Le «socialiste» Hollande dans une Grèce ravagée

3412968878_31d4846711_zPar Amélie Poinssot

Devant les chantiers navals de Pérama, dans la périphérie de l’agglomération portuaire du Pirée, Yorgos Redzopoulos boit son café avec d’anciens collègues. Ils sont tous au chômage, dans cette commune qui vivait, jusqu’en 2008, de la réparation navale. Comme ses amis, il a touché, les six premiers mois, des indemnités chômage: 400 euros par mois. Puis, plus rien. Tous les membres de la famille, sa femme et ses deux grands enfants, vivent désormais sur la retraite des grands-parents… «Je pousse ma fille à partir au Canada: elle a fait de très bonnes études, elle a un master en économie, mais elle ne trouve pas de travail.»

A l’image de Yorgos et sa famille, ils sont chaque jour plus nombreux en Grèce, ces exclus du monde du travail dont la survie ne tient plus qu’à un fil. Les derniers chiffres du chômage, pour le mois de novembre 2012, sont tombés la semaine dernière: 27 % de la population active est touchée, soit trois fois plus qu’il y a trois ans à la même époque [61,7% pour la tranche d’âge entre 15 et 14 ans]. Même les cercles les plus conservateurs commencent à publier des prévisions alarmistes… Ainsi, le KEPE – Centre de recherche économique proche du gouvernement – s’apprête à publier son rapport cette semaine, dans lequel il prévoit un taux de chômage de 30 % pour 2013!

Les indicateurs d’un appauvrissement généralisé s’accumulent. Dans une récente enquête, la Confédération hellénique des artisans et commerçants estime qu’un ménage sur deux se voit obligé de couper dans ses dépenses les plus basiques, n’étant plus en mesure de régler certaines factures de chauffage ou d’électricité, ou de s’acquitter de ses impôts. Quand ces ménages ne se retrouvent pas à la rue… Car depuis un an, le nombre de SDF augmente sensiblement dans un pays pour qui le phénomène des sans-abri était encore marginal avant la crise, en raison, notamment, de fortes solidarités familiales.

L’ONG grecque Klimaka a publié en décembre une étude sur ces nouveaux pauvres: elle dresse un profil sociologique surprenant, où l’on découvre que nombre d’entre eux sont des diplômés, directement issus des «classes moyennes». Il y a quelques jours, c’était au tour de l’Institut du travail – le centre de recherche des syndicats grecs – de publier ses prévisions : 4 millions de pauvres seront à dénombrer en 2013 (sur une population totale de 11 millions d’habitants)… Déjà, en septembre 2012, son rapport révélait la baisse générale du niveau de vie des Grecs.

Si les foyers grecs ont aujourd’hui tant de peine à s’en sortir, ce n’est pas seulement en raison de l’explosion du chômage, c’est aussi que la fiscalité s’est considérablement alourdie sur des postes clés comme l’essence, le fioul domestique et le gaz. De plus, avec une TVA à 23 % et de nombreux produits importés, les prix à la consommation restent en Grèce parmi les plus élevés d’Europe, tandis que le pouvoir d’achat est en chute libre : – 45% par rapport à 2009, selon l’Institut du travail.

Les salarié·e·s payent le prix fort, avec des taux d’imposition bien supérieurs aux moyennes européennes… Le salaire minimum a par ailleurs été abaissé l’an dernier à 586 euros net par mois et à 412 euros pour les moins de 25 ans – sachant que le seuil de pauvreté en 2011 était de 549 euros par mois. La semaine dernière, le secrétaire général du ministère des finances [Giorgos Mergos] indiquait en outre qu’une nouvelle baisse du salaire minimum allait advenir. Même s’il a rapidement été démenti par le ministre, la promesse de révision du salaire minimum grec d’ici la fin du premier trimestre 2013 est bel est bien écrite noir sur blanc dans le dernier mémorandum signé avec la Troïka (Commission européenne-BCE-FMI) en novembre 2012 – la quatrième cure d’austérité adoptée dans le pays en deux ans et demi.

Grèves et mouvements sociaux en cascade

On lit également dans ce mémorandum qu’une nouvelle diminution du coût du travail de 15 % doit être mise en œuvre d’ici à 2014… Dans ce vaste programme de mesures aujourd’hui en cours d’application et qui comprend au total 18,1 milliards d’euros d’économies budgétaires d’ici à 2016, on trouve par ailleurs le licenciement de milliers de fonctionnaires, de nouvelles baisses de salaires dans le secteur public, dans les pensions de retraites et dans les aides sociales, un durcissement de la fiscalité avec notamment la suppression de tout seuil d’imposition pour les professions libérales, commerçants et auto-entrepreneurs, ainsi que le recul de l’âge de départ à la retraite à 67 ans et de nouvelles mesures de dérégulation du marché du travail.

Pour Yannis Eustathopoulos, chercheur en économie associé à l’Institut du travail, cette politique menée en Grèce depuis bientôt trois ans est «une politique voulue de dévaluation interne, qui s’appuie sur un dumping à la fois social, fiscal – avec une baisse à venir de la taxation sur les entreprises –, environnemental, mais aussi régional – avec l’accroissement des inégalités entre les provinces grecques – et intergénérationnel, si l’on tient compte des conséquences à moyen et long terme de la baisse actuelle des dépenses publiques. C’est ce que j’appelle une croissance par dégradation.»

Qu’importe l’ampleur des dégâts: la Troïka n’est pas prête à se remettre en question, comme le montre le débat actuel en Grèce autour des erreurs de calcul du FMI, reconnues par l’institution elle-même le mois dernier. Elle a en effet sous-évalué l’impact des multiplicateurs budgétaires, à savoir les variations sur le PIB induites par la diminution des dépenses publiques. La politique d’austérité a conduit à une récession plus forte que ce qu’avaient prévu les experts du FMI. Mais le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Oli Rehn, l’a redit la semaine dernière: ces erreurs sont sans importance, il faut continuer à poursuivre le programme à la lettre…

«Tout cela montre bien que cette politique poursuit un objectif et ne s’appuie en aucun cas sur des données fiables, dénonce Yannis Eustathopoulos. Cela peut paraître très technique comme discussion, mais c’est fondamental: on nous présente un modèle en fonction de ce que l’on veut obtenir, et non pas sur la base d’un savoir objectif.»

De fait, un vaste dumping social est à l’œuvre. Partout, les salaires sont à la baisse… Cet automne, Euronews créait sa chaîne de télévision en Grèce: des centaines de journalistes sur le carreau depuis les fermetures en cascade de médias grecs se sont présentés pour les quelques postes qui s’ouvraient. Le salaire:1000 euros par mois. Le géant suédois IKEA, de son côté, a procédé en décembre à des baisses de salaires d’environ 10 % pour son personnel grec… dont une partie est pourtant déjà employée à temps partiel et ne touchait pas plus de 500 euros par mois. Dans de nombreuses entreprises, les salariés se voient ainsi imposer un chantage: accepter une baisse de salaire sans broncher… ou risquer de perdre son poste.

Ces attaques en règle du droit du travail vont loin: elles touchent jusqu’au droit de grève, alors que les mouvements sociaux se sont multipliés ces dernières semaines. En janvier 2013, une longue grève dans le métro athénien s’est ainsi terminée par la réquisition du personnel par le gouvernement. S’en est suivie une grève des marins, pendant une semaine. Elle s’est achevée de la même façon, au petit matin sur le port du Pirée avec l’intervention des forces de sécurité. L’intransigeance du gouvernement n’a en tout cas pas empêché d’autres secteurs de débrayer: agriculteurs, salarié·e·s de la télévision publique, personnel des centres sociaux municipaux… Et au lendemain de la visite de François Hollande [1] qui doit être à Athènes ce mardi 19 février, c’est une grève générale qui est annoncée, à l’appel des deux centrales syndicales du public et du privé. [Le syndicat des journalistes a appelé à la grève pour le 19 février, afin de couvrir la grève générale du 20 février].

Sur les quais déshérités de Pérama, la visite du président français provoque tout au plus un léger haussement d’épaule. «Hollande, on espérait qu’il allait nous aider, nous les Grecs… Mais en fait, il fait la même chose que Sarkozy!» lâche Yorgos. Le président socialiste, qui a échoué jusqu’à présent à imposer une autre vision de l’Europe que celle de la chancelière allemande, saura-t-il démentir l’ouvrier au chômage? Son élection avait été suivie de près par les électeurs grecs qui votaient au même moment. Réponse de l’intéressé mardi, à Athènes.

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[1] Selon Le Figaro du 17 février 2013 : «Pour son déplacement, François Hollande sera accompagné par une délégation d’entreprises «engagées en Grèce». Mais peu de personnalités connues feront le voyage avec lui. Le signe d’un manque d’engagement? «La plupart des entreprises françaises sont restées en Grèce» malgré la crise, assure-t-on. Certaines, et parmi les plus importantes, sont cependant parties ou se réorganisent, comme le Crédit agricole ou Carrefour (…) Concrètement, la France veut apporter son «expertise» et son «savoir-faire» au gouvernement grec en matière de modernisation de l’État par exemple. Le gouvernement français veut aussi proposer un projet de partenariat qui reposerait notamment sur un prêt de deux frégates pour faire des recherches de pétrole et de gaz dans la mer Égée. François Hollande mise sur la Grèce… à long terme.»

Autrement dit, le pétrole de la mer Egée (étendue) doit intéresser une grande compagnie française (GDF s’intéresse à l’achat de deux firmes publiques gazières grecques: DEPA et DESFA, ceci en concurrence avec des investisseurs russes) et le leasing de deux frégates rassure ce secteur industriel français qui traversent des difficultés. Or, Hollande n’avait-il demandé, quatre jours avant les élections grecques de juin 2012, que les Grecs «tiennent leurs promesses» pour ce qui a trait aux mesures d’austérité budgétaires. (Rédaction A l’Encontre)

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Cet article a été publié, le 18 février 2013 sur le site de Mediapart.

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