Par Frédéric Says
Ce sont deux images que le hasard de la politique a fait tomber le même jour. Hier, Emmanuel Macron en Allemagne, à Aix-la-Chapelle [qui rappelle la ville de résidence de Charlemagne et du couronnement de ses successeurs] et pour signer le nouveau traité avec Angela Merkel. Marion Maréchal en Grande-Bretagne, à Oxford, invitée par une association locale à donner une conférence dans cette prestigieuse université.
L’ancienne députée du Vaucluse, qui s’est mise en retrait du Rassemblement national, s’exprime peu en France. Elle a en revanche prévu de tisser sa toile à l’étranger. C’est le Figaro qui nous l’apprend. La nièce de Marine Le Pen se rendra en février en Russie, à l’Université de Saint-Pétersbourg. Un déplacement est ensuite à l’étude au Brésil pour rencontrer le nouveau président Jair Bolsonaro [qui est à Davos, pour le WEF].
Cette initiative n’est pas seulement celle d’une jeune femme ambitieuse qui pense à son destin. Elle est l’illustration d’une stratégie plus globale des partis d’extrême-droite et/ou populistes : sortir de leur isolement national.
Fédérer les anti-mondialistes
D’ailleurs, sur les tracts de Marine Le Pen, qui voit-on à ses côtés? Matteo Salvini, le ministre italien de l’Intérieur, issu de la Ligue, le parti anti-immigration au pouvoir depuis 8 mois.
La visite de Steve Bannon en Europe n’avait pas d’autre but. Ce stratège de la campagne présidentielle de Trump veut ouvertement fédérer les différents mouvements européens à la droite de la droite.
Autrement dit, «patriotes de tous les pays, unissez-vous». Les anti-mondialistes, comme ils se nomment, veulent constituer une «mondialisation de l’anti-mondialisme», une alliance des nationaux… Bref, une internationale du nationalisme.
Ces partis ne craignent pas, ou plus, les procès en extrémisme. Par les temps qui courent, ils pensent même que cela leur fait gagner des voix. Non, ils veulent simplement faire oublier l’image de partis amateurs, rabougris et esseulés.
Voilà pourquoi les apologètes du terroir ont retrouvé leur passeport. Les tenants des frontières se mettent à voyager. Les défenseurs de l’identité française se prennent à parler anglais.
Ils rêvent, pour le futur, de réunions du G20 dont la photo de famille placerait côte à côte Marine Le Pen, Donald Trump, Matteo Salvini, Jair Bolsonaro, Benyamin Netanyahou – les deux derniers entretiennent d’ailleurs d’excellents rapports. Sans oublier les partis anti-immigration qui croissent rapidement en Europe du Nord et en Europe centrale.
Certes, jusqu’ici, à l’échelle européenne, leur tentative d’union a fait chou blanc, si l’on peut dire. Au sein du parlement européen, les patriotes revendiqués se divisent et se subdivisent en plusieurs groupes.
«Mondialisme»
Alors pour façonner l’unité, rien de mieux qu’un ennemi commun. L’ennemi désigné est clair: c’est le «mondialisme», défini comme l’ouverture sans limite des frontières, aux marchandises et aux migrants. Et c’est Emmanuel Macron qui incarne pour eux la cible idéale [1].
D’où les provocations répétées du gouvernement italien depuis quelques jours. Le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini a soutenu publiquement les gilets jaunes. Il a souhaité le départ d’Emmanuel Macron. Luigi Di Maio, le ministre de l’Économie, a lui accusé la France d’être responsable de l’immigration illégale – on y reviendra dans un instant. Toutes ces attaques ont valu à l’ambassadrice d’Italie d’être convoquée au Quai d’Orsay pour s’expliquer.
Mais ces provocations italiennes présentent un dilemme intellectuel intéressant pour le parti de Marine Le Pen. Au nom du patriotisme, doit-il faire front quand la France est ainsi attaquée de l’étranger? Ou au nom de la communauté d’idées politiques, doit-il soutenir la Ligue italienne contre un gouvernement En Marche?
Autre question: si demain, le Rassemblement national était au pouvoir, comment interagirait-il avec ses homologues populistes? Comment se passeraient les relations entre deux pays qui chacun ont promis à leur peuple qu’il passerait toujours le premier?
Revenons pour finir sur les déclarations de Luigi Di Maio, le ministre italien de l’Economie. Il estime que la France «appauvrit l’Afrique», et qu’elle est responsable des migrations, en particulier parce qu’elle imprime le Franc CFA, la monnaie toujours utilisée par quatorze pays africains.
Luigi Di Maio a même dénoncé le «colonialisme» de la France, hérité de son histoire. Pour mémoire, depuis des années le parti de Marine Le Pen s’insurge contre la «repentance historique perpétuelle». Mais curieusement, sa condamnation des propos italiens se fait toujours attendre… (23 janvier 2019, Billet de 8h15, sur France culture)
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[1] Lire de Jean-Loup Amselle Les nouveaux rouges-bruns. Le racisme qui vient (Ed. Lignes), une déconstruction de «l’anti-mondialisme» à tonalité faussement «anti-impérialiste» – voir le dernier paragraphe de ce billet – avec dans la foulée la mode journalistique des «rouges-bruns». Pour attaquer l’extrême-droite et la gauche radicale, un journalisme de superficie – donc du centre – appond ces deux courants, alors qu’il s’agit, en fait, du passage de certain·e·s intellectuels de «gauche» à l’ultra-droite: «Comment décrire et penser le phénomène, aussi violent que symptomatique de notre époque, du passage d’un certain nombre d’intellectuels, agitateurs, journalistes de l’extrême gauche vers l’extrême droite? C’est à quoi s’emploie Jean-Loup Amselle, qui, dans ce livre, actualise un tableau consternant dont Dieudonné et Soral ne sont que les noms les plus connus, et pense ce processus en ethnologue. Posant avec perspicacité cette question: qu’est-ce qu’un tel processus doit au regain de mode du primitivisme dû aux études post-coloniales?» (Réd A l’Encontre)
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Macron, le Charlemagne détrôné, étaye son fauteuil
Le Canard enchaîné du 23 janvier donne le ton avec deux dessins en Une: le premier est titré «Sarkozy, le visiteur du soir». Sarkozy s’adresse à Macron: «C’est pas mal tes débats… mais pourquoi tu fais pas payer l’entrée?» Le deuxième a pour titre: «Macron a reçu 150 patrons à Versailles». Il s’adresse à eux, dans cette ambiance monarchique: «Ça fait du bien de s’retrouver parmi les premiers de cordée». L’édito, par son titre, donne l’orientation politique de fond de Macron: «Une tactique pas mal à droite». «Pendant le grand débat, les travaux continuent… Les travaux d’approche, surtout! Pas celle des gilets jaunes, grâce ou à cause desquels ce débat a lieu mais qui n’y participent pas ou bien peu. […] Beaucoup d’autres (gilets jaunes) clament leur rejet d’un débat qu’ils considèrent comme “un enfumage”, “du blabla” ou un somnifère. […] Il [Macron] estime [que] même si ces mouvements perdurent, ce refus de discuter finira par les marginaliser. Et en attendant il renoue avec les corps intermédiaires en débattant avec les maires. Et, tout en veillant à faire de sa présence un show en forme de performance, pour tenter de reconquérir l’opinion, il s’ingénie d’abord à conquérir l’électorat des LR. […] C’est à droite que se trouvent pour lui les réserves d’électeurs et de ténors LR en déshérence. Ceux que, de Raffarin à Juppé, il entend rallier pour requinquer sa base avant les européennes. Pendant les discussions et avant parler de référendum et de nouvelles façons de faire de la politique, il n’est pas question d’oublier les anciennes avant les élections.»
En complément, la politique d’autorité, d’ordre et de renseignement s’affirme. Le titre en page 3 du Canard résume cela: «Macron ressuscite les RG pour ficher les gilets jaunes. Nom, antécédents judiciaires, “implications associatives”… le renseignement territorial peut tout savoir sur “les meneurs des ronds-points”.» (Réd. A l’Encontre)
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Le contournement patriotique…
«A l’heure des européennes, l’ex-députée – Marion Maréchal – contourne la scène nationale en préférant parler politique depuis l’étranger, notamment au Brésil. Elle a reçu une invitation du président Jair Bolsonaro.
Il est chez certains patients atteints de pathologies singulières une phase bien connue du corps médical: celle du déni. «Je ne suis pas bouffée par la politique, je n’ai pas le virus. Je ne pense pas être grisée par ce combat»,
confiait, comme pour s’en convaincre, Marion Maréchal en septembre 2018
Las, la plus jeune retraitée de la vie politique peine aujourd’hui à cacher son envie de s’exprimer et de participer au débat public. «Elle trépigne», abonde un membre de son entourage. La colère des «gilets jaunes», l’effondrement de «Jupiter» comme l’empressement de certains de ses proches seront venus à bout de la cure de silence médiatique qu’elle s’était imposée après le lancement de son établissement lyonnais, l’Issep, l’été dernier.
Souhaiter s’exprimer est une chose. Donner l’impression de préempter un espace politique en est une autre. Qui plus est, quatre mois avant les élections européennes.
Pour éviter que s’installe un fâcheux «amalgame», qui ne manquerait pas de placer la jeune directrice entre les feux de la campagne à venir, Marion Maréchal a opté pour une stratégie méthodique de contournement de la scène nationale.
Réservant ses déclarations les plus politiques pour ses prises de parole depuis l’étranger qu’elle entend multiplier. «C’est un peu de Gaulle en Irlande», confirme en un trait d’humour l’un de ses fidèles, le directeur du magazine L’Incorrect, Jacques de Guillebon. (Le Figaro Premium, mis à jour le 21 janvier 2019)
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