France. Non, Florian Philippot n’a pas «dédiabolisé» le FN

Florian Philippot et son successeur David Rachline

DOSSIER

Par Elise Koutnouyan. Après plusieurs semaines de conflits et une escalade des tensions ces derniers jours, le numéro 2 du Front National, de plus en plus isolé, a claqué la porte du parti jeudi 21 septembre 2017. Pendant huit ans, l’énarque [ ] et ex-bras droit de Marine Le Pen a été l’architecte et le symbole de la stratégie de dédiabolisation du parti d’extrême-droite. Mais Florian Philippot s’est aussi illustré par plusieurs dérapages médiatiques, autant de craquelures sur le vernis respectable qu’il s’était évertué à appliquer au FN.

«J’ai vu (…) le FN rattrapé par ses vieux démons», justifiait Florian Philippot jeudi 21 septembre au micro de Caroline Roux sur France 2, au sujet de sa démission du parti frontiste. Rétrogradé la veille au soir au rang de vice-président sans attribution, l’ex-bras droit de Marine Le Pen a commenté sa démission du parti ce jeudi matin comme une divergence de «fond» à l’heure de la refondation du parti : «moi, je suis venu pour la dédiabolisation. Je suis venu parce que les outrances du passé, c’était sensé être terminé» a-t-il martelé sur le plateau de Télé Matin.

Arrivé en 2009, comme conseiller de l’ombre de Marine Le Pen, avant de devenir son directeur stratégique de campagne en 2011, puis vice-président du FN, l’énarque de 35 ans s’était en effet illustré comme l’artisan de la dédiabolisation du Front National. Pendant huit années, Florian Philippot a cherché à lisser l’image du parti d’extrême-droite.

Attaques sexistes

Pour cela, l’homme de confiance de Marine Le Pen avait pris l’habitude de squatter les plateaux des chaînes d’info et talk-show radio, jusqu’à devenir l’homme publique le plus invité à la TV. Défendant une ligne souverainiste anti-euro, il n’aura eu cesse de s’atteler à reléguer au second plan la rhétorique identitaire et anti-immigration.

Mais à plusieurs reprises, Florian Philippot craquèle le vernis de parti banalisé qu’il cherche à appliquer au FN. D’abord par des attaques personnelles envers les journalistes. En mars dernier, sur le plateau de C à vous, il s’en prend à la présentatrice Anne-Sophie Lapix : «Vous êtes d’une arrogance permanente, vous me regardez avec un mépris terrible», lance-t-il dans une violente passe d’arme avec la journaliste.

Quelques mois plus tôt, en octobre 2016, Florian Philippot s’attaquait à la sœur d’un journaliste d’Envoyé Spécial qui l’interrogeait sur le rôle politique de son frère, Damien Philippot alors directeur d’étude au département opinion de l’IFOP (il rejoindra le FN deux mois plus tard). Alors que le journaliste énumère les sources de ce rôle politique caché, l’eurodéputé rétorque : «Oui, vous avez sûrement des sources. Mais moi j’ai des sources qui m’ont dit que votre sœur, elle faisait des choses pas terribles. Vraiment, j’ai des sources.»

«Racisme anti-blanc» et appel de pied à la dieudosphère

A plusieurs reprises dans sa carrière au FN, le chantre de la dédiabolisation reprend à son compte la rhétorique xénophobe et raciste de son parti. Toujours en octobre 2016, au sujet du démantèlement de la jungle de Calais, il déclare au micro de Jean-Jacques Bourdin : «on va faire venir des familles parmi lesquelles on ne sait pas très bien qui s’y trouve, peut être même des islamistes, peut-être même des profils identiques à ceux qui se sont fait sauter au Bataclan».

La tête pensante du FN n’en est pas à son coup d’essai. L’année précédente, alors que la campagne pour les départementales est émaillée par plusieurs sorties racistes, islamophobes et homophobes de candidats FN, le vice-président minimise ces «dérapages», qualifiés sur France Inter d’un »infime pourcentage de turpitudes lié à la nature humaine».

Le 6 novembre 2013 déjà, il est invité sur le plateau de BFMTV aux côtés de la militante antiraciste Rokhaya Diallo pour débattre de la montée du racisme. Florian Philippot met alors en cause les «donneurs de leçons» Harry Roselmack et Jamel Debbouze et oppose au racisme visant la garde des Sceaux de l’époque Christiane Taubira, le «racisme anti-blanc» dont serait victime Marine Le Pen.

Derrière une image policée, Florian Philippot n’aura pas hésité à flatter les franges extrêmes de son électorat. Le 6 février 2014, il qualifie Manuel Valls de «meilleur impresario» de Dieudonné, en pleine affaire qui oppose le gouvernement socialiste à l’humoriste controversé. Dans son discours face au ministre de l’Intérieur, Philippot fait un appel du pied direct à la dieudosphère [1]: il utilise l’une de ses expressions («quand même»), qui fait référence aux supposées «influences juives» de Manuel Valls, vieille rengaine de l’extrême-droite. Une rengaine pourtant bien éloignée de la dédiabolisation prônée. (Article a publié sur le site des Inrockuptibles le 21 septembre 2017)

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[1] Voir sur la «dieudosphère» l’ouvrage La galaxie Dieudonné. Pour en finir avec les impostures, de Jean-Paul Gautier, Michel Briganti, André Déchot, Editions Syllepse, mai 2011.

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L’imposture sociale a-t-elle vécu au FN

Par Grégory Marin. Avec la démission de son vice-président Florian Philippot, c’est l’image pseudo-sociale du parti d’extrême droite qui se lézarde. Les cadres frontistes travaillent à sa «refondation» sur une base raciste, identitaire et libérale.

Le vice-président du Front national, Florian Philippot, l’avait pressenti ces derniers jours: «La refondation se passe mal», avait-il dit à Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, mardi matin. Mercredi soir, 20 septembre, officiellement devant son refus de quitter la présidence de son association satellite du FN, «Les Patriotes», la présidente du parti d’extrême droite, Marine Le Pen, l’avait relevé de toute délégation. Jeudi matin, il a démissionné, suivi de ses soutiens. «Peut-être dans ce nouveau projet (la « refondation » souhaitée par Marine Le Pen) je n’avais pas ma place, alors il fallait trouver des «“prétextes”», a lancé l’ex-conseiller de l’héritière.

C’est la ligne incarnée par Marion Maréchal-Le Pen qui s’impose

A y regarder de près, il n’y a rien de «personnel» là-dedans, comme nombre d’observateurs l’ont analysé à tort. Philippot lui-même arguait que Louis Aliot, autre vice-président à la tête lui aussi d’un think tank associé au FN, Club Idées Nation, gardait sa double casquette. Mais ce dernier, tenant de la ligne libérale-conservatrice, a abandonné sans attendre cette fonction, tout en confirmant à la fois que le «conflit d’intérêts» lié à la double appartenance tenait du prétexte et que le changement de stratégie était acté. «Le FN va enfin connaître l’apaisement face à un extrémiste sectaire, arrogant et vaniteux, qui tentait de museler notre liberté de débattre », a tout de suite réagi Louis Aliot [député européen, et, de plus, compagnon de Marine Le Pen], comme soulagé de ne plus devoir composer avec la ligne souverainiste et pseudo-sociale de son homologue, censée concurrencer la gauche sur son terrain mais jugée inefficace. De fait, sur le fond, c’est la ligne incarnée par Marion Maréchal-Le Pen qui s’impose malgré son départ, comme s’était imposée, sur la méthode, la «patte» Mégret [venant du RPR, ayant créé son propre mouvement, Le Comité d’actions republicaines, puis rejoint le FN, rompt avec Jean-Marie Le Oen en 1998, crée le Mouvement national républicain], dix ans après la scission. C’est d’ailleurs l’ex-numéro deux mégrétiste, le secrétaire général Nicolas Bay, qui estime que «le Front (se) remettra sans difficulté» du départ de Philippot.

L’imposture sociale a-t-elle vécu ? La ligne qui en apparence portait cette préoccupation n’est plus incarnée. «A Marine Le Pen de ne pas faire du Philippot sans Philippot, estime le maire de Béziers élu grâce au FN, Robert Ménard. Il faut surtout et avant tout ne plus reprendre sa ligne politique. » Les cadres du parti semblent satisfaits de la clarification, mais il faudra attendre 2020 et les élections municipales pour dire si la stratégie «ethniciste et identitaire» – selon l’historien spécialiste du FN, Nicolas Lebourg [1] – recentrée autour des questions d’immigration, d’insécurité, de terrorisme est valide.

Depuis l’accession de Marine Le Pen à la tête du FN, analysée par le chercheur Alexandre Dézé [2], le parti faisait coexister à la fois la «dédiabolisation» travaillée par Philippot et Le Pen elle-même et une dimension «rupturiste» qui lui permettait d’agréger plusieurs électorats. Va-t-on assister, comme le prédit Philippot, à un «rétrécissement» qui «va mener à une audience électorale beaucoup plus faible»?? Rien n’est écrit, car si un masque, celui d’un FN prétendument social, est tombé, d’autres sont façonnés au plus haut niveau de l’encadrement.

Jean-Lin Lacapelle

Jean-Lin Lacapelle [«caporal de Marine Le Pen» qui a effectué un nettoyage dans les sections du FN, selon l’hebdomadaire Mariane, du 9 avril 2017]secrétaire général adjoint, actant le départ du vice-président en estimant le «travail de remise en question» vers la droite nécessaire, entend «mettre le curseur au bon endroit, pour que demain, notre nouveau ‘‘Front’’ soit adapté à ce que nos électeurs attendent ». Il y aura d’autres impostures à démonter. (L’Humanité, 22 septembre 2017)

[1] Lettre aux Français qui croient que 5 ans d’extrême droite remettraient la France debout (contribution de Nicolas Lebourg, Ed. Les Echappés, 2016)

[2] Comprendre le Front national, Ed. Bréal, 2016.

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Philippot quitte le FN, suite à sa déchéance…

Par Loup Espargilière. Déchu de son rôle de chargé de la stratégie et de la communication mercredi, Florian Philippot a claqué la porte du FN ce jeudi. La présidente veut croire que « le Front s’en remettra »; les ennemis frontistes de l’ex-numéro 2 se réjouissent.

Déchu de son rôle de chargé de la stratégie et de la communication mercredi, Florian Philippot a claqué la porte du FN ce jeudi. La présidente veut croire que «le Front s’en remettra»; les ennemis frontistes de l’ex-numéro 2 se réjouissent.

 

 

«J’ai vu beaucoup de gens partis chez Mégret à l’époque sur une offre politique très radicale, qui sont revenus récemment et qui ne sont pas mes amis », a déclaré l’ex-frontiste. Voilà plusieurs semaines qu’une partie des cadres, tenants d’une ligne identitaire rassemblés autour de Nicolas Bay et de Louis Aliot, s’en prenaient à Florian Philippot par médias et réseaux sociaux interposés. On l’a tenu comptable de l’échec de la présidentielle et des législatives, on lui a reproché son arrogance et on l’a accusé de vouloir faire cavalier seul avec son association Les Patriotes, dont Marine Le Pen lui avait demandé de quitter la présidence. « On avait le sentiment depuis des mois que Florian Philippot se crispait, refusait totalement ce débat ou en tout cas il voulait le cadenasser avec sa petite association », a raconté Nicolas Bay, cité par Le Monde.

Invitée ce jeudi matin de l’émission «Questions d’info» sur LCP (chaîne parlementaire) Marine Le Pen a expliqué que s’il le lui avait demandé, elle «aurait accepté [que Florian Philippot reste à la tête des Patriotes] parce que je pense que c’est aussi la vie politique. On fait un bout de chemin ensemble et parfois on peut aussi faire un bout de chemin en parallèle. Mais il a choisi le positionnement un peu de victimisation, alors que j’ai le sentiment que le débat que j’ai voulu de refondation du Front national, il avait du mal à l’intégrer et même il s’en extrayait de manière très clair ».

Quelques départs notables

Quelques militants et cadres frontistes ont d’ores et déjà annoncé leur départ après la démission de Florian Philippot : Joffrey Bollée, son directeur de cabinet, le comédien Franck de Lapersonne, Lilian Noirot, responsable de la fédération FN de Saône-et-Loire, Philippe Murer, conseiller économique et environnemental de Marine Le Pen, le très proche Maxime Thiébaut, vice-président des Patriotes et surtout Sophie Montel, lieutenante de Florian Philippot qui avait été débarquée pendant l’été de la tête du groupe FN au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté.

Depuis plusieurs semaines déjà, les indices d’une mise au ban du vice-président du FN se multipliaient : après l’éviction de Sophie Montel actée par la venue en personne de Nicolas Bay, c’était celle, ce mardi, de son conjoint Robert Sennerich remplacé à la tête de la fédération FN du Doubs, jusqu’à la fronde de mercredi après-midi. 12 des 46 élus FN du conseil régional de Grand Est – où siège Florian Philippot – dénonçaient la gestion du groupe par celui-ci, son absentéisme, ses compétences.

Pour Maxime Thiébaut, numéro 2 des Patriotes, cela ne fait aucun doute, cette éviction est le fait de «l’aile identitaire, qui n’a rien à voir avec ce que le FN est devenu depuis six ans. C’est l’aile mégrétiste qui a manœuvré méthodiquement contre Florian Philippot depuis des mois ». Pour ce très proche de Philippot, «il y avait un faisceau d’indices quant à la rediabolisation du FN depuis plusieurs semaines. On entendait certains parler d’union des droites, refuser de parler des questions économiques, pour se focaliser sur l’islam radical, l’immigration et plus aucun autre sujet», raconte-t-il à Mediapart. La polémique sur les Patriotes ? «Totalement un prétexte. Après, ça aurait été : “Tu ne vas plus à Colombey pour rendre hommage au général de Gaulle, puis tu ne manges plus uniquement des plats français [référence à la polémique du sur le Couscousgate, procès fait à Pilippot manegant du couscous dans un restaurant strasbourgeois], qui a secoué le FN ces derniers jours – ndlr], puis tu arrêtes de parler d’Europe, etc.” » Cible de toutes ces attaques, Florian Philippot aurait espéré un temps que Marine Le Pen « garde raison ». Après l’affront de mercredi soir, il a finalement décidé de « ne pas se faire humilier », des mots de Maxime Thiébaut, en poussant la porte de son parti.

«Tous ceux qui ont pris cette route-là et mené une aventure solitaire ont disparu », a encore déclaré Marine Le Pen, faisant référence à la scission de décembre 1998 qui avait conduit Bruno Mégret à quitter le FN avec fracas, entraînant avec lui la moitié des cadres du parti. «Le Front s’en remettra sans difficulté», a ajouté la présidente du FN. Difficile toutefois d’entrevoir les conséquences à venir de la perte du principal « chargé de com’ » du FN en cette période de refondation, ouverte au début de l’été dans la perspective du congrès de mars 2018. Ce jeudi matin encore, Florian Philippot disait craindre que de «mauvaises conclusions» n’aient été tirées du débat raté de l’entre-deux-tours de la présidentielle,  «qu’on se dise : “Peut-être qu’on n’y arrivera donc jamais et on va faire autre chose. Et on va redevenir un peu comme avant pour gérer une rente électorale”». Selon lui, le Front national «ne se donne plus les moyens de gagner» et ladite refondation à l’œuvre ne va pas dans « le sens de la modernité mais plutôt le sens d’un retour en arrière et donc d’un rétrécissement», qui mènera, inéluctablement, «à une audience électorale de plus en plus faible».

Florian Philippot n’a pas dit ce qu’il comptait faire désormais. « Je ne me suis jamais placé dans une optique de compter les troupes, de scission, ou de quoi que ce soit. Mais je sais que j’ai beaucoup d’amis. […] Mon engagement politique reste absolument intact, j’ai mes mandats – député européen, conseiller régional – et je continuerai à me battre pour mon pays », a-t-il encore déclaré sur France 2. Maxime Thiébaut, lui, se veut prudent quant à la suite : « On a une place à jouer dans le cadre d’un grand rassemblement des patriotes. Pourquoi pas avec Nicolas Dupont-Aignan… Même avec Marine Le Pen, si elle entend raison. […] On a plus de deux ans devant nous avant les élections européennes, il faut qu’on arrive à présenter une offre », ajoute-t-il. Qui vivra verra. (Médiapart, 21 septembre 2017)

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