France. Grève de la SNCF: «Les boîtes du privé savent que les compétences, ça se paye»

Entretien avec Fabien Villedieu, syndicaliste SUD rail, conduit par Frantz Durupt

Avec la CGT cheminots et Unsa ferroviaire, SUD rail fait partie des trois organisations syndicales qui appellent à la grève dans plusieurs secteurs, dont l’axe TGV Sud-Est, de vendredi à dimanche. Un mouvement que l’un des représentants du syndicat, Fabien Villedieu, justifie par un contentieux autour des salaires qui prend sa source durant le premier confinement. Sans ignorer que cette grève vaudra aux cheminots de nouvelles critiques et des tensions avec des voyageurs.

Qu’est-ce qui vous conduit à faire grève aujourd’hui?

La même chose que pour un certain nombre de salarié·e·s: les salaires! Des grèves, en ce moment, il y en a partout, et beaucoup sur ce sujet. Y compris dans des entreprises qui traditionnellement ne faisaient pas grève, comme Leroy Merlin. A la SNCF, on a un contentieux qui date depuis le début du premier confinement. A partir de mars 2020, on a tenu à bout de bras le service public du rail, on a tenu les différents plans de transports, on a tenu les mesures du gouvernement, qui a demandé aux cheminots d’assumer une partie de sa politique: le respect du port du masque, des gestes barrières, toute une série de mesures qui ont entraîné un certain nombre d’insultes voire d’agressions, notamment envers les agents commerciaux et les contrôleurs. Donc depuis quasiment deux ans, on a fait le job. Face à ça, on était en droit de s’attendre à ce qu’au moins en 2021, il y ait une vraie négociation salariale avec une vraie augmentation. Or, aucune véritable revalorisation n’est proposée.

Le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, a évoqué «une augmentation de la rémunération moyenne des personnels présents de 2,7%, une prime de 600 euros pour les petits salaires et des améliorations de la grille statutaire». Vous en dites quoi?

L’accord salarial n’est certes pas à zéro, mais il n’est pas à la hauteur de ce qu’on était en droit d’attendre. Les 2,7%, c’est faux. Certains collègues ont des promotions, donc ils doivent estimer que ces promotions sont des augmentations. Mais la SNCF n’a pas compris que la SNCF sans les cheminots, ça ne marche pas. Quand vous conduisez un TGV, quand vous assurez sa maintenance, quand vous conduisez un train de banlieue, vous avez une compétence. Or, cette compétence est complètement ignorée. J’observe un phénomène nouveau à la SNCF, les départs volontaires: en 2019 et 2020, 3 300 cheminots se sont barrés. Donc on attend des éléments de fidélisation. Le statut, le régime spécial de retraites étaient les carottes qu’on avait pour rester, mais aujourd’hui elles sont cuites. La nouvelle carotte, ce sera le salaire. Ça, la boîte ne l’a pas compris.

Jean-Pierre Farandou invoque aussi l’ouverture à la concurrence. Il dit ne pas comprendre le principe de «faire une grève sur le Sud-Est entre Paris et Lyon au moment où Trenitalia fait un lien entre Paris et Lyon».

Je lui renvoie l’ascenseur. Je ne comprends pas une direction qui ne négocie pas alors que les premiers trains de la concurrence commencent à rouler. Car chez la concurrence, ils ont compris que les cheminots sont une valeur ajoutée, et ils les payent. Ce serait bien que la SNCF commence à le comprendre.

Trenitalia propose de meilleures conditions salariales que la SNCF?

Je ne connais pas encore leur grille. Mais lors du transfert du TER Paris-Nice, le patron de Transdev a dit qu’il allait augmenter les salaires. Les boîtes du privé savent que les compétences, ça se paye. En fait, c’est la SNCF qui a un train de retard aujourd’hui.

Vous ne pouvez pas ignorer que cette grève, durant un week-end de départ en vacances, va vous valoir de nombreuses critiques dans les médias, et sans doute des tensions avec les usagers. Ça pèse dans votre décision?

Evidemment, ça pèse toujours. Mais on a une certaine habitude. Quand on s’est battus sur les régimes spéciaux, on a été énormément critiqués, ça ne nous a pas empêchés de tenir. En vérité, j’aimerais qu’on ait l’opinion publique avec nous, c’est d’ailleurs pour ça que je vous réponds. Mais mon job de syndicaliste, c’est de défendre le bout de gras des cheminots. Et les cheminots m’ont dit: «On veut que sur les salaires, ça bouge bien plus que ce que propose la boîte.» Après, j’essaye, parce qu’on a des intérêts communs avec les voyageurs, de rendre la grève populaire. Car souvent, le bout de gras des cheminots, c’est aussi le bout de gras des voyageurs. Mais là, ça va être compliqué, j’en ai conscience! (Entretien publié sur le site du quotidien Libération en date 15 décembre 2021, à 20h06)

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