Italie. Une présidence pour une nouvelle phase néolibérale. Quelles échéances pour les mouvements sociaux?

Par Franco Turigliatto

Aujourd’hui, 24 janvier, le Parlement italien se réunit en session conjointe de la Chambre et du Sénat pour élire le 13e président de la République italienne. Le mandat de l’actuel président, Sergio Mattarella, élu en 2015, expire en effet le 3 février 2022. Le corps électoral est composé de 1009 grands électeurs, 321 sénateurs, 630 députés et 58 délégués élus par les conseils régionaux: le processus ne comporte pas de débat parlementaire, mais seulement une série de scrutins secrets. Les trois premiers votes requièrent une majorité qualifiée des deux tiers pour élire le président. A partir du quatrième vote, la majorité absolue des électeurs est suffisante [1].

Cette étape institutionnelle et politique importante intervient dans un contexte de grande crise sanitaire et sociale dans le pays, avec des hôpitaux qui s’effondrent et des écoles dans un chaos total, dont est responsable le gouvernement de Mario Draghi, présenté par les médias comme le gouvernement des «meilleurs».

Depuis des mois, la classe dirigeante et ses opérateurs politiques ont accepté de «vivre avec le virus», c’est-à-dire qu’ils ont renoncé à faire de la lutte contre la pandémie l’objectif principal, un choix qui aurait dû être fait non seulement avec la campagne de vaccination, certes indispensable, mais avec des investissements importants dans la santé, les écoles et les transports. Au cœur de tout cela, la protection sanitaire de la population n’est pas l’objectif. S’impose donc la logique capitaliste de la production et du profit et une gestion néolibérale de la pandémie réduite à la simple responsabilité et au choix individuel.

Voter pour le 13e président

La République italienne est une république parlementaire. Les pouvoirs du président de la République sont donc limités; sa principale fonction est de garantir l’unité du pays et la Constitution de 1948, qui est fruit de la victoire de la Résistance contre le fascisme. Toutefois, il serait erroné de penser qu’il ne s’agit que d’un simple rôle de notaire: le président est au-dessus des partis et est aussi leur arbitre. Ainsi, après avoir consulté les groupes parlementaires, il nomme le Premier ministre et, sur proposition de ce dernier, les ministres. Il peut convoquer chaque Chambre [Sénat et Chambre des députés] de manière extraordinaire; il peut dissoudre les Chambres ou même une seule d’entre elles. Avant de promulguer une loi il peut demander aux Chambres un second examen sur la base d’un message motivé. Enfin il préside le Conseil Supérieur de la Magistrature, déclare la guerre, etc.

Il est donc évident que dans une situation de crise politique et/ou sociale profonde, de majorités parlementaires incertaines, de faiblesse et de fragmentation des partis, comme c’est le cas en Italie aujourd’hui, il occupe un rôle et un pouvoir décisifs. La tendance générale observée depuis quelques années a conduit à la prédominance du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif et, dans ce contexte, le rôle du président est de plus en plus «présidentiel», comme la classe dominante le réclame depuis longtemps afin de pouvoir mieux gérer, et dans des délais plus restreints, le système capitaliste. Ce qui s’impose en période de crise profonde [2].

La Constitution de 1948, avec ses fortes garanties démocratiques et la présence de certains principes sociaux fondamentaux – qui n’ont d’ailleurs été concrétisés en réformes qu’avec les grandes luttes de 1969-70 et sont aujourd’hui largement érodées suite à la contre-offensive néolibérale – a déjà subi de profondes modifications, de fait et de forme, par des mêmes forces politiques (le centre-gauche) qui étaient censées devoir la défendre.

En outre, la fonction du président est, sans aucun doute, de garantir la nature de l’Etat, c’est-à-dire la nature capitaliste de l’Etat italien. Un vieux slogan de l’extrême gauche des années 1970 affirmait: «Le président, quel qu’il soit, est toujours un serviteur de la bourgeoisie.» Tous les présidents ont joué ce rôle; en particulier les deux derniers – Giorgio Napolitano [2006-2015], issu de l’aile droite de l’ancien PCI, et Sergio Mattarella [en charge depuis le 3 février 2015], issu des rangs de l’ancienne Démocratie chrétienne – ont été les représentants institutionnels lucides de la bourgeoisie italienne et de son intégration dans le projet capitaliste européen, à des moments clés de la vie politique et sociale du pays.

Ce n’est donc pas un hasard si le principal candidat à la présidence aujourd’hui est précisément l’ancien banquier [entre autres de Goldman Sachs] Mario Draghi, ancien président de la BCE, qui a été appelé, il y a un an, à diriger le gouvernement à la demande explicite de la Confindustria, l’organisation patronale italienne. L’élection de Mario Draghi à la présidence de la République parachèverait une altération de la démocratie institutionnelle. Il s’agit d’un projet d’ensemble, de facto, de présidentialisme, au détriment du débat politique parlementaire. Ce projet continuera à progresser quel que soit le président élu [3].

Toutefois, le chemin de Draghi vers la présidence s’est avéré plus difficile que prévu, à la fois parce qu’il a dû composer avec les intérêts spécifiques des différents partis qui devront affronter les élections législatives dans un peu plus d’un an, et parce que le passage de Premier ministre à Président ne s’est jamais produit auparavant dans l’histoire de la République. Cette transition présente certaines inconnues institutionnelles, mais surtout ce choix nécessite simultanément le choix d’un autre Premier ministre et la redéfinition et/ou la confirmation de la composition du gouvernement actuel et de sa majorité, afin d’éviter le recours à des élections anticipées.

Depuis plusieurs jours, les manœuvres et contre-manœuvres se succèdent entre les différents partis, les défections, les intrigues dites nocturnes et les trahisons, car ce n’est pas seulement l’élection présidentielle qui est en jeu, mais aussi le rôle que chaque parti pourra jouer à l’avenir. En outre, depuis de nombreuses années, la gauche classiste n’a aucune représentation au Parlement.

Aucun des deux camps potentiels, le camp dit de centre-gauche du Parti démocrate et du Mouvement 5 étoiles (M5S), ni le camp de droite ne dispose de la majorité absolue [4]. En outre, il existe de nombreux groupes et sous-groupes parlementaires, pas toujours très cohérents et contrôlés par leurs dirigeants. A cela s’ajoutent plus de 100 parlementaires, pour la plupart issus de la diaspora du M5S, dont l’orientation est totalement imprévisible, véritables atomes politiques qui errent dans le «transatlantique», autrement dit la grande salle de l’hémicycle [5].

Dans ce contexte, un personnage comme Silvio Berlusconi (le «caïman» qui ne renonce jamais) a pu revenir sur le devant de la scène, en se présentant directement à la présidence et en obtenant le soutien formel de tous les partis de droite, qui avaient toutefois d’autres objectifs. Toutefois, Berlusconi a finalement dû jeter l’éponge. Bien que mis en examen, jugé à de nombreuses reprises et même condamné, le fait qu’il ait pu jouer ce rôle, ne serait-ce que pendant quinze jours, éclaire le niveau de décadence des forces politiques et de la classe dirigeante.

L’Association nationale des partisans d’Italie (ANPI) a appelé à l’élection d’un président antifasciste qui soit pleinement garant de la Constitution. Outre le fait que la Constitution a déjà été modifiée pour le pire, même d’un point de vue formel, il est impossible de trouver parmi les 12 hommes et femmes présentés dans les journaux comme candidats à la présidence quelqu’un qui réponde réellement à ces exigences. Un mouvement d’opinion réclame qu’une personnalité féminine (plusieurs personnalités politiques institutionnelles ont été indiquées) accède à la fonction suprême, mais il semble difficile que cette hypothèse se réalise.

«Après la première semaine de négociations, les deux coalitions de centre gauche et de centre droit ont implosé l’une après l’autre», résume un célèbre éditorialiste du journal patronal de Turin La Stampa. Il est donc impossible de faire des pronostics sur le vote final, même si l’élection de Draghi reste l’hypothèse la plus probable, demandée et souhaitée par les centres économiques et financiers des deux côtés de l’océan Atlantique. Il n’est pas exclu que, face à une impasse prolongée, la pression en faveur de la réélection de Mattarella augmente (comme ce fut le cas pour Napolitano en 2013, qui, à un âge avancé, a été contraint de rester deux ans et demi de plus pour éviter une crise politique institutionnelle), même si l’intéressé a toujours rejeté cette possibilité.

Pour notre part, nous ne pouvons que faire écho à ce qu’a écrit l’historien Diego Giachetti: «Le résultat dépendra de la combinaison-affrontement entre les intérêts de la bourgeoisie, des forces politiques et des parlementaires.»

Ensuite, chaque nation a ses propres caractéristiques. Nous sommes dans le pays de Machiavel, de l’Eglise avec ses conclaves prolongés et de la vieille démocratie chrétienne, maître des manœuvres, des médiations et de la ruse byzantine.

Il va sans dire que tout cela, qui occupe les pages des journaux et les émissions des médias, se déroule à une distance sidérale des conditions réelles de vie de la grande majorité de la population.

La catastrophe de la pandémie et sa gestion

Environ 200 000 infections par jour témoignent d’une situation hors de contrôle, sans aucun moyen de les tracer, avec toutes les structures sanitaires au bord de l’effondrement, sans parler de l’absence d’assistance territoriale, et avec un nombre de victimes qui augmente à nouveau de manière dramatique et inacceptable. Le nombre de victimes est effrayant, il dépasse désormais les 143 000, ce qui, par rapport aux nations européennes comparables que sont la France, l’Espagne et l’Allemagne, constitue le pire ratio entre les infections et les décès. Et plusieurs autres milliers de décès ont été causés par diverses maladies qui n’ont pu être traitées en raison de la crise d’un système de santé mis sous tension et des déprogrammations qui en découlent.

Nous en sommes maintenant à environ 2 700 000 millions de personnes positives au covid (en deux ans, près de 10 millions de personnes ont été infectées), une croissance exponentielle qui était prévue, mais sur laquelle le gouvernement n’a voulu développer aucune initiative radicale à temps, se limitant à des mesures partielles, inefficaces et contradictoires. La seule préoccupation du gouvernement était de ne pas entraver la continuité des activités de production, du commerce (surtout pendant la période des fêtes), des manifestations sportives, etc. avec les inévitables concentrations de personnes.

Enfin, le gouvernement a imposé le vaccin obligatoire pour toutes les personnes de plus de 50 ans. Il devient une condition pour pouvoir aller travailler, mais aussi pour pouvoir utiliser les transports publics, les restaurants, etc. Comme l’a dit un médecin-chef bien connu: «Il s’agit de mesures partielles à l’efficacité douteuse, qui arrivent de toute façon tardivement et ne peuvent avoir d’effet qu’après que le “Père Noël” est passé», c’est-à-dire lorsque la catastrophe est accomplie.

Le gouvernement a construit une opposition sociale de convenance avec le mouvement Nov Vax (antivax), largement minoritaire dans le pays, mais délibérément sponsorisé par les médias, afin de camoufler les erreurs gouvernementales et sa lourde responsabilité dans la gestion de la pandémie.

Les syndicats et la gauche classiste ont fait campagne pour la vaccination de masse en tant qu’outil indispensable à la sécurité sanitaire collective, en commençant sur le lieu de travail, lors de réunions et de manifestations. Ils ont également lutté pour que les vaccins soient disponibles pour tous, non seulement en Italie, mais dans tous les pays du monde, en exigeant un moratoire sur les brevets.

Les syndicats ont demandé des interventions sanitaires et structurelles globales ainsi que la vaccination obligatoire, une mesure que la Constitution rend possible face à des événements extraordinaires. La valeur des vaccins n’est pas remise en question, mais il est clair qu’ils ne sont que partiellement efficaces, de sorte que leur utilisation doit s’accompagner d’investissements importants dans les structures de santé, les écoles, les transports et le dépistage des infections. Des mesures que le gouvernement n’a pas mises en œuvre. Alors qu’il disposait d’énormes fonds européens (plan Next Generation de l’UE), il les a attribués à des entreprises privées.

Vivre avec le virus en le balayant sous le tapis

Face aux chiffres dramatiques de la contagion, la réponse de certains hommes politiques et institutions est incroyable: ils tentent de nier l’évidence des faits, de balayer la poussière sous le tapis en proposant de ne plus fournir le bilan quotidien des infections, des hospitalisations et des décès, parce que, comme l’a dit un «illustre médecin-chef»: «ils nous inquiètent». L’information est une forme élémentaire de démocratie qui permet à l’ensemble de la population de connaître la situation et d’exercer un contrôle et une influence sur le gouvernement et les institutions.

Mais ce n’est pas tout: les régions, qui portent une lourde responsabilité dans la gestion de la pandémie, ont présenté leurs demandes de «vivre avec le virus», c’est-à-dire de réduire les quarantaines, d’éliminer les tests et surtout d’exclure les positifs asymptomatiques du décompte . Tout cela afin d’éviter de dépasser les normes qui déterminent le passage des régions dans la «zone orange», ce qui impose des restrictions plus importantes aux activités. Il s’agit de propositions que l’Istituto Superiore di Sanità (ISS) a logiquement définies comme absurdes. Toutefois, elles sont étayées et soutenues par une campagne de propagande idéologique à l’échelle nationale et internationale visant à présenter cette épidémie comme une grippe quasi normale.

Derrière cela se cache la substance du choix néolibéral de Draghi et de ses associés, à savoir le montant des ressources qu’ils veulent investir dans la santé. Les dépenses de santé qui en 2019 s’élevaient à 6,5% du PIB – déjà parmi les plus basses d’Europe – tomberont à 6,3% en 2024.

Beaucoup avaient l’illusion que face à la tragédie de 2020, il y aurait une remise en question, un changement radical d’orientation dans les politiques économiques et sociales des bourgeoisies des différents pays. Ils se sont totalement trompés: le prétendu retour à la «normalité» du système capitaliste se fait avec une nouvelle attaque contre les conditions de travail et de vie des classes populaires. La volonté d’accroître les profits de la classe dominante est sans limites, à tel point que les dépenses militaires continuent d’être augmentées, que l’énergie nucléaire est à nouveau proposée, après avoir été rejetée par deux référendums populaires [en 1987 et en 2011], et que le projet de pont sur le détroit de Messine est relancé.

Mais il y a toujours un problème avec la pandémie. On peut faire semblant qu’elle n’existe pas ou falsifier les taux d’incidence afin de maintenir toutes les activités, mais le résultat est sous les yeux de tous et reconnu par les journaux eux-mêmes: le confinement redouté se produit de facto largement, dans la plus grande confusion, sans gestion maîtrisée en raison du nombre de travailleurs et travailleuses, salarié·e·s et indépendant·e·s qui se retrouvent infectés avec une réduction drastique des services allant de l’école à la santé en passant par les transports.

Reprise économique et fragmentation de l’emploi

L’objectif du gouvernement au cours de tous ces mois a été de profiter pleinement de la forte reprise économique en cours (le rebond après la baisse de production de 2020), sans mettre d’obstacles à la production, au commerce, à la restauration, aux sports, etc., garantissant ainsi une liberté maximale aux entreprises et des bénéfices substantiels. L’année s’est conclue avec une croissance du PIB de plus de 6%. Assurer le dynamisme des entreprises, c’est aussi mettre fin au blocage des licenciements pour permettre la restructuration et la fermeture d’entreprises, les licenciements collectifs et les délocalisations d’entreprises. C’est ce que Draghi avait prévu lorsqu’il a déclaré que l’argent européen irait aux entreprises privées performantes et que les entreprises non rentables seraient fermées. Plus vite dit que fait.

C’est dans ce contexte qu’il faut analyser les chiffres de l’emploi. Après le marasme de 2020, 700 000 emplois ont été créés en 2021, se rapprochant des niveaux d’emploi de 2019. Il manque toutefois 115 000 emplois par rapport à l’année précédente. Alors, les chiffres de l’emploi étaient encore parmi les plus bas d’Europe: 3 millions de chômeurs et chômeuses et autant de personnes qui avaient renoncé à chercher un emploi. Mais c’est la nature de ces 700 000 embauches, et de l’emploi en général, qui doit être prise en considération: 91% de ces embauches ont été faites avec des contrats précaires et à court terme. Cela fait partie du dessein d’une restructuration néolibérale toujours plus profonde de l’ensemble de la force de travail, en termes de degré de subordination et de précarité. Il s’agit ici d’une mutation progressive de la structure même de l’emploi.

En outre, d’autres facteurs doivent être pris en compte dans la relance de la production. La plus grande croissance, plus de 17%, a eu lieu dans le secteur de la construction, un véritable boom garanti par des primes publiques pour la rénovation des logements; ce qui a entraîné, avec toutes les formes de précarité et d’exploitation brutale, également présentes dans d’autres secteurs, une augmentation tragique des accidents du travail et des «homicides blancs» [décès professionnels] au travail. Nous sommes confrontés à un terrible massacre: 1100 homicides blancs en 2021. En janvier la tragédie continue avec deux à trois victimes par jour. L’une des dernières victimes est un jeune étudiant de 18 ans, tué par la chute d’une poutre de fer lors de son dernier jour dans l’entreprise pour l’achèvement du cycle école-travail dit en alternance, l’une des nombreuses réglementations honteuses introduites par le gouvernement Renzi (centre-gauche) en 2015 au profit des patrons.

La géographie industrielle du pays est également en train de se redessiner. Ce sont la Lombardie, la Vénétie et l’Emilie-Romagne qui ont le plus grand dynamisme – ce n’est pas un hasard si ce sont les trois régions qui traînent le projet de ce qu’on appelle l’autonomie régionale différenciée, qui suppose que la richesse produite dans une région reste en grande partie sur ce territoire, ne participant plus au financement national global de l’Etat –, tandis qu’une région historiquement industrielle comme le Piémont est en déclin et que le Sud reste comme avant à la traîne.

Ainsi, alors que de nombreuses entreprises et secteurs industriels se portent bien, d’autres sont en déclin, à commencer par la structure de production et d’emploi qui était déjà le pilier de l’industrie italienne, à savoir le secteur automobile. Ce secteur, en difficulté depuis des années, doit aujourd’hui faire face au passage à la voiture électrique avec une forte réduction de la production. Ainsi, la multinationale Stellantis [PSA-Fiat-Chrysler], qui emploie encore 66 000 personnes en Italie, se détourne de l’Italie. En 2021, le nombre d’heures d’indemnités de licenciement dans les usines italiennes a doublé par rapport à 2019 et on parle d’environ 60 mille emplois menacés dans toute la chaîne productive de l’automobile. Une étude du ministère des Infrastructures estime à 2200 le nombre d’entreprises dépendantes de ce secteur. Elles emploient 163 000 salarié·e·s et font un chiffre d’affaires de 45 milliards. Cent une d’entre elles, employant 26 000 personnes, sont en situation précaire.

Il y a déjà des cas importants de licenciements collectifs, impliquant des milliers de travailleurs et travailleuses, comme la liquidation d’Alitalia et son transfert à la nouvelle société publique ITA (c’est donc l’Etat qui licencie) et celle d’Air Italy, anciennement Meridiana, avec le licenciement 1320 salarié·e·s [6].

Il y a maintenant des centaines de conflits syndicaux qui tentent d’empêcher les licenciements, les fermetures et les délocalisations. La loi du gouvernement sur les délocalisations est désastreuse. Or, sur ce thème, une forte sensibilité s’est exprimée dans le pays grâce surtout à la lutte de GKN à Florence [voir à ce propos l’article publié sur ce site le 27 septembre 2021]. Draghi et ses associés ont fait passer une loi qui ouvre une autoroute peu coûteuse aux patrons et aux multinationales qui veulent transférer leurs entreprises ailleurs, ce qui est l’un des traits essentiels de la mondialisation capitaliste.

Un communiqué commun des travailleurs de GKN à Florence et de Caterpillar à Iesi dans les Marches dénonce l’opération frauduleuse du gouvernement, soulignant la nécessité de lutter pour la nationalisation, avec contrôle ouvrier, afin de défendre l’emploi et le tissu productif du pays.

Le tableau de la condition des classes laborieuses et de la situation dramatique vers laquelle elles sont projetées ne serait pas complet si nous ne mentionnions pas également la forte augmentation de l’inflation, notamment celle des produits énergétiques, qui exerce une forte pression sur les industries et une augmentation généralisée du prix des denrées alimentaires de base, amputant les salaires et les pensions. Face à cette inflation, le gouvernement est intervenu en ne mettant à disposition que quelques milliards de lires, une somme totalement dérisoire pour faire face à l’urgence.

Tentatives de mobilisation et de convergence des mouvements sociaux

Dans la seconde moitié de 2021, il y a eu des luttes, bien que partielles, qui ont montré la volonté de secteurs de travailleurs et travailleuses de résister à l’offensive patronale dans les secteurs de la logistique, dans les nombreuses usines qui défendent leurs emplois, mais aussi dans le secteur des services, avec quelques moments de lutte dans lesquels on a essayé d’unir les différents mouvements. On peut citer: la grande manifestation de Florence promue par le GKN, puis la grève générale des syndicats de base et enfin la grève de la CGIL et de l’UIL, certes déclarée tardivement avec une lourde responsabilité des directions syndicales, subordonnées et passives pendant tout l’automne, mais qui a vu des secteurs encore assez importants de travailleurs descendre dans la rue pour exiger une permanence de la lutte [voir à ce propos les articles publiés sur ce site les 18 décembre et 20 décembre 2021].

Puis il y a eu les mobilisations contre le réchauffement climatique, les mobilisations des femmes contre les violences et une première manifestation à Rome le 30 octobre qui a tenté de rassembler les différents mouvements sociaux. Ces derniers jours, la grève des transports locaux semble avoir eu un résultat assez significatif. Lors de la dernière réunion de l’exécutif de la CGIL, le secrétaire Maurizio Landini a exprimé l’intention de poursuivre la mobilisation contre les choix du gouvernement. Mais une série de faits et d’accords passés entre le gouvernement et les syndicats dans les secteurs publics et dans la gestion du PNR (le grand Plan National de Résistance et de Relance) vont dans une autre direction. Ils semblent contredire complètement les déclarations de Landini.

Un rôle moteur ne peut venir que des forces et de l’unité du syndicalisme de classe. Le processus d’unité à construire, dont le Collectif GKN est devenu le principal vecteur, mais pas seulement, s’exprime aujourd’hui en Italie en deux mots: rébellion et convergence avec au centre, avant tout, l’unité d’initiative et de revendications de toutes les entreprises qui luttent pour défendre leurs emplois. La forte résurgence de la pandémie rend, dans le même temps, encore plus difficile la nécessaire construction des manifestations et assemblées, le déploiement des luttes, indispensables pour combattre l’offensive gouvernementale et du patronat sur les différents terrains.

Parallèlement, d’autres acteurs sociaux – dont la Società della cura et la Rete Genova 2021, auxquels participe le Collectif GKN – sont engagés depuis des mois dans un processus de convergence des contenus programmatiques et des initiatives sociales. Fin février 2022, un forum de trois jours est prévu à Rome pour tous les mouvements, associations et courants syndicaux qui veulent construire un programme alternatif mais aussi organiser des mobilisations concrètes contre les options capitalistes. Pour cette raison, une nouvelle grande manifestation nationale est prévue pour la fin du mois de mars. Les travailleurs et travailleuses de GKN proposent de l’organiser à Florence. Au centre se trouvent les mots clés qui représentent la rébellion et la convergence des mouvements sociaux contre le capitalisme: Travail, Santé, Environnement, Droits. (Article reçu le 24 janvier 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Il n’est pas exclu que ces travaux parlementaires se prolongent pendant plusieurs jours, tant en raison des difficultés à trouver un candidat convenant aux partis qu’en raison des mesures de sécurité sanitaire qui ont été prises.

[2] Si c’est notamment l’extrême droite Fratelli d’Italia qui réclame une république présidentielle, toutes les grandes forces politiques partagent le choix de donner plus de pouvoir au premier ministre ou au président de la république comme le réclame la bourgeoisie.

[3] L’actuel président Mattarella, considéré comme le vieil homme équilibré et sage, aujourd’hui très populaire (beaucoup souhaiteraient le voir réélu), est loin d’être exempt de manquements dans son rôle de défenseur de la Constitution et de forçages procéduraux, comme celui qui s’est produit lors du passage [en février 2021] du gouvernement de centre-gauche Conte 2 au gouvernement d’«unité nationale» de Draghi, qui réunit tous les principaux partis, à la seule exception de l’extrême droite Fratelli d’Italia, qui exerce une opposition purement cosmétique. 

[4] Par ailleurs, il existe un écart entre la force des partis au Parlement sur la base des élections de 2018 et celle qui leur est attribuée aujourd’hui selon les sondages. Le M5S, qui avait 32% il y a quatre ans, semble aujourd’hui ne pas avoir franchi le seuil des 15%; le PD semblerait être le premier parti, à environ 21%, avec la Lega et Fratelli d’Italia chacun pratiquement à environ 19% et Forza Italia juste au-dessus de 8%.

[5] Le président n’a été élu qu’à trois reprises au premier tour et quelques autres fois au quatrième tour, lorsque le quorum n’est plus qu’à la majorité absolue. Il y a eu jusqu’à 16, voire 23 tours de vote.

[6] La brutalité de la gestion d’Alfredo Altavilla, patron d’ITA Airways et ancien homme de Marchionne chez FCA (Fiat Group Automobiles), et son aversion pour les travailleurs d’Alitalia, jugés trop syndiqués et combatifs, ont été confirmées dans une récente interview: «Je me fiche de ce qui arrive à ces gens, ce n’est pas mon problème sinon nous ne serions plus une entreprise qui doit rester sur le marché, mais une Croix-Rouge des employés de l’ancienne Alitalia.»

 

 

 

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