Par Eliana Como
A propos de la FIOM: note introductive
Dans le secteur des machines-outils et de la métallurgie, trois syndicats couvrent l’essentiel du terrain. Il s’agit de la FIM, Federazione italiana metalmeccanici (Fédération italienne de la métallurgie et des machines, affiliée à la CISL, Confédération italienne des syndicats de travailleurs), de l’UILM, Unione italiana lavoratori metalmeccanici (Union italienne des travailleurs de la métallurgie et des machines, affiliée à l’UIL, Union italienne du travail) et du principal des trois, la FIOM, Federazione impiegati operai metallurgici (Fédération employés ouvriers de la métallurgie, affiliée à la CGIL, Confédération générale italienne du travail).
Depuis cet été la nouvelle secrétaire générale de la FIOM est Francesca Re David, soutenue par la direction sortante. Ancienne militante du Parti communiste, ancienne fonctionnaire de la FIOM, « elle se caractérise par sa fidélité absolue à l’égard des divers secrétaires généraux» (Enrico Marro, «La Fiom si affida a una donna. Che non è mai stata in fabbrica», Corriere della Sera, 11/07/2017).
Pour mieux comprendre cet article, il faut savoir que, depuis la fin de 2015, a été mis en marche le retour de la direction de la FIOM et de son secrétaire central dans les bonnes grâces de la direction de la confédération syndicale CGIL et de sa secrétaire centrale, Susanna Camusso. Cela après plus de 20 ans de non intégration de la FIOM à la direction centrale de la CGIL.
Les dernières tensions et divergences en date ont eu lieu à cause de la signature, par les trois grandes centrales syndicales, CGIL, CISL, UIL, d’un accord national avec le patronat, définissant un nouveau cadre des négociations collectives qui lie totalement les mains aux diverses oppositions syndicales. Un accord d’abord remis en question par la direction FIOM, mais dont le secrétariat général de la FIOM – en la personne de Maurizio Landini – s’est accommodé fin 2016, après avoir autoritairement mis à l’écart l’un après l’autre les cadres syndicaux qui s’y opposaient. Puis, dès cet été, la FIOM a recommencé à fréquenter le siège central de la CGIL. Eliana Como, militant de la FIOM et du Courant «Le syndicat est une autre chose» analyse, dans l’article ci-après, ce parcours de la FIOM. (NdT)
En synthèse, il est possible d’affirmer : «Victoire de Susanna Camusso – secrétaire centrale de la CGIL – chassée de la FIOM il y a quelques années pour ses positions trop modérées.» Mardi dernier, le11 juillet 2017, le secrétaire général de la FIOM est entré dans le secrétariat national de la CGIL. C’était attendu depuis des mois voire quelques années, pour qui tendait une oreille aux bruits de couloirs et aux indiscrétions des journalistes. Un événement officiellement annoncé par Suzanna Camusso, [secrétaire générale de la CGIL à Confédération], en septembre dernier. En effet, elle a reconnu, à l’occasion de l’assemblée générale de la CGIL, qu’une recomposition était en cours avec la Fédération (soit la FIOM, et qu’on s’acheminait vers un congrès unitaire ayant pour objectif la reconstruction d’une direction centrale incluant le secrétaire général de la FIOM. Il s’agit d’une recomposition rendue possible par la convergence, sur le terrain, des politiques de renouvellement des conventions collectives de travail; convergence entérinée par la signature, il y a quelques mois, de la convention collective nationale de l’industrie des machines.
Depuis 20 ans aucun secrétaire général de la FIOM n’a pu siéger au secrétariat national de la CGIL. Car la FIOM a représenté, durant ces décennies, une anomalie dans le corps de la Confédération, tant du point de vue politique que contractuel. Il n’y a eu de place, dans le secrétariat confédéral, ni pour Claudio Sabattini, ni pour Gianni Rinaldini[1], à la fin de leur mandat.
Être banni du secrétariat était, en quelque sorte, le prix à payer pour les courageuses positions et initiatives prises par la FIOM, souvent en rupture ouverte avec sa faîtière la CGIL. Ce fut notamment le cas lorsque la FIOM prit part aux mobilisations contre le G8 à Gênes [en 2001]. Ou quand elle se rangea aux côtés des Cobas[2], lors de la manifestation contre la précarité, en 2006 à Rome, dans un affrontement ouvert contre le gouvernement de Romano Prodi[3]. Ou encore lorsque, quelques mois plus tard, la FIOM prit position contre le référendum sur le welfare du ministre du travail Cesare Damiano[4]. Ou lorsqu’en 2009 et 2012 elle refusa de signer les conventions collectives nationales de travail de l’industrie des machines, acceptées par les deux autres fédérations, FIM et UILM. Quand aussi elle engagea la bataille contre FCA (Fiat Chrysler Automobiles), dans les deux grands établissements de Pomigliano [ville métropolitaine de Naples] et de Mirafiori [Turin], en 2010, refusant même la signature technique[5] de l’accord, comme le voulait la CGIL. Ce fut également le cas avec l’intervention de la FIOM, au congrès de la CGIL de 2014, pour exiger que la confédération retire sa signature du Texte unique sur les représentations des salariés[6] du 10 janvier 2014.
Autant de passades courageuses, ayant toutefois suscité des résistances et des contradictions internes. Parfois le groupe dirigeant de la Fédération était même enclin à s’éloigner de la ligne radicale assumée par la FIOM. Mais l’esprit de corps, la tradition d’autonomie face à la CGIL et la reconnaissance du rôle central de la FIOM de la part de larges couches en mouvement suffisaient à imposer le maintien de ces choix. L’exclusion des instances centrales de la CGIL était considérée comme un fait escompté.
La récente entrée du secrétariat de la FIOM dans le secrétariat confédéral marque la fin d’une véritable parabole. Il ne s’agit pas d’un tournant soudain; c’est le fruit d’un long parcours déterminé par des choix contractuels et politiques [de la direction], élaborés à l’abri d’une image médiatique solidement combative. Tandis que le secrétaire général annonçait l’occupation des usines et lançait des invectives depuis les salons des chaînes de télévision, la FIOM réintégrait le sérail à pas de loup, y compris en signant des conventions de travail d’entreprise à caractère de capitulation (notamment celle de l’ex-Bertone – carrosserie –, du groupe FCA), tout en mettant fin aux mobilisations – au nom de l’unité syndicale et sociale du mouvement – contre le Jobs Act[7] et en appliquant le Texte unique sur les représentations des salariés avant tout le monde. Après quoi, la FIOM a signé le pire contrat collectif de travail des dernières décennies, dans l’industrie de machines et mécanique[8], réalisant ainsi l’unité la plus totale avec la FIM et l’UILM. En échange de 1.7 euro brut de plus par mois, des concessions ont été faites sur des dérogations aux normes de travail, sur l’inflation, sur les assurances maladies et accidents et la pénalisation des maladies brèves, sur la flexibilité des horaires, sur l’arbitraire en matière de primes, sur la limitation de la Loi 104 [assistance, intégration et droits des salariés handicapés].
L’aboutissement de ce parcours ne résulte malheureusement pas d’un changement de ligne de la CGIL, mais du retour de la FIOM au bercail. La CGIL ne s’est pas radicalisée; la FIOM est devenue plus obéissante. Cette même FIOM qui, ayant assuré pendant 20 ans la diversité des opinions syndicales au sein de la CGIL, transforme le pluralisme en un simple fait disciplinaire, difficilement toléré, maltraité et même ouvertement réprimé. Et que dire du fait que l’image télévisuelle a fini par faire du secrétaire général une idole intouchable, alimentant ainsi, dans le groupe dirigeant mais aussi parmi bien des délégué·e.s, un penchant au leaderisme qui frise le fanatisme?
Il est probable que, lors du prochain congrès de la CGIL, en 2018, la seule opposition à la ligne majoritaire provienne du groupe Sindacato è un’altra cosa[9]. Ce dernier a déjà annoncé un document alternatif, son opposition à l’entrée de Maurizio Landini [qui vient de céder sa place de secrétaire général de la FIOM à Francesca Re David] au secrétariat de la CGIL, son refus de la convention collective nationale de travail de l’industrie des machines et de la métallugie, ainsi que son refus des lignes directrices pour les négociations contractuelles qui en découlent.
Depuis peu la FIOM a une nouvelle secrétaire générale, Francesca Re David. La personne change. Mais, à chaque pas supplémentaire, la ligne politique de ces dernières années a invariablement obtenu le soutien de la nouvelle secrétaire, comme de la majorité du groupe dirigeant. Et il est certain qu’elle ne défendra pas l’autonomie envers la CGIL, si jalousement défendue par le passé.
Dans les faits, ou du moins pour l’heure, l’anomalie de la FIOM est liquidée. La CGIL et Susanna Camusso – chassée en son temps de la fédération pour ses positions trop modérées – ont-elles remporté une victoire? Il nous semble plutôt que tout le monde est perdant. La CGIL, parce que le prix à payer est un très mauvais contrat collectif de travail dans l’industrie des machines, qui risque au demeurant de faire tache d’huile sur les autres catégories de salariés. Mais aussi parce que si l’anomalie FIOM était indigeste pour les groupes dirigeants et les congrès, elle était un bien pour tout le salariat. Elle apportait, à une organisation de millions de salarié·e·s un certain pluralisme, une voie critique, des divergence constitutive d’une dimension de classe démocratique. Des éléments de valeur, de consolidation et de croissance, pour un syndicat. (Article publié le 15 juillet 2017 sur le site Internet de Sinistra Anticapitalista : https://www.lacittafutura.it/interni/la-parabola-della-fiom.html. Traduction Dario Lopreno)
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[1] Claudio Sabattini ni est secrétaire général de la FIOM de 1994 à 2002 et Gianni Rinaldini de 2002 à 2010, alors que la FIOM développait une politique d’opposition syndicale à l’orintation de la CGIL. [ndt]
[2] Le syndicat Cobas est un syndicat interprofessionnel, dont le nom provient des Comités de base (Cobas) scolaires de la fin des années 1970. Durant les années ’90 ils sont devenus un symbole général désignant des syndicats démocratiques, des syndicats de base, non affiliés aux confédérations syndicales majoritaires (CGIL, CISL, UIL). [ndt]
[3] Le second gouvernement dirigé par le président du Conseil des ministres Romano Prodi, en place de mai 2006 à mai 2008, est soutenu par toute la droite dite du centre et par toute la gauche institutionnelle, y compris Refondation communiste. [ndt]
[4] Cesare Damiano était ministre du travail, en 2007, lorsque les salariés et retraités concernés ont accepté par un vote référendaire, à 80% des votants, le protocole d’accord signé entre le gouvernement, les grandes centrales syndicales et les associations patronales. Ce protocole a aboutit à une législation antisociale augmentant l’âge de la retraite, avec de nombreux amortisseurs et régimes spéciaux, mettant en place des indemnités chômages régressives (de 60% à 40% du dernier revenu pendant 8 mois, 12 mois pour les +50 ans) et de 35 à 40% du dernier revenu pour les contrats de durée déterminée de courte durée et introduisant des normes pour faciliter le salaire à la prime ou au mérite. A la veille du référendum, il y a officiellement 16 millions de salariés, 6 millions de dits indépendants, 4.5 millions de chômeurs, soit au total plus de 26 millions de travailleurs; 4 millions ont pris part au vote; le référendum a donc été accepté par quelque 15% des travailleurs. Cf. http://www.nonprofitonline.it/default.asp?id=399&id_n=1202 et statistiques du travail Istat. [ndt]
[5] La signature technique d’un accord est le fait de signer un accord non encore abouti, laissant donc encore une marge de négociations et de changements dans le processus de négociation de l’accord en question. Susanna Camusso, la secrétaire générale de la CGIL faisait publiquement pression sur la FIOM, pour que cette dernière appose une signature technique à l’accord avec FCA (Fiat-Chrysler Automobiles), tout en sachant qu’il ne s’agissait nullement d’un accord en cours d’élaboration, mais bel et bien d’un accord abouti, bouclé. Le but était de faire passer la FIOM pour des opposants par principe et sans propositions. Cf contropiano.org, Verso una “marchionizzazione” delle relazioni industriali ?, sur http://contropiano.org/interventi/2011/02/09/verso-una-marchionizzazione-delle-relazioni-industriali-049. [ndt]
[6] Non seulement le Texte unique sur les représentations des salariés du 10 janvier 2014, signé par la CGIL, la CISL et l’UIL, les trois grandes confédérations syndicales, et par la Confindustria, la principale association patronale, interdit le refus de l’accord en question (les syndicats qui ne le signent pas voient leurs membres interdits de représenter les salariés), mais en plus il autorise des contrats collectifs de travail non nationaux qui sont en retrait des contrats collectifs nationaux et, en outre, il interdit toute contestation d’un accord signé (sous peine d’amendes et d’autres sanctions). [ndt]
[7] Le Jobs Act (mars 2015), met en place un cadre légal encore plus favorable aux licenciements des salariés, accorde des avantages fiscaux aux entreprises qui engagent, limite les indemnités chômage et le droit au chômage partiel, remet en cause l’inaliénabilité des vacances dues et facilite la réduction des horaires et des salaires. [ndt]
[8] Voir, sur le site alencontre, les articles d’Eliana Como, sous l’onglet Italie, en date du 27 septembre 2016, du 14 décembre 2016, du 9 juin 2017 et de Checchino Antonini en date du 29 décembre 2016. [ndt]
[9] Cf. https://sindacatounaltracosa.org/; Eliana Como, l’auteure du présent article, est une des actrices de l’opposition Sindacato è un’altra cosa. [ndt]
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