Par Léon Crémieux
Le mouvement pour le retrait de la contre-réforme des retraites est entré le 18 janvier 2020 dans son 46ème jour de grève à la RATP et à la SNCF, 46ème jour de mobilisation sous diverses formes à travers tout le pays.
Le mouvement de grève reçoit toujours le soutien d’une grande majorité de la population, soutien marqué par l’afflux de dons dans les caisses de grève, les diverses manifestations de sympathie venant même de salarié·e·s géné·e·s par les grèves des transports, soutien marqué par tous les instituts de sondage, rappelant semaine après semaine que le mouvement reçoit l’approbation des deux tiers de la population.
De plus, une même proportion de la population, les deux-tiers, exprime une inquiétude croissante vis-à-vis de cette contre-réforme et de l’avenir de leurs retraites.
Macron espérait en finir avec les grèves avec la lettre envoyée aux syndicats le 11 janvier.
Dans cette lettre, Edouard Philippe, le premier ministre s’engageait à retirer provisoirement du projet de loi, «l’âge pivot», l’obligation de travailler jusqu’à 64 ans pour obtenir une retraite à taux plein. En cela, il accédait à la demande de la CFDT (Confédération française démocratique du travail) d’organiser une conférence sur le financement des retraites qui pourrait éventuellement proposer une autre mesure permettant de réaliser les 12 milliards d’économies dans les comptes de l’assurance retraite exigés par le gouvernement.
Cette manœuvre du gouvernement arrivait alors que le gouvernement était sur la défensive, incapable de rallier l’opinion à sa réforme et n’ayant pas réussi à étouffer la grève durant les fêtes. La position inflexible de Philippe, ayant réussi à s’aliéner la CFDT, était même critiquée au sein de la majorité présidentielle.
Ce «recul» fut applaudi par la presse et les dirigeants des Républicains (LR), trop heureux de retrouver un peu d’espace face à Macron, dénoncèrent cette «retraite de la réforme» après les «concessions multiples aux régimes spéciaux».
Du côté du mouvement syndical, seuls la CFDT et l’UNSA (Union nationale des syndicats autonomes) applaudirent à cette annonce trop heureux, eux aussi, de trouver une porte de sortie.
Cette manœuvre n’eut aucun effet sur les grévistes, mais elle fut une fois de plus l’occasion pour les responsables gouvernementaux de dénoncer le jusqu’au-boutisme des grévistes et des syndicats, largement soutenus par les éditorialistes des principaux médias.
Il faut au contraire noter le maintien d’un front syndical assez solide rassemblant CGT, CGC (Confédération générale des cadres), FO, Solidaires et FSU (Fédération syndicale unitaire, première fédération de l’enseignement) dans le combat pour le retrait de cette contre-réforme, syndicats représentatifs à hauteur de 56% dans les élections professionnelles alors que la CFDT et l’UNSA ne représentent que 31,2%. (La CFDT est toujours présentée comme le premier syndicat du pays, alors qu’elle ne dépasse la CGT que de 0,1% des voix au total, 24% contre 23,9%). Même le principal syndicat des cadres, la CGC est toujours dans ce front syndical, alors qu’il est plus souvent allié à la CFDT dans une politique pro-patronale.
Tous ces éléments reflètent le large rejet de ce projet de loi qui vise à profondément démanteler le système de retraite par répartition.
La publication du projet de loi lui-même, n’a fait que confirmer ce qui est avancé depuis des mois par celles et ceux qui le combattent.
Deux éléments essentiels y sont affirmés au fil des articles:
- La logique financière et budgétaire qui doit être le fil conducteur du système au détriment du maintien du niveau des pensions et de l’âge de départ à la retraite.
- La logique du libéralisme autoritaire de Macron, l’Etat prenant en main des leviers de gestion qui étaient jusque-là dans le giron du paritarisme.
On est face à un projet qui fixe comme impératif catégorique la limitation des dépenses publiques de retraites à 14% du PIB. De plus, le système devra être obligatoirement équilibré de manière prévisionnelle sur 5 ans. Ainsi en 2025, il y aurait obligation d’équilibrer les budgets 2025-2029. Tout déficit étant interdit, et l’augmentation des ressources (les cotisations) étant aussi interdite, la seule variable d’ajustement resterait le montant des pensions ou le rallongement de l’âge de départ.
D’ailleurs, dans des formulations parfois obscures, on comprend bien que les gestionnaires devraient adapter les taux d’augmentation des valeurs d’acquisition et de service de points de retraite (la valeur de service étant la valeur du point pour calculer le montant de la retraite lors de sa liquidation) pour maintenir l’équilibre financier. Et, en cas de désaccord des «partenaires», ce serait le gouvernement qui déciderait de ces valeurs.
Contrairement à la propagande du gouvernement, «l’âge d’équilibre» n’a pas disparu. En gros, dans les décennies à venir, les gestionnaires de la Caisse devront progressivement repousser l’âge de départ permettant d’obtenir sa retraite sans malus. Cet âge glisserait d’une durée équivalente aux deux-tiers de l’augmentation de l’espérance de vie.
Par ailleurs, concernant les ressources, l’Etat depuis la loi de financement de la Sécurité sociale 2020 ne rembourse plus à la Caisse des retraites les manques à gagner dus aux décisions d’exonération des cotisations patronales, ceci représentant un important manque à gagner.
L’étude d’impact qui accompagne le projet de loi estime, concernant l’âge de départ, qu’il devrait être de 65 ans pour la génération née en 1975 et de 67 ans à partir des années 2050.
Enfin, les articles 15 et 64 du projet détaillent l’entrée en scène des retraites supplémentaires par capitalisation (les Plan d’épargne retraite). Le gouvernement, par ordonnance, aurait pouvoir de prendre des mesures sur le régime fiscal de ces fonds destinés dans un premier temps à recueillir les versements venant des parts de salaires entre 3 et 8 plafonds sécu (soit entre 120’000 et 320’000 euros de salaires annuels). De plus, les banques sont explicitement invitées à mettre rapidement sur pied les produits retraites permettant de recueillir les versements des hauts salaires.
Le groupe AXA (groupe d’assurance et de gestion d’actifs, 102 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018 – AXA, suite a des acquisitions est le premier assureur en Suisse, paradis des fonds de pensions) vient d’éditer une brochure pour la promotion de ses plans retraite expliquant tout simplement que ses clients devaient se protéger de la baisse programmée des pensions par répartition…
Enfin, espérant être tiré d’affaire, le gouvernement veut aller vite pour l’adoption de cette contre-réforme de destruction. Le 24 janvier le projet est présenté en Conseil des Ministres, le 3 février il passe devant une commission «ad hoc» du Parlement, expressément choisie par l’exécutif, alors que l’usage aurait voulu que cela soit la commission des Affaires sociales. Enfin, la loi sera débattue et votée selon une procédure accélérée, avec une seule lecture par chambre (Assemblée puis Sénat), pour boucler la question avant le mois de juin. De plus, de nombreux points de la loi seront laissés en blanc, charge au gouvernement de les écrire et de les décréter par ordonnances (donc sans débat et vote parlementaire). Même avec une large majorité à l’Assemblée, le gouvernement veut éviter une cristallisation des débats au Sénat, où le parti présidentiel est largement minoritaire, et de longs débats d’amendements.
Parallèlement, au pas de charge, devra se tenir une «conférence sur le financement» voulue par la CFDT. Ce simulacre de concertation sera encadré par l’obligation de trouver une solution alternative au report à 64 ans de l’âge de départ, alternative qui permette de trouver 12 milliards de 2022 à 2027… en ne pouvant pas proposer d’augmentation des cotisations, ni mettre à contribution le Fonds de réserve des retraites créé en 2001, pour amortir les déséquilibres démographiques, d’un montant de 32 milliards d’euros, ni la Caisse d’amortissement de la «dette sociale», fonds arnaqueur et possédant 17,6 milliards de fonds. Il ne resterait donc que deux solutions pour choisir la longueur de la chaîne des salarié·e·s: l’allongement du nombre d’années travaillées (43 ans aujourd’hui) ou le report de l’âge de départ à 64 ans, comme le souhaitent le MEDEF (Mouvement des entreprises de France) et le gouvernement. Dans tous les cas, il faut s’attendre à une grande victoire du «dialogue social»!
• Le mouvement ne manque donc pas d’arguments pour justifier son action. Mais le problème reste toujours celui d’entrée dans la grève d’autres secteurs.
La semaine du 13 au 18 janvier a marqué un tournant. Il n’y a aucune lassitude parmi les grévistes ni parmi les participant·e·s aux manifestations. Mais, il faut gérer plus d’un mois de grève et autour d’un noyau dur, les grévistes commencent par endroits à se concentrer sur les journées des temps forts, pour économiser les forces. Et le pourcentage total de grévistes est moindre que les semaines précédentes. Il en est de même des manifestations du 16 janvier, tout aussi combatives, mais moins nombreuses que celles du 9 janvier. Beaucoup évoquent la nécessité de durer, tout en intégrant l’absence de relais d’un secteur important.
Pourtant des extensions existent. Les travailleurs des ports et docks organisent des blocages des ports, ceux des raffineries continuent des actions de blocage de production, comme les électriciens gaziers. Dans beaucoup d’universités et de lycées les mobilisations se développent, en lien avec les actions des enseignants chercheurs et des enseignant·e·s mobilisé·e·s contre les épreuves de contrôle continu du baccalauréat. Des salariés d’entreprises du privé, comme Cargill à Lille, en lutte contre les licenciements rejoignent les manifestations sur les retraites. Les avocats continuent les grèves des audiences et mènent des actions spectaculaires.
De nombreuses interpros se sont tournées cette semaine vers des enchaînements d’actions spectaculaires d’occupations et de blocage. C’est une façon d’occuper l’espace politique, de maintenir la mobilisation, mais cela reflète aussi les limites de l’extension.
Le mouvement est donc en train de changer de rythme. La détermination et la conviction puissante de la nécessité de faire reculer Macron sont toujours aussi fortes. Le sentiment de bénéficier d’un large soutien populaire aussi. De même, la certitude que la question de la contre-réforme des retraites est un des piliers à abattre dans une offensive de destruction sociale que subissent notamment les enseignant·e·s et les travailleurs-travailleuses du secteur hospitalier qui, depuis un an, dénoncent la misère des hôpitaux. De plus, les femmes, les chômeurs-chômeuses, les jeunes, les précaires, apparaissent comme les grands perdants de cette «réforme».
C’est donc bien une conscience de lutte globale contre le système qui bouillonne dans le creuset de cette mobilisation.
Mais pour gagner, il va falloir trouver un second souffle, avec l’entrée de nouvelles forces, de nouveaux secteurs dans la grève. Car, quand bien même, une victoire de Macron pour faire passer son projet serait sans doute une victoire à la Pyrrhus, elle ne serait pas moins une nouvelle dégradation de nos conditions de vie, et encore plus pour les générations à venir. (18 janvier 2020)
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Voir les articles précédents – ayant trait à la contre-réforme des retraites – de Léon Crémieux mis en ligne sur le site alencontre.org : 9 décembre 2019, 14 décembre 2019, 22 décembre 2019, 12 janvier 2020.
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