Nagorny-Karabakh. Au lendemain de la guerre, l’Arménie est confrontée à un choix difficile

Par Kevork Oskanian

Plus de six mois se sont écoulés depuis que la «deuxième guerre du Karabakh», comme on l’appelle maintenant, s’est terminée brusquement l’année dernière, avec l’Arménie pratiquement vaincue. Le cessez-le-feu signé à la hâte le 9 novembre 2020 – après la prise par l’Azerbaïdjan de la ville fortifiée de Shushi/Shusha, d’une grande importance historique, dans l’enclave du Haut-Karabakh, majoritairement habitée par les Arméniens – a peut-être mis fin aux hostilités ouvertes, mais a laissé de nombreuses questions sans réponse.

Pour la première fois depuis les premiers jours du conflit, des forces russes ont été introduites dans les parties de la région encore sous contrôle de la population arménienne – voir les zones en orange sur la carte ci-dessous – afin de préserver la paix entre les deux parties. Selon les termes de l’accord, les forces arméniennes se sont également retirées des territoires adjacents aux parties de la région contestée – les zones de couleur vert foncé sur la carte. Les zones bleues de la carte indiquent les territoires qui ont été reconquis par l’Azerbaïdjan.

En conséquence, la ligne de front entre les deux adversaires s’est déplacée jusqu’à l’ancienne frontière soviétique entre les deux Etats, les deux parties s’affrontant de part et d’autre de la frontière orientale de la province méridionale arménienne de Syunik, pour la première fois depuis plus de vingt ans.

Cette question frontalière est devenue particulièrement saillante ces dernières semaines. Plusieurs incursions signalées de forces azerbaïdjanaises dans le territoire arménien internationalement reconnu ont renforcé l’insécurité de la société arménienne au lendemain de la guerre de 2020. Même pendant la guerre, les craintes d’un empiétement azerbaïdjanais sur le territoire arménien ont incité le gouvernement de Nikol Pachinian à demander le stationnement de plusieurs centaines de militaires russes dans la province pour servir comme une sorte de «première ligne de défense».

Ces craintes sont maintenant exacerbées par les références répétées aux plus hauts niveaux du gouvernement azerbaïdjanais ayant trait au sud de l’Arménie comme «territoire historique de l’Azerbaïdjan». L’idée que les empiétements à Syunik sont liés d’une manière ou d’une autre à ces déclarations, ainsi que l’insistance de l’Azerbaïdjan sur un véritable «corridor de transport» à travers la province, ont encore accru les tensions.

L’agitation politique

A l’approche des élections législatives anticipées en Arménie le 20 juin 2021, ces craintes ont atteint leur paroxysme. Après la démission de Nikol Pachinian le 25 avril, l’opposition nationaliste arménienne cherche à maximiser la perception de son gouvernement comme étant incompétent et faible. Les canaux des médias sociaux de l’opposition amplifient cette approche en publiant des documents ayant fait l’objet de fuites et en lançant des allégations de concessions territoriales secrètes à l’Azerbaïdjan.

Le fait que la plupart des électeurs arméniens aient déjà perdu toute confiance dans les assurances données par le gouvernement, à cause de ce qui est considéré comme une stratégie de communication désastreuse et mensongère pendant la guerre, n’arrange rien. A l’approche des élections du 20 juin, il sera difficile de convaincre le peuple arménien d’accepter toute tentative de convenir de mécanismes permanents visant à résoudre le conflit frontalier. C’est ce qu’a souligné en termes très clairs une récente déclaration d’une coalition d’organisations de la société civile non associées à l’opposition nationaliste.

Une grande partie des derniers mouvements à la frontière pourrait être due au fait que l’Azerbaïdjan maximise ses positions en vue des prochaines négociations sur un règlement définitif du conflit. Il se peut que l’Azerbaïdjan cherche à obtenir des éléments de négociation par la «tactique du salami», alors que l’équilibre des forces est encore largement en sa faveur, plutôt que de tenter de prendre le contrôle de Syunik ou de forcer l’ouverture d’un couloir de transport, comme le craignent certains Arméniens.

L’Azerbaïdjan souhaite que l’Arménie se retrouve à la table des négociations aussi affaiblie et peu sûre que possible, face à une série de faits accomplis dont le renversement entraînerait un prix élevé correspondant. Les récentes déclarations du président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, ont clairement indiqué que tout accord de paix serait subordonné à l’acceptation par l’Arménie que le Haut-Karabakh soit partie intégrante de l’Azerbaïdjan. Une réponse de l’Arménie selon laquelle un accord global consisterait principalement à déterminer le statut politique de l’enclave laisserait les deux parties aussi éloignées l’une de l’autre que jamais, avant même le début des négociations.

Le rôle de la Russie

Le récent épisode a également mis en lumière la dépendance de l’Arménie à l’égard d’alliances que l’on pourrait, au mieux, qualifier d’«inconstantes». Pendant plus de deux décennies, les gouvernements arméniens successifs n’ont été que trop heureux de confier à Moscou une grande partie de la sécurité nationale du pays. Dans une moindre mesure, l’Arménie s’est également appuyée sur l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) des Etats post-soviétiques pour maintenir un statu quo de plus en plus intenable.

Mais l’OTSC s’est révélée être la boîte vide que beaucoup soupçonnaient, tant pendant la guerre que lors des récents épisodes frontaliers. Les appels officiels de l’Arménie citant plusieurs dispositions de l’OTSC ont suscité à peine un murmure de la part de ce qui est essentiellement une façade d’alliance parrainée par Moscou. Pour faire bonne mesure, un diplomate russe de haut rang a souligné que ses portes étaient également ouvertes à l’Azerbaïdjan.

Et, alors que la Russie a obligé l’Arménie à stationner des troupes à Syunik, elle a été sensiblement tiède dans son soutien à la position arménienne lors du récent affrontement avec l’Azerbaïdjan. Malgré le traité bilatéral de défense mutuelle entre la Russie et l’Arménie, les déclarations de Moscou ont été encore plus modérées que celles des Etats-Unis ou de la France.

L’électorat arménien fait face à un choix difficile: un président sortant responsable de la pire défaite militaire depuis plus d’un siècle, ou une opposition majoritairement nationaliste composée d’anciens dirigeants dont la seule recette pour l’avenir est de continuer à faire plus de la même chose – et de dépendre encore plus de Moscou. Pendant ce temps, les nouvelles idées dont on a tant besoin après le désastre de novembre 2020 sont rares. Et il faudra probablement beaucoup de temps et d’efforts pour émerger des cendres de la guerre. (Article publié sur le site The Conversation en langue anglaise, le 24 mai 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Kevork Oskanian est chargé de recherche honoraire, Département des sciences politiques et des études internationales, Université de Birmingham

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*