie et du Donbass peuvent amener Dvornikov à conclure qu’une campagne d’usure prolongée contre les civils, tirée du livre de stratégie syrien – utilisant une grande puissance de feu de missiles, de roquettes, d’obus d’artillerie et de bombardements aériens – peut à terme atteindre les objectifs de Poutine, même sans technologie militaire très avancée comme celle dont disposent l’Occident et Israël. (Article publié par Haaretz, le 11 avril 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
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