France. Pacte de «responsabilité» envers le patronat

Le président Hollande et le patron du Medef, Pierre Gattaz

Par Union syndicale Solidaires et Apex

A fin avril 2014, le gouvernement français présentera le contenu du «pacte de responsabilité» devant le Parlement et engagera sa confiance sur le contenu de ce texte. François Hollande avait annoncé le projet de ce «pacte» le 31 décembre 2013 lors de ses vœux aux Français. Il consisterait, en plus des 20 milliards actuels déjà alloués dans le cadre du Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), à accorder 10 milliards d’euros supplémentaires, à l’ensemble des entreprises qui emploient des salariés, pour «baisser le coût du travail». Soit un total de 30 milliards d’euros.

Le 5 mars 2014, le patronat et trois syndicats – CFDT (Confédération française démocratique du travail), CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) et CFE-CGC (Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres) – ont abouti à un accord sur les «contreparties» attendues en termes d’emplois à un nouvel allégement des cotisations patronales. Un document, pour reprendre les termes du journal économique La Tribune, «plus symbolique qu’autre chose tant son contenu s’avère absolument pas contraignant»  (11 mars 2014). «Il n’y a pas d’engagements chiffrés» sur les créations d’emplois attendues des entreprises en échange des baisses de cotisations promises par le gouvernement, a expliqué le chef de la délégation du Medef Jean-François Pilliard (La Tribune, 5 mars 2014). FO (Force ouvrière) et la CGT (Confédération générale du travail) ont refusé cet accord.

La CFE-CGC a renoncé mardi 25 mars à signer le «pacte de responsabilité», bien qu’elle ait déclaré qu’elle le ratifierait car il permet «d’obtenir des mesures significatives» en faveur de l’emploi et des négociations salariales, selon les termes de la présidente Carole Couvert. Lors de la conférence de presse du 25 mars, la CFE-CGC a expliqué sa décision de ne pas signer le «pacte de responsabilité» en raison de l’accord sur une nouvelle convention d’assurance chômage, conclu entre le patronat, la CFDT, la CFTC et FO dans la nuit du 21 au 22 mars et qui durcit le régime des cadres, seniors et intermittents.

Quant au patron du mensuel Alternatives économiques, Philippe Frémeaux, il déclarait dans le numéro de janvier 2014: «[…] le marchandage baisse des charges contre créations d’emplois apparaît d’abord comme une mise en scène propre à rendre acceptable par la gauche la politique de l’offre suivie par le gouvernement. Les contreparties ne sont là que pour l’affichage. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la façon dont le crédit d’impôt compétitivité emploi est mis en œuvre. Contrairement aux promesses faites, les directions d’entreprise se sont dispensées de rendre compte de l’usage fait des milliards perçus aux représentants du personnel. Et les créations d’emplois attendues sont loin d’être au rendez-vous pour l’instant.»

Nous publions ci-dessous la prise de position de l’Union syndicale Solidaires sur le «pacte de responsabilité», en date du 11 mars 2014, et un texte d’Apex, datant 6 février 2014, qui interroge la relation entre allégement des charges, relance de l’activité et baisse du chômage. (Rédaction A l’Encontre)

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A propos du texte Patronat/CFDT/CFTC/CGC

Par Union syndicale Solidaires

Le relevé de conclusions qui clôt les négociations menées entre le MEDEF, la CGPME [Confédération générale des petites et moyennes entreprises], l’UPA [Union professionnelle artisanale], la CGT, FO, la CFDT, la CFTC et la CGC n’est pas seulement inutile en termes de lutte contre le chômage; il valide l’analyse patronale de la situation économique qui consiste à renvoyer sur les travailleurs et les travailleuses la responsabilité de «la crise»; il entérine les milliards d’euros offerts au patronat pour enrichir les actionnaires; il annonce des mesures restreignant les droits des représentant-es des salarié-es et des syndicats.

Encore le coup du coût!

A travers ce document commun, le patronat fait avaliser par CFDT, CFTC et CGC sa théorie selon laquelle, d’une part le problème économique et social est celui de la «compétitivité» des entreprises, et d’autre part, l’amélioration de celle-ci passe par la baisse des cotisations sociales dites patronales et une «simplification administrative» (en langage patronal, cela signifie plus de facilités pour licencier, précariser, modifier les contrats de travail, etc.). Bref, c’est encore une fois «le coût du travail» qui est accusé.

Extraits du texte commun Patronat/CFDT/CFTC/CGC:

«[…] la compétitivité des entreprises françaises est à la baisse depuis plusieurs années […] Ce déficit de compétitivité grève les capacités d’investissements des entreprises, ce qui pénalise à leur tour la croissance et la création d’emplois. Sans rétablissement de la compétitivité des entreprises, il ne peut y avoir de baisse durable du chômage.»

30 milliards d’euros pour les actionnaires!

Le texte entérine le cadeau offert par le gouvernement au patronat des entreprises privées: 30 milliards, qui correspondent au montant des cotisations sociales dues au titre de la Branche Famille. Exonérations de cotisations sociales et/ou crédit d’impôt, la forme du cadeau n’est pas encore définitive.

Le texte valide le fait que ces 30 milliards sont acquis annuellement au patronat, quelle que soit l’évolution de l’emploi et donc du chômage.

Un pacte gagnant-gagnant? Oui, pour le patronat

Le relevé de conclusions cosigné par les organisations patronales et la CFDT, la CFTC et la CGC invente «un pacte gagnant-gagnant». Il n’en est rien; fruit d’une négociation dans laquelle cinq organisations syndicales se sont engagées sans aucun rapport de forces, le résultat est à la hauteur de ce qu’il devait être dans ces conditions: la ratification des prétentions patronales, aucun engagement concret qui pourrait améliorer la situation des salarié-es (en activité, au chômage ou en retraite).

Extraits du texte commun Patronat/CFDT/CFTC/CGC:

«Ce rétablissement [de la compétitivité] repose sur un pacte gagnant-gagnant: pour les entreprises, une trajectoire claire de baisse des prélèvements et une simplification de l’environnement administratif et réglementaire permettant de redresser les marges et de dégager des capacités d’investissement; pour les salariés et les demandeurs d’emploi, un engagement sur des objectifs et des ambitions en termes d’emploi, de qualité de l’emploi, de dialogue social et d’investissement».

En matière d’emploi, le seul «engagement» est de demander «aux branches professionnelles d’ouvrir, dès lors que la trajectoire de baisse des prélèvements sociaux et fiscaux sera précisément définie par les pouvoirs publics, des discussions en vue d’aboutir à un relevé de conclusions signé, ou des négociations en vue d’aboutir à un accord, précisant des objectifs quantitatifs et qualificatifs en termes d’emploi».

• Le renvoi vers les branches; or tout le monde s’accorde à dire qu’un grand nombre de «branches professionnelles» ne sont pas actives depuis des années; de très nombreux secteurs ne feront donc l’objet d’aucun relevé de décisions, d’aucune négociation.

• Il n’y a aucune obligation d’engagement minimum sur l’emploi.

• Le préalable à ces discussions est que le patronat connaisse («précisément»!) les modalités retenues pour le cadeau de 30 milliards.

Un pacte perdant-perdant pour les salarié-es

Les salarié-es, les chômeur-ses et les retraité-es paieront les 30 milliards captés par les actionnaires: suppression de prestations sociales; augmentation de nos cotisations; salaires, indemnités et pensions bloqués; remise en cause des services publics par une nouvelle baisse de la dépense publique pour compenser ce cadeau au patronat! 3

Toujours sans aucun rapport de forces, CFDT, CFTC et CGC acceptent par ce texte «d’engager dans la première quinzaine de mars la concertation paritaire sur le financement de la protection sociale».

Poussant l’avantage, le patronat a obtenu de la CFDT, la CFTC et la CGC des discussions «au second semestre 2014 afin de franchir une nouvelle étape dans l’amélioration du marché du travail pour développer l’emploi, la sécurisation des parcours professionnels et la qualité de l’emploi». Le «marché du travail», c’est nous; son «amélioration», en langage patronal, ça signifie plus de précarité, plus de flexibilité.

S’y ajoute, dès le deuxième trimestre 2014, «une négociation sur la modernisation du dialogue social» qui «portera notamment sur la simplification et l’amélioration des instances représentatives du personnel». On imagine comment le patronat entend «simplifier» le fonctionnement des Délégué-es du Personnel, Comités d’Entreprise ou Comités d’Hygiène, Sécurité et des Conditions de Travail! «L’amélioration» ne passe sans doute pas par le droit de veto dans les CE que revendique Solidaires!

Il faut dénoncer le pacte de responsabilité!

Les signatures CFDT, CFTC et CGC sont scandaleuses du point de vue des intérêts des salarié-es.

Accepter de discuter de l’amélioration de la compétitivité des entreprises est un piège pour le syndicalisme.

Le chômage, la précarité et la flexibilité ne sont pas dus à cela mais au système économique qui organise l’exploitation du plus grand nombre pour le profit d‘une petite minorité. La propriété privée des moyens de production est au cœur de ce système.

Le choix de la CGT et de FO de participer à ces négociations sans volonté de construire un rapport de forces, sans information de masse auprès des salarié-es pèse aussi; c’est un des dangers du «partenariat social».

Accepter de discuter de l’amélioration de la compétitivité de «nos» entreprises en France, suppose de partager l’idée que celles-ci doivent être «meilleures» que les entreprises d’autres pays, et donc les couler pour que «nos» entreprises disposent d’une plus grande part de marché. C’est la négation du caractère international du syndicalisme et de nos intérêts de classe. Nous n’avons pas à défendre «les entreprises de France» aux côtés du patronat français, contre les travailleurs et les travailleuses des autres pays. Nous devons construire le cadre syndical international nous permettant d’avancer des revendications communes, de construire des mobilisations internationales pour une transformation sociale d’ampleur.

Accepter de discuter de l’amélioration de la compétitivité des entreprises françaises, c’est faire semblant d’oublier que le capitalisme est international, que la finance est mondialisée.

Accepter de discuter de l’amélioration de la compétitivité des entreprises, c’est considérer que «la solution» viendrait de la seule relance de la consommation, d’une croissance (au sens traditionnel du terme) toujours plus forte. Nous refusons une telle conception qui ignore la dimension écologique sous toutes ses formes. Par ailleurs, y compris dans ce cadre, ce pacte n’a pas de sens: l’accentuation de la baisse des dépenses publiques qu’il implique conduit à encore plus de pauvreté dans la population et certainement pas à une augmentation de la demande de produits.

Accepter de discuter de l’amélioration de la compétitivité des entreprises, c’est faire croire que les entreprises françaises pourraient «gagner» en exportant plus que celles des autres pays européens. Outre ce que cela signifie quant à l’avenir de ces autres entreprises et donc des salarié-es, cela ne peut se traduire dans les faits: la majorité des exportations de tous les pays de l’Union européenne s’effectue au sein de l’Union européenne. Comment l’austérité imposée aux peuples de chacun de ces pays pourrait amener à plus d’exportations des entreprises françaises? (11 mars 2014)

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Le «Pacte», un très mauvais calcul

Par Apex

Sur une masse salariale française d’environ 750 milliards d’euros, une réduction des charges de 35 milliards représente à peu près 5% de cette somme. Ceci se fera-t-il en plus du Crédit d’impôt compétitivité-emploi (Cice) ou par une fusion des deux procédures? En tout cas le Medef demande à ce que cette autre ristourne s’applique non plus sur les salaires en deçà de 2,5 fois le SMIC mais jusqu’à 4 fois le salaire minimum. Mais à quoi servent vraiment de telles décisions quand il est bien difficile de démontrer la relation entre allégement fiscal, relance de l’activité et baisse du chômage.

«Les marges sont au plus bas»…

L’argument «la marge des entreprises françaises est au plus bas depuis les années 80» est trop général pour être sérieux. Il fait l’impasse sur le fait que le marché et la concurrence font remonter une part grandissante de la marge vers les entreprises ayant le plus de pouvoir de marché. En d’autres termes, le taux de marge des grands groupes sur le territoire français est en moyenne plus important que celui des entreprises moyennes, lui-même plus important que celui des petites entreprises et de l’artisanat. Le partage du profit est fondamentalement inégal et ceux qui en profitent le plus sont ceux qui ont le plus de levier pour faire de l’optimisation fiscale. Le bénéfice des réductions de charges va donc être largement aspiré par les entreprises qui en ont le moins besoin.

Artisans et petites entreprises

Pour un artisan ou une petite entreprise, une réduction de 5% de la masse salariale ne conduit pas mécaniquement à des embauches. Cela n’a même rien à voir! Une entreprise dont le coût salarial représente à peu près 30% de ses charges d’exploitation, verrait ces dernières baisser de 1,5%. Est-ce que sur cette base on embauche quel que soit le carnet de commande? Evidemment non. Or, ce type d’entreprises, petites ou très petites, dépend exclusivement de la consommation des ménages et des dépenses d’équipement (BTP notamment), toutes impactées négativement par les politiques d’austérité et de réduction des dépenses publiques. Sans politique de la demande, ces secteurs utiliseront cette baisse de charges pour simplement améliorer leurs situations de trésorerie.

Les grandes sociétés

Les grandes sociétés n’ont plus de stratégies «nationales». Elles établissent des plans d’investissement et de charge au niveau européen et mondial. La baisse des charges en France améliorera leurs profits (à la marge) mais ne les engagera nullement à investir ici plus qu’ailleurs. Leur équation productive est infiniment plus complexe que le simple «coût du travail en France». Les «champions nationaux», c’est fini.

Une partie des grands groupes est d’ailleurs bien plus dépendante du taux de change entre l’euro et le dollar, ou du coût des matières premières, que du taux de cotisations sociales en France, les secteurs de la Chimie et de l’Agroalimentaire notamment. La baisse des charges ne peut donc avoir qu’une importance marginale sur leurs prévisions.

Quels secteurs rentrent dans le schéma gouvernemental?

Les secteurs qui seront éventuellement à même d’entrer dans l’équation gouvernementale sont ceux qui délivrent un service et emploient un effectif significatif. Le commerce de grande distribution, les services aux entreprises. Mais on ne devra pas s’étonner que les embauches qui y seraient éventuellement réalisées le soient à temps partiel ou en CDD. Là encore, c’est la croissance effective du chiffre d’affaires – c’est-à-dire la demande – qui dictera les embauches ainsi que leurs statuts précaires ou pas, et nullement la baisse du coût du travail.

Alors pourquoi cette exigence du Medef?

La création massive d’emplois en corrélation avec une baisse des charges date de 1997/2001… mais elle était liée à la baisse du temps de travail de 12,5%. Scénario très différent aujourd’hui, où le «travailler plus pour ne pas gagner plus» garde pas mal d’adeptes.

Le patronat s’évertue pourtant à faire croire qu’avec ces baisses de charges, il va devenir le champion de l’embauche. Un million d’emplois! Ben voyons. Les promesses ne valent que pour ceux qui y croient. Mais si le Medef sait d’avance que tout cela est du vent, alors pourquoi insiste-t-il tant?

Parce que cela va augmenter les profits? Possible, mais pas seulement. C’est même plus subtil. Au travers des baisses de charges, ce sont notamment les comptes sociaux qui sont visés, soit directement (exonération des cotisations familiales) soit indirectement par le biais d’une baisse drastique des dépenses publiques. De cela découlent mécaniquement une baisse des prestations sociales et un élargissement de leur privatisation. La grande fédération des assurances est au coin du bois depuis trente ans et n’a pas l’intention de lâcher prise.

Dans un contexte de stagnation économique, quoi de plus tentant qu’un élargissement du marché à ce qui était du domaine réservé de la protection sociale, ou même des services publics, si des profits durables y sont identifiés? Voilà ce qui est depuis longtemps au cœur de la stratégie patronale quand celui-ci agite le chiffon rouge des charges. Et pas véritablement le coût du travail et la compétitivité, du moins pour les grandes firmes qui sont à la tête du Medef et mènent cette croisade. (6 février 2014)

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