Lindt & Sprüngli prend les salarié·e·s pour des truffes…

(photo guillaume bonnaud - Sud-Ouest)

L’usine Lindt d’Oloron (Pyrénées atlantiques- France) bloquée par les ouvriers. Intervention policière

La société Lindt & Sprüngli, basée dans la région zurichoise,  a réalisé de 2003 à 2007 une croissance de son chiffre d’affaires de 10% par année. L’objectif de 8% pour 2008 était qualifié par la direction de «prudent». Et, pour 2008, l’augmentation du bénéfice est fixé entre 8% et 10% selon Finanz und Wirtschaft. Dans son analyse de la société, cette publication qui est une référence en Suisse souligne que «Lindt&Sprüngli dispose d’abondantes liquidités nettes qui ne peuvent guère utilisées pour des acquisitions, faute d’opportunités.» On comprend, avec ces objectifs de rentabilité, l’ardeur anti-ouvrière de la direction de Lindt à Oloron, dont rendent compte les deux articles du journal Sud-Ouest (22 et 23 octobre 2008) ci-dessous. En Europe, les principaux marchés de Lindt & Sprüngli sont l’Allemagne, la France et la Suisse. La grève s’est terminée le jeudi 23, laissant les salarié·e·s «à moitié satisfaits ou à moitié déçus» selon le Sud-Ouest du 24 octobre2008.  (Red)

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«Que voulez-vous qu’on fasse ? Les gars défendent leur bifteck. J’ai l’habitude: hier, je n’ai pas pu livrer Danone à cause d’une manifestation d’agriculteurs». Philosophes, deux chauffeurs routiers attendent patiemment dans leur cabine. Voilà trois heures que leur 38 tonnes stationne sur le parking de l’usine Lindt, à Oloron. Ils ne peuvent pas livrer les cartons destinés à emballer les productions de chocolat: les grévistes ne laissent plus les véhicules de transport franchir les grilles dans le but d’obtenir une revalorisation salariale réclamée depuis mars.

Renforcé depuis la semaine dernière, le mouvement social a pris, hier, une nouvelle dimension. Jusqu’à présent difficile, le dialogue est désormais rompu. Hier matin, la réunion entre la direction et les représentants du personnel a tourné court. Au bout de dix minutes, Gerd Waelti, le directeur industriel du site oloronais, a fait comprendre que les augmentations de salaires pour 2008 n’iront pas au-delà de ses prévisions: 10 euros bruts par mois.

Médiateur

Les grévistes ont par conséquent pris contact avec le siège de Lindt France, à Paris, pour demander l’intervention d’un médiateur. Ils ont également décidé de bloquer les entrées et les sorties des produits finis, matières premières et fournitures.

La réponse de la direction générale est tombée en fin d’après-midi comme un couperet: elle s’aligne sur la position de Gerd Waelti. Sans autre recours que de signer un accord et de reprendre le travail.

«On est déçu. On comptait vraiment sur une ouverture», témoignent les représentants de l’intersyndicale FO-CGT. «Personne ne comprend pourquoi ils nous mettent ainsi au pied du mur. Du coup, on ne sait pas jusqu’où va aller la grève maintenant. On ne va pas lâcher le morceau, c’est sûr».

Blocus de nuit

Tout semblait indiquer hier soir que le blocus allait se prolonger tout au long de la nuit. Dans ce cas, l’impact sur les livraisons et les expéditions est inévitable. Les grévistes considèrent que la production, déjà perturbée, sera rapidement interrompue. Peut-être d’ici à ce soir: «Nous fonctionnons à flux tendus. Les stocks sont trop faibles pour assurer le travail si les livraisons ne se font pas».

Miettes

Pour sa part, Gerd Waelti préfère ne pas commenter l’évolution du jour. Sa posture laisse un goût d’amertume aux salariés entrés dans le conflit: «La marque se porte bien. Le Maxiplaisir, nouveau produit lancé il y a six mois, a déjà gagné la troisième place du marché devant Poulain. Les patrons de Lindt font des bénéfices faramineux et les ouvriers n’ont droit qu’aux miettes. On nous prend pour quoi ?»

Les grévistes sont d’autant plus secoués par la position de leur direction qu’ils avaient, au fil du temps, revu leur prétention salariale à la baisse. Pour finir à 25 euros bruts par mois: «On nous fait un chantage classique à l’emploi. L’entreprise met aussi nos finances en péril. On se bat pour les salaires de base qui concernent aussi les 600 saisonniers».

Un comité d’établissement exceptionnel est, en tout cas, programmé demain. À l’ordre du jour: le point sur la situation. La réunion s’annonce tendue. En 1988, le conflit avait duré un mois. Le directeur et des cadres avaient été retenus dans les bureaux pendant une nuit. Les forces de l’ordre avaient été appelées pour évacuer l’usine. Au-delà de l’enjeu économique et social, c’est une des raisons pour lesquelles les services de l’État sont particulièrement attentifs à la grogne d’aujourd’hui.

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Gendarmes en renfort

Il est un peu plus de 19 heures, hier, quand une vingtaine de grévistes cassent la croûte devant les grilles de l’entrée nord de l’usine Lindt. Une dizaine de véhicules de gendarmerie arrivent. Une trentaine d’hommes du PSIG de Pau et d’Orthez et de la brigade d’Oloron en sortent et foncent. Cette fois, ils ne sont pas venus pour prendre des nouvelles mais pour dégager les accès où aucun camion ne passe depuis mardi.

L’intervention est brève. La bousculade, inévitable. Des femmes sont sous le choc. «Ils ont chargé ! C’était impressionnant. Je me suis retrouvée coincée contre le portail. Je m’étouffais. Ils m’ont fait mal à la jambe. C’est inadmissible.»

Sous les sifflets et les insultes, les militaires forment un cordon de sécurité pour permettre la livraison de deux véhicules de transport de fournitures et de marchandises. «Vous n’avez pas honte ?» crient des dizaines d’ouvriers venus en renfort. Un membre de l’encadrement apparaît au loin. Réactions immédiates: «Bandit !».

Incompréhension

Les esprits se calment le temps d’exprimer l’incompréhension: «Lindt ne négocie rien et préfère envoyer les flics. Chapeau ! On a tout fait depuis mars pour discuter cette augmentation de salaires. On se fait charger pour 5 euros de différence entre ce que nous demandons et ce qu’ils veulent donner». Les représentants du personnel ne veulent pas abandonner: «On n’était pas habitué à cela. Avant, toutes les directions ont fait des efforts sur le plan social et se montraient humaines. Ce n’est pas le cas de l’actuel directeur. Il ne connaît pas son personnel. Il n’a jamais voulu clairement discuter. S’il l’avait fait, il se serait rendu compte que nous sommes ouverts. Ce soir, il a passé un cap. C’est une fracture totale qui restera tant que nous aurons ce directeur».

Le directeur évacué

Non loin de la scène, le «patron», Gerd Waelti observe les événements. «J’espère que le conflit va maintenant s’arrêter», dit-il. «Notre proposition d’augmenter les salaires a été faite. Il faut aussi qu’ils comprennent que Lindt ne peut pas aller plus loin. Moi, j’ai la responsabilité de l’usine. Je ne peux pas mettre en péril le boulot des 890 salariés en moyenne. Je ne peux pas non plus mettre en danger Lindt France qui rame dans une compétition de plus en plus dure.»

Gerd Waelti ne restera pas très longtemps. A l’approche du groupe en colère, un gendarme près duquel il se trouve préfère l’évacuer dans une voiture. «Pourquoi restait-il ici à nous regarder ? C’est de la provocation comme à son habitude», expliquent les grévistes.

À 20 heures, ceux-ci ne comptaient pas lever le camp. «On est plus que jamais déterminé. On reste sur place et le blocage va continuer d’une manière ou d’une autre. La charge des gendarmes n’est pas normale. Le personnel en grève n’a jamais empêché un non gréviste de se rendre sur son poste de travail.».

Lacrymogènes

À 20 h 30, Marylise Gaston et Patrick Maillet, deux adjoints au maire, arrivent à peine sur place que gendarmes et grévistes s’affrontent dans une nouvelle bousculade. Un camion doit sortir. La dispersion est très vite obtenue après usage des gaz lacrymogènes.

Depuis le mois de mars, l’intersyndicale FO-CGT ne parvient pas à obtenir une revalorisation salariale. Leur revendication portait sur 60 euros par mois au printemps. Hier, ils étaient prêts à accepter 20 euros. Le chef d’entreprise estime avoir déjà accepté 23 euros bruts en début d’année. Et ne voulait pas aller au-delà de 15 euros mensuels supplémentaires tout en proposant 50 euros par mois pour 2009. Les salariés ne comprennent toujours pas pourquoi, avec 14 millions d’euros de bénéfices au premier semestre 2008, Lindt n’est pas en mesure de leur apporter satisfaction.

Depuis mardi, le blocage des camions avait sérieusement perturbé la production. Deux lignes de fabrication sur trois fonctionnaient ces derniers jours, souvent avec l’appui de membres de l’encadrement. Hier, le sucre commençait à manquer. Et la fabrication de la pâte de chocolat risquait d’être interrompue ce matin.

Cet après-midi, le comité d’établissement exceptionnel s’annonce particulièrement chaud. (23-28 octobre 2008)

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