France. A propos du programme économique de «La France insoumise»: rupture ou impasse?

Par Henri Wilno

Suite au premier tour de l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, leader de «La France insoumise», s’est prononcé sur le thème débattu dans la gauche en France: comment voter lors du second tour qui oppose Emmanuel Macron à Marine Le Pen. En fait, il ne donne pas une consigne. Pour le 7 mai, il affirme: «Mais franchement, est-ce qu’il y a une seule personne d’entre vous qui doute que je ne voterai pas Front national?» Puis il continue: «Si je dis ce que je fais, je vous divise.»

En effet se pose pour J.-L. Mélenchon l’enjeu des législatives en juin et donc la nécessité de maintenir une certaine unité d’un mouvement fort jeune et qui compte – selon un système d’adhésion de type Internet – 490’000 adhérents. En ayant à l’esprit l’importance attachée aux législatives, il ne nous semble pas inutile de reprendre une analyse faite par un économiste, Henri Wilno, en date du 28 février 2017, suite à la présentation du programme économique du candidat Mélenchon. (Réd. A l’Encontre)

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Jean-Luc Mélenchon a exposé son programme économique au cours d’un show de 5h30. Les objectifs avancés sont la relance de la croissance et la réduction du taux de chômage (à 6,2% en fin de mandat, ce qui est supérieur au taux actuel des Etats-Unis et de l’Allemagne). La pompe serait amorcée par un emprunt de 100 milliards d’euros et une hausse de la dépense publique. Cela permettrait de financer des mesures d’urgence sociale comme l’extension du RSA aux jeunes, une allocation d’études sous conditions de ressources de 800 € pour les étudiants, la retraite à 60 ans (avec 40 années de cotisation…), l’extension des remboursements de la Sécurité sociale, etc. Il y aurait également des mesures de transition écologique comme un soutien aux énergies renouvelables et un programme d’isolation des logements. Le SMIC serait revalorisé de 15% pour être porté à 1326 euros net par mois. Figure aussi au programme une réforme fiscale qui augmenterait les recettes budgétaires: renforcement de la progressivité de l’impôt sur le revenu, introduction d’une dose de progressivité dans la CSG, suppression des niches fiscales… et baisse de l’impôt sur les sociétés de 33 à 25% (au moins pour les petites et moyennes entreprises). Quant au CICE, son montant sera recyclé dans un fonds au profit des PME-TPE.

Un coût d’arrêt à la casse sociale béni par le FMI?

Ce programme ne permet pas de rompre avec la logique du marché (il est de loin bien moins radical que le programme de la gauche en 1981), tout au plus d’en atténuer certains effets. Les insuffisances sont notables sur un certain nombre de mesures comme la hausse du SMIC ou les recrutements prévus dans la santé et l’éducation. Le protectionnisme dit «solidaire» pose peut couvrir diverses choses et être en fait fort peu solidaire. Pourquoi baisser l’impôt sur les sociétés? La démarche générale pose d’autres problèmes que nous évoquerons ci-dessous. Mais son volet social, malgré ses limites, s’il était appliqué, signifierait l’arrêt des politiques de déconstruction des acquis sociaux et une amélioration, au moins temporaire, de la situation des salariés et des couches populaires en général.

S’il était appliqué: c’est justement la question. Mélenchon et son équipe ont présenté un programme comme «sérieux et réaliste», fondé, disent-ils, sur un modèle économique supposé assurer une croissance équilibrée. Ils se targuent d’être dans la ligne des préconisations actuelles des grandes organisations économiques internationales comme le FMI et l’OCDE, voir la Commission européenne et la BCE. «Aujourd’hui, le FMI, l’OCDE, la Commission européenne soutiennent le programme de la France insoumise. Il leur a fallu 8 ans mais ça y est» n’a pas craint d’affirmer l’économiste en chef du parti de gauche, Jacques Généreux. Certes, ces institutions sont aujourd’hui favorables à un petit relâchement de l’austérité budgétaire (surtout en Allemagne) car elles s’inquiètent de la faible croissance et des risques de retombées dans la récession, mais elles ajoutent qu’il faut poursuivre à marche forcée la libéralisation de l’économie et la remise en cause des acquis sociaux, notamment des systèmes de retraite et des éléments protecteurs du droit du travail. On le voit bien d’ailleurs en ce moment dans la position du FMI dans les tractations au sujet de la Grèce.

Les principaux adversaires oubliés

Certes, Mélenchon nous dit qu’il a un «plan B» qui pourrait déboucher sur la sortie de l’Euro si la Commission européenne et l’Allemagne faisaient de l’obstruction. Admettons (il serait trop long de discuter ce point), mais les «Insoumis» négligent d’autres adversaires: la bourgeoisie française et les marchés financiers. «Personne n’est en état de dire non à la France» claironne Mélenchon: il les oublie.

«Le problème, c’est la rente, ce n’est pas l’entreprise», a déclaré Liêm Hoang Ngoc (conseiller économique de Mélenchon, transfuge du PS): reprenant les vieilles lunes de la séparation entre finance et production, comme si pour les grands décideurs capitalistes tout n’était pas mêlé. L’idée de base du programme de relance est de soutenir les PME et de penser que les grands groupes français seraient neutres, assistant sans réagir aux mesures sociales et fiscales susceptibles de peser sur leurs profits. C’est pure illusion: si ces mesures étaient appliquées, les marchés financiers feraient monter les taux d’intérêt de la dette française et les capitaux commenceraient à fuir (sans parler d’une possible grève des investissements des grands groupes).

Sur le premier point, Mélenchon et ses conseillers expliquent que les taux d’intérêt sont bas et le resteront et que, s’il y avait un problème, une solution technique existe par l’intermédiaire de la Banque publique d’investissement – BPI): encore faudrait-il que la BCE soit d’accord pour lui acheter des titres. Quant au second point (fuite des capitaux et grève des investissements), rien ne semble prévu: Mélenchon (comme d’ailleurs Montebourg ou Le Pen), si disert sur les importations en provenance des pays à bas salaires, ne dit pas grand-chose sur la libre-circulation des capitaux.

En fait, J.-L. Mélenchon n’a pas tiré les leçons de la Grèce: Syriza aussi avait un programme, le programme de Thessalonique contenant des réponses «à la fois réalistes et subversives» (Alexis Tsipras dixit), et pensait qu’il pourrait négocier avec les instances européennes. D’emblée, la BCE a refusé d’acquérir les titres apportés par les banques grecques. Pour s’assurer de la neutralité de la bourgeoisie grecque après sa victoire électorale en janvier 2015, Tsipras a conclu un accord de gouvernement avec le parti des Grecs indépendants et même repoussé certaines mesures sociales: peine perdue, les armateurs, les banques et d’autres secteurs du capitalisme grec ont joué contre lui.

Une grande absence: la mobilisation populaire

Il y a dans le programme de Mélenchon, deux grandes absences: des incursions dans la propriété capitaliste et la mobilisation populaire. La seule nationalisation prévue est celle des chantiers navals STX de Saint-Nazaire. Sur la question stratégique des banques, J.-L. Mélenchon en reste à un pôle public bancaire minoritaire, l’essentiel des banques demeurant privées. Quant à la mobilisation populaire, elle n’est pas évoquée alors que ça été la principale faiblesse de la démarche de Tsipras: il n’y a eu appel ni à la mobilisation des travailleurs grecs, ni à celle des peuples européens.

Il ne faut pas oublier qu’une élection peut permettre d’accéder au gouvernement mais que l’essentiel du pouvoir demeure ailleurs aux mains de gens qui ne sont pas des interlocuteurs de bonne compagnie et que l’on pourrait amadouer par des raisonnements rationnels . En réponse à un journaliste, J-L Mélenchon a fini par lâcher: «Tout est rapport de force dans la vie.» Certes, mais un vrai rapport de force, ce n’est pas un «président insoumis» mais des travailleurs et des couches populaires mobilisés.

Une telle mobilisation ne se décrète pas, elle se construit. Certes, il y a des rigidités économiques: on ne peut pas tout faire d’un seul coup, il ne s’agit pas de jouer les «monsieur plus». Mais deux dimensions sont nécessairement à prendre en compte, si, du moins on se situe dans la perspective d’une transition sociale et écologique qui se heurtera inévitablement à une riposte des «1%» et de leurs agents et relais, nationaux et internationaux. La première, c’est que, à juste raison, les travailleurs, le «peuple» ne défendront qu’un pouvoir qui aura immédiatement amélioré leurs conditions d’existence: c’est pour cela qu’il faut que les salaires et les retraites soient augmentés de façon importante, les licenciements et les suppressions d’emplois interdits, les bases du contrôle des salariés dans les entreprises créées, la TVA sur les produits de première nécessité supprimée, les frais de santé remboursés à 100%. La seconde, c’est que pour se préparer à un affrontement avec le capital: il faut socialiser le système bancaire et instaurer un contrôle des mouvements de capitaux. La suite dépendrait du «rapport de forces», en France et en Europe, c’est-à-dire comme l’ont montré toutes les expériences passées, de la lutte des classes. (28 février 2017)

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