Grèce. Pourquoi appuyer un gouvernement, même s’il pose problème?

Place Syntagma, le samedi 15 février 2015
Place Syntagma, le samedi 15 février 2015

Par Aris Hatzistefanou

Ce dimanche 15 février 2015, quelque 25’000 à 30’000 personnes ont manifesté sur la place Syntagma à Athènes – il en alla de même dans de nombreuses autres villes – leur soutien au nouveau gouvernement contre les diktats des institutions européennes. Un soutien qui traduit la volonté d’un secteur significatif des participants d’obtenir la concrétisation la plus ample des engagements de Syriza au cours des élections et lors de la présentation du programme de gouvernement par Alexis Tsipras le 9 février. Cela au moment où le dernier sondage (pour la chaîne Alpha) sur les intentions de vote donne 45,4% à SYRIZA, contre 18,4% à la Nouvelle Démocratie; 4,8% au KKE (PC) et 4,7% à Aube dorée. Les intentions de vote traduisent avant tout un soutien au gouvernement de Syriza face au chantage de l’UE.

Le lundi 16 février, la question d’un accord ou non avec l’Eurogroupe (ministres des Finances de l’UE) sera au centre de toutes les attentions.

Les vendredi et samedi (13-14 février) s’est réunie la branche santé de la confédération du secteur public (Adedy). Cette conférence a marqué une progression nette de l’aile militante de SYRIZA.

De même, suite au décès d’un migrant dans un camp de «rétention», la ministre responsable a annoncé la fermeture des camps. L’annonce du candidat à la présidence de la République doit tomber dans la nuit du 15 au 16 février. L’article que nous publions ci-dessous traduit la position d’une personnalité sceptique face au gouvernement de coalition placé sous la conduite de SYRIZA. Il souligne à juste titre les raisons d’un soutien. De quoi faire réfléchir des courants de la «gauche radicale» en Europe – entre autres en France – qui ne savent pas saisir la dynamique et le momentum de la conjoncture grecque. Ce qui n’implique pas d’ignorer les problèmes intrinsèques aux rapports de forces entre classes à l’échelle de l’Europe (au moins), en Grèce et, y compris, entre les différentes options possibles au sein de SYRIZA, options dont l’objectivaton dépend de l’ampleur des mobilisations politiques, telles que celles de ce soir. (Rédaction A l’Encontre)

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De nombreux amis et lecteurs me demandaient dans la matinée: enfin allons-nous descendre [le 5 février] sur la place Syntagma pour soutenir le gouvernement de Tsipras? La réponse ne peut pas se fonder sur une inclination émotionnelle. Vous n’allez pas dans les rues parce que «vous vous prenez simplement la tête». Mais pour atteindre des objectifs particuliers. Prenons donc les choses depuis le début.

Il y a quelques problèmes importants au cours des négociations sur les questions de la dette avec les représentants l’Eurogroupe et sur la décision qui en découle, jusqu’ici, de ne pas procéder à une rupture avec leurs créanciers

Comme l’a expliqué James Meadway [proche de Costas Lapavistas], de la New Economics Foundation, les deux principales suggestions de YannisVaroufakis (ministre des Finances) – qui n’impliquent pas le rejet de la dette – manifestent des faiblesses dans des domaines importants.

D’abord, la proposition du ministère des Finances implique que la dette grecque détenue par la BCE sera échangée contre des «obligations perpétuelles», pour lesquelles la Grèce ne paiera que de (faibles) intérêts, sans rembourser les fonds empruntés (le «principal»).

Ensuite, Varoufakis semble suggérer un échange de dettes conditionné à une «clause de croissance», ce qui signifie que la Grèce ne va commencer à payer que lorsque la croissance du PIB dépasse un certain pourcentage (probablement 3%). Indirectement, mais avec certitude, Meadway et plusieurs autres économistes avaient prédit qu’après le coup de la BCE contre la Grèce [refus de racheter dans le cadre de l’assouplissement quantitatif des obligations grecques considérées comme des «obligations pourries»], l’impliquer dans la première phase du processus de négociations relevait d’une chimère. Avec son attitude, la BCE s’est révélée être un instrument aveugle de Berlin avec une mission: écraser n’importe quel pays qui ose se détourner de l’orientation économique du Reich.

Tout aussi problématique est la deuxième proposition qui, en pratique, nécessite et implique un excédent primaire de 1,5%. L’excédent primaire renvoie à la différence entre les recettes budgétaires (impôts, taxes, etc.) et les dépenses (non inclus le paiement des intérêts sur la dette). L’excédent est là pour payer une part des intérêts.

En théorie, Meadway estime que Syriza pourrait atteindre cet objectif avec la réforme du système fiscal (essentiellement en faisant payer les riches). Ce que tous les autres gouvernements n’ont pas voulu faire depuis la création de l’Etat grec devrait être fait en quelques mois, alors que Berlin pointe son revolver sur la tempe du gouvernement et que les grands médias appartiennent à une poignée d’oligarques. Syriza est certes le seul parti de gouvernement qui peut et est nécessaire pour le faire. Mais si les réformes échouent ou traînent, la seule alternative sera un nouveau cycle d’austérité, ce qui va miner le pouvoir politique du gouvernement dans un délai très court.

N’oublions pas que les gens en général ne se révoltent pas lorsque l’on est au sommet d’une crise, mais quand leurs espoirs s’effacent. Et cette fois, ils espèrent.

En substance, cependant, le problème n’est pas économique mais politique. Comme l’a expliqué Paul Krugman, dans la zone euro les mains du gouvernement grec sont menottées. (C’est pourquoi il a toujours assimilé l’euro à un «carcan».) Tant que le système bancaire grec est l’otage de la BCE pour la fourniture de liquidités, aucun gouvernement n’a dans les mains de bonnes cartes pour la négociation. L’actuel président de la BCE (Mario Draghi) va provoquer une crise bancaire et menacer de renverser le gouvernement en quelques jours.

N’oublions pas que des dirigeants de la Banque centrale allemande ont déclaré que soit il s’agissait de changer le statu quo européen, soit le gouvernement grec. Et nous pouvons supposer qu’ils ont donné un mandat pour cette dernière «solution».

De toute évidence dans la zone euro, il est possible d’apporter une sorte d’amélioration social-démocrate [au sens présent] des conditions de la société grecque. L’élite financière de l’Europe sait qu’elle pourrait parvenir à un consensus sur un assouplissement temporaire de l’austérité (avant de passer à une nouvelle attaque contre les travailleurs dans quelques années). Mais, aujourd’hui, ils n’ont aucune raison de le faire si la Grèce ne les menace pas avec l’annulation unilatérale de la dette, quittant l’euro, tout en nationalisant les banques.

Est-ce que tout cela signifie que nous devrions abandonner le premier gouvernement de gauche à son sort si nous sommes en désaccord avec sa position de modération? Non. Exactement le contraire. Nous devons tous être dans les rues aujourd’hui et chaque jour pour administrer la preuve que le coup d’extorsion de l’UE ne passera pas.

Dans le passé, des gouvernements conservateurs de droite [Nouvelle Démocratie et PASOK] ont été contraints, sous la pression populaire, de taper sur la table face aux créanciers. Syriza, qui contient dans son sein plusieurs composantes radicales, peut le faire.

L’attitude de combat dans les rues ne signifie pas l’acceptation de la modération gouvernementale ou la dictature de l’UE. Cela veut simplement dire que nous appuyons le gouvernement en écartant l’option de la reddition. (Traduction Antonis Martalis; article publié sur le site Rproject le 6 février 2015).

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Aris Hatzistefanou est journaliste et producteur. Il a travaillé comme producteur de radio du service grec de la BBC à Londres en tant que correspondant à Istanbul. En Grèce, il a travaillé pour diverses publications. Il est le créateur d’émissions de radio et de TV et écrit pour le journal et l’émission de télévision Infowar auprès de la chaîne Skai. Il écrit pour le journal du NAR (Nouvelle Gauche) qui participe à la coalition ANTARSYA. Il a produit des documentaires, tels que Debtocracy, Catastroika et Fascisme SA. Les deux premiers ont enregistré plus de cinq millions de vues uniquement sur Internet. Ils ont été diffusés par une douzaine de stations de télévision et comptent des milliers de projections publiques à travers le monde. (NdT)

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