Chronique de la répression des mouvements de protestation en Russie contre la guerre en Ukraine

Action contre la guerre à Ulan-Ude, capitale de la république de Bouriatie, le 21 septembre 2022 / Photo: People of Baikal

Par Denis Paillard

Dans les semaines qui ont suivi l’intervention russe en Ukraine (24 février 2022), des manifestations ont eu lieu dans toutes les régions de Russie donnant lieu à plus de 16 000 interpellations (ce qui laisse penser que le nombre de manifestant·e·s était largement supérieur). Des pétitions émanant de différents milieux socio-professionnels et dans les universités ont recueilli des centaines de signature. Une pétition lancée par Ilya Ponomarev, ancien député à la Douma, a recueilli plus d’un million de signatures. La Confédération du Travail de Russie (deuxième confédération syndicale) a demandé l’arrêt immédiat de la guerre. Les mesures systématiques de répression ont, pour l’instant, mis un terme à toute initiative collective. En revanche, les protestations individuelles ou, plus rarement, de petits groupes de personnes n’ont pas cessé. Nous publions ci-dessous le bilan de la répression pour une période allant d’août au 15 septembre, basé sur les informations fournies par le site russe OVD Info.

En complément à cette Chronique, il faut mentionner un texte important de Carine Clément, «La société russe face à la guerre», dans un recueil de textes sur la guerre à paraître – le 22 octobre – aux éditions La Dispute. Ce texte, précis et argumenté, rompt avec une focalisation sur les seules opérations militaires en Ukraine et donne toute sa place à la Russie comme composante de la situation. Sur le site de ESSF, on peut également lire l’interview en anglais de deux militants de gauche russes, Aleksandra Zapolski et Mikhail Lobanov.

OVD Info est un site d’information consacré à la répression politique au sens large dans toute la Russie. Il possède également une rubrique d’aide juridique. Créé en décembre 2011 OVD Info entretenait des rapports étroits avec l’association MEMORIAL jusqu’à l’interdiction de MEMORIAL en novembre 2021. OVD Info a 28 membres permanents et 300 bénévoles. OVD Info est hébergé dans un des locaux de MEMORIAL dont les autorités ont cherché récemment à reprendre le contrôle (procédure judiciaire en vue de la confiscation du bâtiment).

En décembre 2021, OVD Info a été déclaré “agent de l’étranger”. Le pouvoir a également fait plusieurs tentatives de blocage du site. Chaque jour, sur son site sont publiées les informations concernant les nouveaux cas de persécution au sens large, c’est-à-dire non limités aux seuls cas de protestation contre la guerre en Ukraine.

Différentes formes de répression

Le pouvoir s’est doté d’un impressionnant arsenal de mesures visant à réduire au silence toute forme de critique et d’opposition à la guerre en Ukraine.

Sur le plan juridique. La plupart des articles du Code Pénal existaient auparavant mais ont été largement utilisés depuis février 2022:

  • article 207.3 visant les “fake news», c’est-à-dire toute information sur la guerre ne reprenant pas le discours officiel; peines prévues: de 5 à 10 ans de prison et/ou amendes pouvant aller jusqu’à plusieurs millions de roubles;
  • article 280.3: discréditation de l’armée russe; peines de prison /ou amende;
  • article 205.2: justification du terrorisme; peine de prison pouvant aller jusqu’à 7 ans de prison et / ou amendes;
  • article 205.4.: organisation terroriste: jusqu’à 20 ans de prison;
  • article 283.2: activité extrémiste (article utilisé lors de l’interdiction des différentes organisations de Navalnyj);
  • article 213: hooliganisme; amendes / peines de prison jusqu’à douze mois;
  • article 214.2: vandalisme (utilisé en particulier contre des personnes accusées d’avoir agressé des membres de la police); peine de prison: 1 à 2 ans.
Autres mesures
  • désignation d’une association, d’un média ou encore de personnes physiques comme “agent de l’étranger”; ce statut tend à réduire fortement toute forme d’apparition publique;
  • émigration forcée: en pratique depuis quelques années déjà; il s’agit pour le pouvoir de se débarrasser de personnes considérées comme gênantes;
  • attaques physiques contre des personnes ayant exprimé leur désaccord avec l’intervention en Ukraine: à ce jour 93 cas recensés;
  • fermeture de sites internet: 7000 à ce jour;
  • blocage de messages sur internet: dans une interview en août 2022 au quotidien Komersant, le procureur général de Russie, Igor Krasnov, a déclaré que 137 000 messages avaient été bloqués.
Chronique de la répression: août – 15 septembre 2022

Cette chronique de la répression montre que les mouvements de protestation, loin d’être limités à quelques villes, comme Moscou et Saint Pétersbourg, concernent tout le territoire de la Fédération de Russie, y compris les régions les plus éloignées du centre.

Quelle que soit l’ampleur des mesures répressive, cela ne saurait donner un tableau de l’ensemble des résistances, sous des formes multiples, à la guerre aujourd’hui.

Nous reprenons les principales rubriques mentionnées ci-dessus tout en mentionnant certains cas particuliers. Nous ne mentionnons pas les noms des personnes poursuivies mais indiquons le lieu.

  • “agents de l’étranger”: 5 personnes ;
  • émigration forcée: 22 personnes;
  • ouverture de procédures judiciaires (une partie des prévenus sont déjà en détention provisoire):
    – article 207.3 (“fake news”): 25 personnes;
    – article 280.3 (“discréditation de l’armée russe”): 5 personnes dont Aïkhal Amonossov, chanteur punk de Iakutsk (sur le site ESSF on peut lire une longue déclaration de Aïkhal Amonossov);
  • procès: 10 personnes ont été condamnées à des peines de détention, dont trois soldats en activité;
  • pour la période du 9 au 30 septembre: 25 procès annoncés;
  • dans l’Oural 6 personnes ont été arrêtées et accusées d’avoir créé une “organisation terroriste” (article 205.4 du Code pénal);
  • à Krasnodar, suite à une action contre le centre de recrutement de l’armée, plusieurs personnes ont été arrêtées;
  • des perquisitions ont eu lieu dans de très nombreuses villes, y compris en Sibérie;
  • interdiction de l’organisation Gorjacaja Linija de défense des droits de l’homme créée par Ilya Ponomarev;
  • en août, le Syndicat indépendant des journalistes, créé en 2016 et comptant 600 membres a été interdit. Ce syndicat est membre de la Fédération européenne des journalistes. (Article reçu le 21 septembre 2022)

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