France. Délit de solidarité. Prison ferme au procès des 7 de Briançon

Manifestation de solidarité (Jean-Pierre Clatot/AFP/Archives)

Par Emilien Urbach

La justice a rendu, jeudi 13 décembre 2018, des décisions sévères contre les militants poursuivis à la suite d’une manifestation de soutien aux exilés à la frontière franco-italienne.

La répression à l’égard des ­citoyens solidaires des exilés a franchi un nouveau cap, jeudi après-midi, à Gap (Hautes-Alpes). Le tribunal correctionnel y a rendu sa sentence concernant les sept de Briançon jugés le 8 novembre dernier. Tous ont écopé de peines de prison. Cinq d’entre eux, Benoît Ducos, Théo Buckmaster, Bastien Stauffer, Lisa Malapert et Eleonora Laterza ont été condamnés à six mois avec sursis «pour aide à l’entrée irrégulière d’un étranger en France», la circonstance aggravante de «en bande organisée» n’ayant heureusement pas été prise en compte. Deux autres, Jean-Luc Jalmain et Mathieu Burellier, sont condamnés à douze mois de prison dont quatre fermes. Le premier pour avoir relevé son tee-shirt face aux gaz lacrymogènes lors d’un rassemblement organisé au mois de septembre. Le second pour rébellion avec obligation de verser la somme de 4000 euros d’indemnités aux policiers qui se sont portés partie civile.

«Ça les dérange, alors ils ont décidé de taper fort»

«De la prison ferme pour délit de solidarité, c’est une décision extrêmement grave, une première en France, souligne Agnès Antoine, du comité de soutien aux sept condamnés. Ils ont voulu casser l’élan de solidarité qui vit dans le Briançonnais. Ils veulent faire peur. On n’arrête pas de faire des signalements et de récolter des témoignages d’actes de refoulement illégaux ou de violence. Ça les dérange, alors ils ont décidé de taper fort.»

L’affaire remonte au printemps 2018. Les dernières neiges sont à peine fondues lorsque, le 21 avril, le groupuscule néofasciste ­Génération identitaire lance une opération coup de com à la frontière franco-italienne, déployant banderoles et pancartes haineuses à l’égard des exilés qui, chaque jour, depuis plusieurs mois, risquent leur vie dans les cols glacés, tandis que seuls quelques citoyens et citoyennes épris d’humanité bravent le froid pour leur tendre la main. Ces derniers font partie d’un groupe de 150 militants internationaux, réunis le même jour à Clavière, dans les Alpes italiennes. Les leurs ont régulièrement affaire avec les forces de l’ordre, mais les nazillons parisiens venus goûter à l’air montagnard, eux, ne sont pas inquiétés.

Au matin du 22 avril, les solidaires décident de marquer le coup en marchant vers la frontière. Parmi eux, une vingtaine de personnes sont visiblement d’origine africaine, bien qu’aucun contrôle d’identité n’ait permis de le vérifier. Qu’importe, pour la police, ce sont, à n’en pas douter, des immigrés en situation irrégulière. La manifestation spontanée marche sans détour jusqu’à Briançon, contournant un barrage policier. «Un passage en force», estime l’accusation, bien qu’aucune vidéo ne montre de violences.

Arrivés en ville, les participants se dispersent. La police se lance alors dans une chasse aux militants et six d’entre eux sont arrêtés. Trois sont immédiatement relâchés. Mais Théo, Bastien et Eleonora, de nationalités suisse et italienne, sont placés en garde à vue. Ils sont ensuite transférés à la prison des Baumettes de Marseille où ils resteront enfermés en préventive pendant neuf jours. Matthieu, lui, se fait, selon plusieurs témoignages, littéralement agresser par sept policiers, traîné face contre terre dans les escaliers d’un bar où il se désaltère avec quelques camarades à la suite de la marche. Une interpellation particulièrement violente – elle lui vaudra dix jours d’incapacité temporaire de travail – qui pousse un groupe de militants à s’interposer. Deux policiers sont blessés mais ont reconnu, hier, devant le tribunal, que ce n’était pas directement par Mathieu. C’est pourtant lui qui est aujourd’hui condamné à quatre mois de prison ferme…

Au départ, seuls trois militants transalpins devaient être jugés. Mais, le 31 mai, leur procès est renvoyé. Leurs avocats mettent en avant le dépôt, quelques jours plus tôt, devant le Conseil constitutionnel, par Cédric Herrou et Pierre-Alain Mannoni, de leur recours sur une question prioritaire de constitutionnalité défendant l’idée que le «délit de solidarité» serait en contradiction avec le principe de fraternité. Les sages leur donnent raison début juillet, mais excluent l’aide à l’entrée irrégulière sur le territoire national, des gestes pouvant être considérés comme fraternels.

Le préfet des Hautes-Alpes est aux anges et, pour fêter cette nuance de taille, s’offre l’interpellation de quatre autres participants à la manifestation antifasciste du 22 avril. Placés en garde à vue, ils seront eux aussi poursuivis pour «aide directe ou indirecte en bande organisée à l’entrée irrégulière d’étrangers sur le territoire national».

Trois corps d’exilés africains retrouvés dans les montagnes

L’acharnement policier à l’encontre de ces bonnes âmes du Briançonnais n’est pas parvenu, cependant, à dissimuler les funestes conséquences de la «politique migratoire française». À la fonte des neiges, trois corps d’exilés africains ont été ­retrouvés dans les montagnes. La condamnation d’hier après-midi n’augure rien de bon pour cet hiver. «Des personnes continuent d’essayer de passer à travers nos montagnes alors qu’il fait moins quinze degrés là-haut, reprend Agnès Antoine. La justice a choisi de durcir la répression à l’encontre de ceux qui les aident. La justice a choisi le camp de la mort.»

Les sept de Briançon n’auront pas ­bénéficié de la clémence des juges, qui ont annulé, mercredi, les peines de prison des militants azuréens, Pierre-Alain Mannoni et Cédric Herrou. Ils promettent de faire appel. Mais d’autres condamnations sont à prévoir contre des habitants du Briançonnais: deux maraudeurs sont convoqués devant la justice le 10 janvier 2019 et un autre le 12 mars… eux encore pour «délit de solidarité». (Publié dans L’Humanité, le 14 décembre 2018)

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