Grèce: «Nous vivons une fin sans fin»

Alexis Tsipras s’adresse au ministre des Finances, Y. Stournaras

Par Panagiotis Grigoriou

Le gouvernement grec dirigé par Antonis Samaras, de la Nouvelle Démocratie (ND), va présenter la semaine prochaine le contenu effectif du nouveau plan d’austérité qu’impose la compression de 11,5 milliards d’euros des dépenses budgétaires, telle que le team de la Troïka l’a «proposée». Selon la presse, aucun secteur n’est épargné: des retraites aux «dépenses de santé», en passant par les allocations de chômage et familiales, l’éducation, les salaires de la fonction publique… Le ministre des Finances, Yannis Stournaras, a manifesté sa détermination, entre autres lors de sa rencontre avec Wolfgang Schäuble. L’application stricte de ce vaste plan de destruction sociale devrait, en octobre 2012, ouvrir la voie à une injection de 31,5 milliards d’euros… pour recapitaliser les banques et payer la dette.

Le 7 septembre 2012, l’office de statistique (ELSTAT) annonçait une contraction, à prix constants, de 6,3% du PIB pour le second trimestre 2012 (par rapport au même trimestre de 2011). La consommation finale a reculé de 7,2%. Les investissements (bâtiments, machines, etc.) ont chuté de 19,4%. Les exportations de biens et de services ont reculé, mais les importations se sont effondrées… ce qui améliore la situation du déficit de la balance commerciale!

Les privatisations sont à l’ordre du jour, mais les hésitations des investisseurs sont nombreuses; y compris dans des secteurs comme les «achats» d’îles et de propriétés foncières, étant donné les «incertitudes» concernant l’état du cadastre.

Le chômage, selon les chiffres officiels, ne cesse de monter: en juin 2011, le taux se situait à hauteur de 17,2%; en juin 2012 à 24,4%. A cette date, selon l’ELSTAT, les chômeurs et chômeuses étaient au nombre de 1’216’410, alors que le nombre de personnes employées était de 3’766’415. L’allocation de chômage de 360 euros a une durée maximale de 12 mois, indépendamment du nombre d’années travaillées. Les études des syndicats estiment que le chiffre de 1,5 million de chômeurs sera atteint en fin 2012. Ils estiment que le taux effectif de chômage se situera à 29% en fin 2012 et que le seuil de 35% (chômage réel) est dans «l’ordre des choses» pour 2013.

Des mobilisations sociales sont en cours et s’annoncent pour la semaine prochaine. Divers sondages indiquent une inquiétante progression d’Aube dorée, le parti néonazi. Il obtient entre 8,6% et 10,5% des intentions de vote, selon les instituts. Pour rappel, Aube dorée avait réuni 6,92% des suffrages le 17 juin 2012. Dans ce contexte, SYRIZA (avec ses diverses composantes) doit faire face non seulement à sa mutation comme «parti unifié», mais à une discussion d’orientation placée sous le signe d’une «urgence sociale» et politique sans précédent. Nous publierons, dans les jours qui viennent, un entretien substantiel avec un membre de SYRIZA et animateur de DEA (Gauche ouvrière internationaliste). (Rédaction A l’Encontre)

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Certains concepts ont parfois la vie longue et tumultueuse. Ce jeudi (6 septembre 2012), l’hebdomadaire politique Epikaira consacre sa Une à la «guerre totale», dessin à l’appui, c’est symboliquement Verdun et Stalingrad à la fois, la dette en prime, remplaçant… dignement le barbelé, et le no man’s land, en lieu et place de la cohésion sociale. Il y aurait un peu de l’exagération dans l’air et dans l’air de notre mauvais temps, c’est indéniable.

Pourtant, la comparaison n’est pas totalement fortuite car nous ressentons désormais et depuis des mois déjà la crise, comme une variante de la guerre, comme une nouvelle «continuation de la politique par d’autres moyens». J’avais en quelque sorte «communié» dans ce concept durant mes années de «thésard», y compris auprès des spécialistes, rattachés à l’époque à L’Historial de la Grande Guerre de Péronne. Il était alors question de «court vingtième siècle» inauguré par 14-18, et voilà qu’en 2012 Epikaira revient sur le concept, peut-être aussi, parce que le court XXIe siècle serait déjà inauguré par nos crises et autres… «Chemins des Dames», et ces… Dames sont, bien entendu, «nos» banques.

De ce fait, les raisins de saison sont aussi les raisins de la colère et pas qu’à Corinthe. Timidement mais certainement, les manifestations reprennent à Athènes puis à Salonique à l’occasion de la foire commerciale annuelle. Depuis deux jours et ce matin encore (jeudi 6 septembre 2012), nos médias se focalisent sur les manifestations des policiers, militaires et pompiers, par une dramatisation de circonstance. C’est vrai que des policiers-manifestants bloqués devant le Parlement par les CRS est certes une image rare, mais elle ne résumerait pas notre crise à elle seule, je crois.

Parallèlement, le personnel hospitalier a annoncé des débrayages, ainsi que (pour une première fois) les magistrats. L’Ordre des avocats du pays, ainsi que celui des ingénieurs, par le biais de certains de leurs membres ont saisi la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg, «puisque l’application du Mémorandum porte atteinte au droit à la propriété des citoyens grecs, étant donné que la notion de «propriété» comporte de fait les retraites et les salaires, amputés ainsi et de manière durable, ce qui serait en contradiction avec l’Article 1 du Protocole additionnel au Traité européen des Droits de l’Homme» (hebdomadaire satyrique To Pontiki, 6 septembre 2012).

Les militaires annoncent une journée d’action et de manifestations à travers toute la Grèce pour le 13 septembre 2012. Le Ministère organise des réunions d’urgence avec des officiers «instructeurs» de haut rang qui font le tour des casernes pour convaincre les récalcitrants du bien-fondé des baisses des salaires. «Non, qu’ils aillent se faire f… – a déclaré un officier athénien devant ses amis récemment – je dirai ce que je pense haut et fort et je n’ai pas peur des sanctions. Ces officiers qui nous contactent déjà un par un, afin de nous faire plier, sont des marionnettes et des escrocs. Au moment de la retraite, ils n’oseront pas franchir la porte de nos associations. Durant toutes ces années fastes de la grande fête, ceux du dehors [les civils] ont bien rempli leurs poches, pas nous, sauf les gradés engraissés par les vendeurs d’armes de toutes nationalités. Qu’ils nous laissent tranquilles à présent ces politiques. De toute manière, cette démocratie est plutôt une démocratie oligarchique

Le député de l’Aube dorée Ilias Kasidiaris

Au même moment, le député Aubedorien [membre du parti néonazi Aube dorée] Christos Pappas a souligné depuis le Parlement que «Samaras est un Pinocchio politique (…) sauf que le terrorisme ne passera pas car nous y répondrons par l’assaut (sic)» (Proto Thema, 7 septembre 2012). Notons qu’un éditorialiste de la revue Unfollow (septembre 2012), écrivant sous pseudonyme, estime «que Themos Anastasiadis et son journal Proto Thema incarne le rôle de l’hagiographe de l’Aube dorée, cette organisation politique néonazie, néfaste et indigne, jamais apparue en Grèce depuis le temps de l’Occupation». Et pour mieux… appréhender les… génomes de l’histoire, je note que Christos Pappas lui-même, sur son blog, se vante de sa famille «de prêtres et de militaires et de [son] père, le Général de division Ilias Pappas, qui fut un proche collaborateur de Georges Papadopoulos (sic)». (Georges Papadopoulos, chef des Colonels en 1967). Et ce vendredi 7 septembre, l’autre député Aubedorien, Kasidiaris, n’a pas été jugé [il était accusé d’avoir participé à un vol et à la détention d’armes, le délit remontant à 2007], bénéficiant de son statut de parlementaire, finalement… l’oligarchie démocratique peut être utile quelque part. Sauf aux retraités du pays par exemple.

Cette semaine, 400 retraités ont ainsi surpris le service d’ordre du Ministère de la santé s’introduisant dans ses locaux, et leur acte, bien que symbolique a eu un retentissement énorme, et pour une fois les médias ont laissé un peu de place à nos retraités. L’autre grande nouvelle en gestation ces derniers jours, fut la «bande d’annonce» – c’est-à-dire le mail ou selon d’autres versions originales disponibles – le «non paper» des Troïkans [les représentants de l’UE, de la BCE et du FMI], portant sur le retour à la semaine des 6 jours de travail dans le secteur privé, sans augmentation de salaire – ce qui est un truisme que de le rappeler. [Cette «annonce» était doublée de «suggestions» telles que : réduction à 2 ou 3 mois – et non plus 4 ou 6 mois – pour le délai d’annonce d’un licenciement; diminution de 50% des «primes» lors d’un licenciement.]

Indéniablement on progresse : «Nous avons été tétanisés au boulot rien que d’y penser. Nos claviers ont chauffé toute la journée, à la pose café, Aris a même proposé d’y installer son lit au bureau, Alexandra a aussitôt renchéri qu’il s’agira plutôt de son lit de mort et personne n’a rigolé. Nous avons quitté les locaux de notre entreprise en courant», m’a confié, lundi, un ami qui travaille encore. Les médias du vent mauvais nous annoncent par la même occasion que «le chômage a encore fait un bond ce dernier mois d’août, pratiquement 25% et c’est le taux officiel, c’est préoccupant » (journal de minuit télévision «Mega» vendredi 7 septembre), plus une récession… totale de 7% cette année, digne d’une économie en guerre.

La crise frappe partout, les sans-domicile, encore plus nombreux en ce temps de «rentrée», occupent les derniers squares «libres», les trottoirs ou les bancs publics, nul ne se sent à l’abri finalement. Car il ne s’agit plus que de perdre son travail «tout simplement», mais c’est le sol qui se dérobe sous nos pieds.

Sous le titre évocateur «La Guerre civile ante portas», Lefteris Charalambous rapporte une scène vécue sur une plage Egéenne durant l’été le plus court de la décennie : «(…) Deux amis analysent le prix de la chaise longue demeurée inchangée malgré la crise (…). Le premier, dont l’argumentaire se situe bien à gauche dénonce un système de santé et d’éducation inexistant, le second, déjà au chômage et sachant que la fin de ses maigres indemnités n’est plus si loin, affirme qu’il leur faut des baffes pour qu’ils deviennent enfin raisonnables (…). Crise, chômage, pauvreté, scandales, situation extrême, décisions extrêmes. La scène théâtrale des années 1930 est de retour et sans tarder. Le phénomène finit par être paradoxalement bien acceptable par les gens qui accumulent de la haine et réclament du sang. Allons-nous vers une guerre? Certains prétendent que nous sommes déjà en guerre économique. D’autres, par contre, insistent: la guerre civile est ante portas» (revue mensuelle Unfollow – septembre 2012).

Ce midi (vendredi 7 septembre) une alerte à la bombe a été donnée concernant une banque située sur la Place Syntagma [Athènes], puis en Thessalie, dans la région de Trikala plus précisément, des automobilistes sont attaqués durant la nuit pour ensuite subir un vol, les retraités du département sont terrorisés, rien que d’y penser. Décidément, les retraités n’ont plus de chance dans ce pays et des chômeurs, n’en parlons plus.

Mon ami journaliste, au chômage déjà depuis plus d’un an, devient dubitatif: «Nous ne savons pas sur quel pied danser on se mord la queue et bientôt la tête. Je me suis rendu au bureau de Mikhalis, un ancien collègue. Nous nous partagions le même local, d’ailleurs minuscule, pendant dix ans, au sein du journal F. Il n’a pas voulu me recevoir, sa secrétaire prétendit qu’il était trop occupé. Je me suis senti à la fois inutile et forcement humilié, donc, je commence tout juste à réaliser le sens profond de la crise. Parmi nous, les plus mauvais voient leur cas s’aggraver, et ils deviennent des Aubedoriens, tandis que les bons deviennent mauvais à leur tour. C’est une très mauvaise spirale. Heureusement, qu’un autre ancien collègue travaillant à présent au même journal que Mihalis est venu me consoler. Au bout du chemin, je ne vois que la mort, il n’y a plus d’autre mot. Entre-temps, je sens que je téléphonerai à Mikhalis lui demandant de me mettre de côté les journaux déjà lus utilisés au sein de sa rédaction. Ce n’est pas pour les lire, mais pour découper les coupons alimentaires que certains quotidiens offrent à leurs lecteurs. Tu sais, on les découpe de la première page et selon le jour, c’est un, ou deux euros de courses offerts, à effectuer auprès des enseignes. C’est vraiment tomber trop bas que d’en arriver là, qu’en penses-tu?»

J’ai préféré ne plus penser. J’ai accompagné mon ami et sa famille sur une plage de Salamine pour changer d’air et plonger ailleurs que dans la dépression, effectivement il va mieux. Nous avons partagé aussi la dernière pastèque de l’été 2012 acheté la veille au marché, pour 0,49 euro le kilo. J’ai aussitôt téléphoné à des amis du réseau plus vaste, pour déterminer ce qui serait encore réalisable ou même théoriquement envisageable dans sa branche. Rien n’est évident à présent, on le sait. Il y a encore six mois, mon ami était de toutes les manifestations, plus maintenant. Le chômage serait finalement une arme redoutable pour ne pas dire totale. Dans un sens, les journalistes de l’hebdomadaire Epikaira n’ont pas eu tort.

Nous vivons une fin sans fin. A gauche certains tirent la sonnette d’alarme, le tout est de savoir s’ils se trouvent encore à bord du train qui de toute façon déraille. Nous poursuivons certes encore nos habitudes comme si de rien n’était, tout y est, mais d’abord le vide. Pourtant, la sonnette reste audible, surtout que le monde de la gauche sait qu’en arrière-fond de toutes nos discussions il y a un trouble indéterminé.

En tout cas, les syndicats historiquement corrompus et trop… «systématiquement» combatifs GSEE (Union Syndicale des Travailleurs – secteur privé) et ADEDY (Fonction publique) appellent à manifester à Salonique le samedi 8 septembre [la manifestation a réuni quelque 20’000 personnes; Samaras y faisait un discours à l’occasion de la traditionnelle Foire commerciale]. On sait maintenant que le plus souvent, ils ont incarné le rôle de soupape de décompression pour ce qui est de la vapeur sociale. Mais on n’admettra pas aussi facilement que les carottes sont déjà cuites pourtant. A part ces deux syndicats, tout un monde qui lutte véritablement appelle également à manifester à Salonique et ailleurs. Peut-on dire que nous repartirons dans le sens de la protestation active? Disons que c’est toujours probable.

Alexis Tsipras de Syriza a déclaré à la télévision que «la manifestation des policiers est une brèche ouverte sur la muraille au système» (je cite de mémoire). Le temps le dira, mais Mikis Theodorakis a réprimandé publiquement le jeune Alexis «pour son manque de flexibilité dans la mise en œuvre échouée d’un front anti-mémorandum de gauche, mais ce n’est jamais trop tard», selon Mikis.

Le chef de la Gauche radicale (Syriza), Tsipras, déclare de son côté qu’il a «peur de l’aliénation causée par le pouvoir», supposons qu’il arrive aux commandes. «La mise en place d’une Europe fédérale sous l’hégémonie allemande par une politique néo-libérale monétariste exige des décisions courageuses et rapides: créer de l’argent [injecté dans l’économie], une politique monétaire agressive, l’obligation faite à BCE pour qu’elle garantisse l’ensemble de la dette, voire l’annulation des dettes » (interview à la revue Unfollow, septembre 2012).

Jeudi soir (6 septembre 2012), les télévisions… autorisées ont présenté cette… pâle copie du programme Syrizien, c’est-à-dire la conférence de Mario Draghi, comme une grande avancée pour ne pas dire une victoire. Ces mesures marquent une victoire de fait pour les thèses de la Bundesbank apparemment, mais les journalistes prédisent «qu’il s’agit d’une grande avancée». Dans les cafés, les gens s’approchèrent des postes de télévision pour mieux entendre, mais sans y croire, le temps de la naïveté est visiblement révolu.

Dans Athènes et sur ses murs et autres «surfaces totales», «à vendre», «à louer», «soutien scolaire»…

2 Commentaires

  1. le facisme est en ordre de marche en Grèce et partout dans cette Europe, volonté de la troika, de l’oligarchie financière et des pouvoir en place de matter les peuples et de les asservir. La question que nous devons nous poser : comment organiser le riposte au capitalisme financier quand la réponse des gouvernants est si brutale ? il nous faut concidèrer que les peuples européens sont en état de légitime défense…

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